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CHAPITRE XXV.

De la loi sur le desséchement des marais qui appartiennent à des particuliers ou à des communes.

LE DROIT qu'a chacun de jouir et de disposer des choses qui lui appartiennent, est limité par le droit qu'ont les autres de jouir et de disposer' des choses qui sont à eux. Nul ne peut donc faire de ses biens un emploi qui troublerait ses voisins dans la jouissance ou dans la disposition de ceux dont la propriété leur est dévolue. Or, parmi les objets dont on ne peut avec justice contester le libre usage à personne, il n'en est pas de plus nécessaire que l'air. Des terres qui, par l'état où elles se trouvent, vicient l'air qu'on respire dans le voisinage, non seulement altèrent une chose dont la jouissance appartient en commun à tous les hommes, mais elles déprécient en outre tous les biens sur lesquels leur influence se fait sentir. Lorsque des terres semblables existent, les particuliers ou les communes à qui elles appartiennent, doivent done être tenus de les mettre dans un état tel qu'elles ne

ne puissent pas nuire; s'ils n'en ont pas l'administration doit remplir ce devoir et leur en faire supporter les charges.

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La loi qui prescrit le desséchement des marais, soit qu'ils appartiennent à des particuliers, soit qu'ils appartiennent à des communes, a eu pour objet, en effet, d'empêcher que les exhalaisons malfaisantes que répandent les propriétés de ce genre, ne corrompent l'air nécessaire à l'existence des habitans des environs, et ne troublent ainsi la jouissance d'une chose qui appartient à tous les hommes; elle a eu de plus pour objet d'empêcher 'que les propriétés situées auprès des marais ne soient dépréciées par le seul effet de ce voisinage; enfin, elle a voulu livrer à la culture des terres que l'état habituel d'inondation dans lequel elles se trouvent, rend presque inutiles pour ceux mêmes qui en sont les possesseurs.

La loi, pour être parfaitement juste, avait à veiller à trois genres d'intérêt aux intérêts des particuliers affectés dans leurs personnes ou dans leurs biens, par le voisinage des terres maréċageuses; aux intérêts des propriétaires des marais et à ceux de l'État qui fait exécuter les desséchemens par des entrepreneurs, ou qui les exécute luimême à ses risques. Le législateur avait à déterminer par quelles personnes un desséchement pourrait être provoqué, dans quelles formes l'utilité ou

la nécessité en seraient constatées, par quelle autorité les difficultés auxquelles l'opération donnerait naissance, seraient résolues. Les intérêts de ces trois classes de personnes pouvant se trouver en conflit, il fallait que les formes suivant lesquelles on aurait à procéder, et les autorités qui seraient appelées à prononcer, fussent des garanties égales pour

tous.

Personne ne peut mieux savoir si, par les exhalaisons qu'il répand, un marais vicie l'air du voisinage, que ceux qui sont exposés à en éprouver les funestes influences. Tout homme qui prouve qu'il est lésé dans sa personne ou dans ses biens par l'existence de tel ou tel marais, devait donc être admis à en provoquer le desséchement. Le silence gardé par lui-même ou par ses ancêtres, pendant une longue suite d'années, ne pourrait pas être un motif de lui refuser cette faculté; car, en admettant, ce qui n'est pas prouvé, qu'une personne puisse, par son silence, contracter l'obligation de respirer un air mal sain jusqu'à la fin de sa vie, on ne peut pas reconnaître qu'elle ait le droit de prendre un tel engagement pour ses descendans, jusqu'à la postérité la plus reculée. Un particulier et une commune peuvent bien acquérir, par la prescription, les choses qui font partie du domaine privé, telles que des terres, des maisons, des meubles; ils ne peuvent pas acquérir,

par le même moyen, le droit de vicier des choses qui sont la propriété commune du genre humain. Un père ne peut pas déshériter ses enfans du droit de respirer, ou les condamner à vivre dans une atmosphère mal saine, comme il peut imposer une servitude sur les champs ou sur la maison qu'il leur transmet.

La loi du 16 septembre 1807, qui donne au gouvernement le pouvoir de juger s'il est utile ou nécessaire de dessécher un marais, ne détermine ni les personnes qui peuvent demander le dessé chement, ni les formes à suivre pour en constater la nécessité. Sans doute, on n'a pas cru qu'il fût nécessaire d'indiquer les personnes par lesquelles la demande pourrait être faite; car ici, comme partout, l'action appartient à tout homme ayant intérêt et capacité pour agir. Mais on ne pouvait pas croire également qu'il fût inutile de déterminer les formes au moyen desquelles les particuliers ou les communes lésés par l'existence d'un marais, pourraient constater le dommage, et la nécessité du desséchement. Le gouvernement est donc resté libre d'agir ou de ne pas agir, selon que cela con

viendrait à ses vues.

que

Les terres marécageuses ont infiniment moins de valeur celles qui sont propres à la culture; si les propriétaires laissent exister des marais, ce n'est donc point par suite d'un calcul de leur part;

c'est, ou parce qu'ils ne savent pas les dessécher, ou parce qu'ils n'ont pas de moyens suffisans, ou parce qu'ils ne peuvent pas s'entendre entre eux. Il n'y a donc aucune faute à leur imputer, ņi aucune peine à leur infliger: aussi la loi se borne-t-elle à prescrire des mesures pour opérer le desséchement, sans s'occuper des dommages que le marais peut avoir causés.

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Si, lorsque le desséchement d'un marais est ordonné, et que les conditions en ont été réglées, les propriétaires consentent à l'entreprendre, la loi veut que la concession leur en soit adjugée; si non le gouvernement l'adjuge aux entrepreneurs qui font la soumission la plus avantageuse; il peut le faire exécuter aux frais de l'État, s'il ne se présente pas des entrepreneurs. Ni l'ordonnance qui prescrit le desséchement, ni celle qui l'adjuge à une compagnie ou à l'Etat, n'ont pour objet ni pour effet de dépouiller les propriétaires de leurs propriétés; mais comme les travaux à exécuter doivent avoir pour résultat d'en augmenter la valeur, il importe qu'on puisse bien constater en quoi l'augmentation consiste, afin qu'après l'opération, cha cun puisse reprendre la part qui lui revient dans la valeur totale des terres desséchées.

Il n'arrive jamais que toutes les parties d'un vaste marais soient également improductives, ou également difficiles à mettre en culture; elles valent

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