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à la multiplication de son espèce. Nous désignons par le même nom l'action par laquelle une personne s'empare, dans la vue d'en jouir et d'en disposer selon sa volonté, d'une chose susceptible de produire médiatement ou immédiatement certaines jouissances.

Nous désignons par le nom de propriétés, les choses qui sont destinées à satisfaire immédiatement nos besoins, lorsque nous les considérons comme devant être consommées dans l'ordre naturel de la production; nous dirons donc que le blé obtenu par un cultivateur d'une terre qu'il a mise en état de culture, et qu'il n'a ravie à personne, le fruit cueilli sur un arbre qu'il a planté et soigné, sont des propriétés ; nous dirons la même chose du drap qu'un homme aura fabriqué, du tableau qu'un peintre aura fait, enfin de tout ce que l'industrie humaine aura produit, sans rien enlever à personne.

Ce n'est pas seulement aux choses qui sont destinées à satisfaire immédiatement nos besoins dans l'ordre naturel de la production, qu'on donne le nom de propriétés, comme sont celles qui nous servent de vêtemens ou d'alimens; on le donne aussi aux choses qui servent à les produire. Ainsi, les outils d'un ouvrier, les machines et les ateliers d'un fabricant, sont des propriétés, parce qu'ils concourent à produire des choses propres à satis

faire nos besoins, qu'ils sont eux-mêmes les produits d'un travail ancien, et qu'ils sont spécialement destinés à pourvoir à l'existence ou au bien-être de certaines personnes déterminées. Nous donnons le même nom à des terres ou à des maisons, parce qu'elles ont également pour objet d'assurer l'existence de ceux à qui elles appartiennent. Nous verrons plus loin comment on forme des propriétés de cette espèce, non-seulement sans rien ravir à autrui, mais en contribuant au bien-être de ses semblables.

Nous ne pouvons appliquer certaines choses à la satisfaction de nos besoins sans les altérer ou les détruire. Non-seulement nous détruisons par l'usage les objets qui nous servent d'alimens ou de vêtemens, mais nous détruisons aussi les choses au moyen desquelles nous les produisons. Les outils d'un artisan, les machines d'un fabricant, les maisons que nous habitons, périssent avec le temps. Les terres elles-mêmes deviendraient improductives, du moins dans beaucoup de pays, si, à mesure qu'elles produisent des récoltes, on n'avait pas soin de leur rendre en engrais ce qu'elles donnent en subsistances. Le genre humain, en un mot, ne peut se conserver et se multiplier qu'au moyen d'une destruction continuelle de ces choses auxquelles nous donnons le nom de propriétés.

Nous disons cependant que la quantité de ces

choses ést limitée; comment est-il donc possible d'en détruire sans cesse, sans les épuiser? Ce que nous détruisons dans les propriétés que nous employons à la satisfaction de nos besoins, ce n'est pas la matière, ce sont les qualités qui la rendent propre à nos usages. Il n'est au pouvoir de personne de réduire quelque chose à rien, ou de faire de rien quelque chose; notre jouissance sur la nature se borne à modifier de diverses manières les objets qu'elle nous présente, à combiner diversement les élémens qu'elle a mis à notre disposition, ou à détruire les combinaisons qu'elle a faites.

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Chacune des petites parcelles dont un habit est formé existe lorsqu'il est complétement usé, comme au jour où on le met pour la première fois, mais elles ne se trouvent plus dans les mêmes rapports; chacun, des élémens dont la réunion forme un fruit, existent après qu'on s'en est nourri, comme au moment où il a été recueilli, mais ils sont différemment combinés; les élémens dont l'ensemble compose une maison, existent le jour où elle tombe de vétusté, comme au jour où elle commença d'être habitée, mais ils ne sont plus disposés de la même manière.

La matière ne périt donc point par l'usage que nous faisons des choses auxquelles nous donnons le nom de propriétés : ce sont les qualités qui nous

les rendent propres. Or, ces qualités sont des produits de l'industrie humaine, secondée par les forces de la nature; nous les recomposons à mesure qu'elles se détruisent, et ce sont elles qui forment un des principaux élémens des choses auxquelles nous donnons le nom de propriétés. Nous ne donnerions pas ce nom à des choses qui ne pourraient satisfaire aucun besoin, procurer aucune jouissance: un objet complétement dépourvu d'utilité serait abandonné de tout le monde.

Nous devons remarquer ici que nous estimons les choses auxquelles nous donnons le nom de propriétés, en raison des services qu'elles peuvent nous rendre; et non en raison de la quantité de matière dont elles sont formées. La matière, considérée en elle-même, et abstraction faite de toute utilité, n'est pour nous d'aucune valeur : personne ne cherche à se l'approprier. Si nous augmentons l'utilité d'une chose, si nous lui donnons des qualités qui la rendent propre à satisfaire plus de besoins, la propriété deviendra plus considérable. Si nous en diminuons l'utilité, si nous lui faisons perdre quelques-unes des qualités qui la rendaient propre à procurer certaines jouissances, à satisfaire, certains besoins, la propriété décroît dans la même proportion. Enfin, la propriété s'évanouit, si l'utilité de la chose disparaît complétement: elle est abandonnée.

Ces observations, qui sont incontestables pour les choses mobilières, ne le sont pas moins pour les terres, les maisons, ou pour d'autres choses immobilières. Une terre qui produit dix mille fr. de revenu, est une propriété aussi considérable qu'une autre terre qui a le double d'étendue, et qui ne peut pas produire un revenu plus grand. Faire subir à un champ une modification qui augmente le revenu d'un dixième, ou y ajouter un dixième en étendue d'une égale fertilité, c'est accroître la propriété exactement dans la même pro- · portion. De même, ôter, un dixième de l'étendue au propriétaire, ou modifier la totalité, de manière qu'elle produise un dixième de moins, c'est diminuer la propriété de la même valeur.

Il suit de là qu'on pourrait priver complétement une personne d'une propriété considérable, sans lui ravir un atome de matière: il suffirait d'en détruire l'utilité; c'est ce qui arriverait, si l'on mettait en pièces une statue, si l'on réduisait en cendres une bibliothèque. Il suit également de là qu'en donnant à une matière quelconque une utilité dont elle était privée; en la rendant propre à satisfaire un besoin, on crée une propriété, ou l'on accroît l'importance d'une propriété déjà formée. C'est là le résultat de l'industrie humaine : c'est de que sont venues presque toutes les propriétés que les hommes possèdent.

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