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pas, si l'on s'en rapporte au témoignage des ingénieurs les plus éclairés du pays, que cette liberté produise aucun inconvénient.

Au Mexique, au Pérou et dans la Nouvelle-Grenade, on n'a jamais séparé la propriété des mines de la propriété de la surface. Les propriétaires du sol qui les ont fait exploiter à leur profit, n'ont même pas permis au gouvernement de se mêler de l'exploitation. M. de Humboldt, par qui ce fait est attesté, ne remarque pas que cette liberté ait eu, en Amérique, des résultats plus fâcheux qu'en Angleterre (1). Les immenses fortunes de quelques familles hispano-américaines ont été le produit de l'exploitation des mines. Suivant le témoignage du même écrivain, un seul filon a produit, pour une seule famille, dans l'espace de quelques mois, la somme énorme de vingt millions de francs (2).

(1) Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, t. IV, liv. IV, chap. XI, p. 29.

(2) Ibid. p. 1.

CHAPITRE XXIII.

De la valeur donnée à des propriétés particulières, communales ou départementales, par des travaux exécutés aux frais de l'État. Du paiement de cette valeur.

DEs faits exposés dans les chapitres précédens, il résulte deux vérités qui me semblent avoir tout le caractère de l'évidence : l'une, que toute valeur appartient à celui qui l'a formée, et qui ne s'en. est pas dépouillé; l'autre, qu'une propriété, quelle qu'en soit la nature, est estimée par la valeur qu'elle a, ou par les services qu'elle peut rendre, et non par le volume ou l'étendue de la matière dont elle est composée.

Si des propriétés particulières, si le territoire d'une commune ou d'un département reçoivent un accroissement de valeur immédiat et spécial, des travaux exécutés aux frais du public, tels que des routes, des ponts, des canaux, ne faudra-t-il pas tirer du premier de ces deux principes la conséquence que cet accroissement de valeur appartient à l'Etat? Les particuliers, les communes ou les départemens, dont les propriétés auront aug

menté de prix, ne seront-ils pas tenus, soit de lui payer une indemnité proportionnée à la plusvalue, soit de lui rembourser une part proportionnelle des dépenses? Les personnes qui croiront devoir ne lui payer ni la plus-value, ni une part des dépenses, ne pourront-elles pas être obligées à lui céder leurs propriétés pour le prix qu'elles avaient avant l'exécution des travaux?

Ces questions ne pourraient pas s'élever dans un pays où le gouvernement laisserait aux particuliers, aux communes ou aux provinces, le soin d'entreprendre ou de faire exécuter les travaux à l'exécution desquels ils se croiraient intéressés; 'car, dans un tel pays, on conviendrait d'avance de la part pour laquelle chacun devrait y contribuer. Mais si les entreprises d'utilité publique étaient ainsi subordonnées au sentiment et aux calculs de l'intérêt privé, il est probable que des travaux utiles à la population entière seraient rarement entrepris, surtout dans les pays peu avancés dans la civilisation. Un peuple ne pourrait pas, sans compromettre ses intérêts de la manière la plus grave, renoncer à toute espèce d'entreprises d'utilité générale, jusqu'au moment où chacun des propriétaires auxquels elles pourraient profiter, serait assez éclairé pour bien apprécier ses intérêts, et pour avoir la volonté d'y participer.

On n'aurait pas non plus à exaininer ces ques

tions chez un peuple qui ne formerait jamais que des entreprises dont les revenus doivent couvrir les dépenses; qui, par exemple, ne ferait percer une route ou construire un pont, qu'autant que les droits de péage pourraient l'indemniser de tous les sacrifices auxquels il se serait soumis; qui ne ferait exécuter un canal qu'autant qne les droits établis sur la navigation seraient suffisans pour couvrir les frais de l'entreprise. En pareil cas, seraient ceux qui feraient usage de la route, du pont ou du canal, qui en supporteraient la dépense, et chacun paierait en raison de sa jouissance; il suffirait, dans un tel système, de concéder les travaux qu'on voudrait faire exécuter, à des compagnies qui en avanceraient les frais, et qui en percevraient les revenus.

Mais l'utilité de tous les travaux publics ne peut pas constamment se mesurer par les revenus qu'ils rapportent quand ils sont exécutés : une route, un pont, un canal, une rue, outre les services qu'ils rendent aux particuliers pour leurs communications, pour le transport de leurs marchandises ou de leurs denrées, pour l'exploitation de leurs propriétés, peuvent être très-utiles au public, par la facilité qu'ils donnent aux approvisionnemens, aux transports, aux communications dont le gouvernement ne saurait se passer, et qui souvent sont nécessaires, non-seulement à la

bonne administration de l'État, mais à sa défense et à sa sûreté. De tels travaux, d'ailleurs, quand ils sont bien entendus, et qu'ils sont exécutés avec économie, donnent toujours une impulsion plus ou moins forte à tous les genres de perfectionnement; car ce n'est souvent qu'en comparant leur situation à une situation supérieure, que les hommes font des progrès, et cette comparaison ne peut avoir lieu qu'autant que les communications sont faciles et fréquentes.

Enfin, il est des nations dont les mœurs admettent peu les entreprises faites par association, et chez lesquelles tous les grands travaux d'utilité publique sont exécutés sous les ordres et par les agens du gouvernement. Un tel état de choses est loin d'être bon; mais il faut bien l'accepter comme un fait tant qu'il existe, et jusqu'à ce que les mœurs ou les lois aient établi un ordre de choses différent. Or, c'est dans la supposition d'un tel état qu'ont été posées les questions qui se trouvent en tête de ce chapitre.

Il n'est presque pas de propriété foncière qui ne puisse recevoir un accroissement considérable de valeur, par suite de certains travaux publics; qu'un canal ou qu'un chemin de fer soit établi à travers une forêt qui n'avait que des communications difficiles et coûteuses, et que le bois puisse être, à peu de frais, transporté dans des lieux où il s'en fait

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