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cupe, comme nous vendons les choses qui nous appartiennent; et quand la vente en est faite et le prix payé, elle n'y prétend plus rien (1).

Si donc nous considérons, sous un point de vue général, l'aspect sous lequel se présente le genre humain, nous voyons que, depuis les temps les plus reculés, toutes les parties de la terre qui peuvent fournir aux hommes des moyens d'existence, sont occupées par des nations plus ou moins policées, ou par des hordes plus ou moins barbares; qu'à tous les degrés de civilisation ou de barbarie, les individus dont le genre humain se compose, sont réunis en familles ; que les familles se groupent les unes près des autres, pour former des hordes ou des peuplades; que chaque nation, ou chaque peuplade, est renfermée dans un espace limité de toutes parts, et qu'elle considère comme sa propriété le territoire dans lequel elle est renfermée.

Nous devons remarquer que plus une nation se

(1) Les Anglo-Américains qui achètent des terres des Sauvages, ne sont jamais en guerre avec eux; ceux qui les usurpent sont toujours exposés à des hostilités. L'état de Pensylvanie n'a jamais éprouvé d'agression de leur part; mais aussi, avant de se mettre en possession de ce pays, on en paya la valeur à la peuplade dont il était la propriété. (Weld, Voy. au Canada, t. 3, chap. 35, p. 102.-Lewis, Voy.dans l'Océan pacifique, p. xvj de la préface. Wright, lett. 12, p. 208-209.

développe par la multiplication des individus dont elle se compose, par les lumières et les richesses qu'elle acquiert, plus le territoire qu'elle occupe devient pour elle une propriété incontestable et incontestée. On a pu disputer à des hordes sauvages une partie du territoire qu'elles occupaient, parce qu'on ne voyait pas clairement comment elles s'étaient formées au moyen de ce territoire. On ne contesterait pas à une nation civilisée les terres sur lesquelles elle s'est développée, et desquelles elle tire ses moyens d'existence : on prendrait pour un fou, celui qui prétendrait que le territoire de la Grande-Bretagne, appartient à un peuple autre que celui qui le possède. Contester à une nation le territoire sur lequel elle s'est formée, c'est en réalité lui contester la vie, par la raison qu'on ne saurait l'en expulser sans la détruire presque entièrement.

Quand on considère le possesseur d'un vaste domaine, relativement à d'autres personnes de la même nation, on peut bien prétendre qu'il a usurpé sur eux les terres qu'il possède; mais il n'arrive jamais qu'on le considère comme un usurpateur relativement à des étrangers. Ainsi, les ancêtres des lords anglais, ceux des grands possesseurs de terres d'Irlande, peuvent être accusés d'usurpation relativement aux habitans de ces pays, qui n'ont aucune propriété. Personne ne s'aviserait de dire

qu'ils furent des usurpateurs relativement aux paysans français, aux serfs de la Pologne ou de la Russie. La raison en est qu'un peuple ne conteste jamais à un autre la propriété de son territoire, à moins qu'il n'ait pris la résolution de l'exter

miner.

Les partisans les plus outrés de l'égalité, ceux qui auraient voulu que toutes les fortunes fussent égales, et qui ont tenté d'introduire la communauté de travaux et de biens en divers pays, n'ont jamais réclamé l'égalité qu'entre les membres de la même nation ou de la même société. Ils n'ont pas revendiqué leur part des biens qu'ils voyaient chez d'autres peuples, et dont ils étaient eux-mêmes privés; ils n'ont pas appelé à prendre part à leurs richesses, les personnes même les plus pauvres qu'ils ont vues en dehors de leurs sociétés. Cependant, quand on croit qu'il est juste que tous les membres d'une nation aient une part égale dans la répartition des biens et des maux, il est difficile de voir pourquoi l'égalité ne régnerait pas entre les peuples comme entre les membres d'une nation; pourquoi certains peuples jouiraient éternellement d'un sol fertile et d'un climat heureux, tandis que d'autres seraient éternellement relégués sous un ciel âpre, ou sur un sol ingrat. Ne faudrait-il pas, pour établir l'égalité entre les nations, comme on veut l'établir entre les individus, que chacune d'elles eût alternative

ment la jouissance d'un bon et d'un mauvais territoire? Qu'ont fait les habitans de l'Italie pour être mieux traités par la nature, que les habitans de la Norwège? Comment la justice peut-elle tolérer l'inégalité de partage qui existé entre les uns et les autres?

Il est des gens qui trouvent contraire aux lois de notre nature, qu'un fils recueille la succession de son père; ils voudraient que les terres et même les propriétés mobilières fussent transmises à l'État, qui en confierait l'exploitation aux plus capables; à leurs yeux, la transmission héréditaire des biens du père à ses enfans, est un privilége exorbitant que rien ne saurait justifier. L'on voit bien encore ici que la propriété n'est pas reconnue, quand on compare une famille à une autre famille de la même nation; mais elle l'est complètement quand on compare un peuple à un autre peuple. Dans le système qui tend à répartir les fortunes en raison de la capacité de chacun, ce ne seront pas les fils qui succéderont à leurs pères; mais une génération succédera toujours à l'autre, dans la même nation; ce seront des Anglais qui succéderont toujours à des Anglais, des Français à des Français. Cependant, si l'on n'admettait aucune propriété, si les terres, qu'on appelle des instrumens de travail, devaient toujours passer aux mains des plus capables de les faire valoir, pourquoi ne ferait - on pas

succéder une génération d'Anglais à une génération de Russes?

Les hommes qui forment les systèmes les plus bizarres, ceux qui n'admettent pas l'existence de la propriété privée; ceux qui s'imaginent qu'il est au pouvoir des hommes de répartir d'une manière égale, entre les membres de la même communauté, les biens et les maux que la nature nous a réservés; ceux enfin qui se flattent de répartir ces biens et ces maux entre les personnes dont une nation se compose, de manière que chacune soit traitée en raison de son mérite, ne peuvent donc contester ni la séparation que la nature a mise-entre les peuples, ni la propriété du territoire que chacun d'eux possède exclusivement.

En disant que chaque peuple a un territoire qui lui est propre, je n'entends pas dire que cette propriété, à laquelle nous donnons le nom de nationale, n'a jamais été violée. Rien n'est plus commun, au contraire, que de voir, soit dans l'histoire ancienne, soit dans l'histoire moderne, des nations qui ont détruit ou asservi d'autres nations pour s'emparer de leur territoire. Les Romains ne s'agrandirent que par des usurpations de cette nature; et la plupart des colonies que les modernes ont établies en Amérique ou en d'autres pays, n'ont été fondées que sur la ruine des populations dont elles ont pris la place. Les attentats de ce genre, qui

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