Page images
PDF
EPUB

la femme à la conservation de leurs enfans. Aussi,

les voyageurs n'ont - ils jamais rencontré, même dans les pays les plus barbares, des familles vivant dans un état complet d'isolement les unes à l'égard des autres.

Indépendamment des sentimens de sympathie qui tendent à rapprocher les êtres de même espèce, les familles tiennent les unes aux autres par les alliances qu'elles contractent, par les services mutuels qu'elles se rendent, par des habitudes et une langue communes, par la ressemblance de leurs idées ou de leurs préjugés, et surtout par la jouissance en commun de choses qui sont nécessaires à leur existence, et qui ne sont pas susceptibles d'être partagées.

J'ai fait observer, dans le chapitre précédent, que partout où la nature a présenté des moyens d'existence à l'espèce humaine, on a trouvé des hommes qui se les étaient appropriés; je dois ajouter maintenant que, toutes les fois que des obstacles physiques interrompent les communications entre des terres également habitées, chaque peuplade trouve les limites de son territoire aux points où les communications sont interrompues. Il ne peut, en effet, y avoir association entre des familles qui ne jouissent de rien en commun, qui ne peuvent faire aucun échange de services, qui ne s'allient point entre elles, et qui, par suite de

l'état de séparation où elles se trouvent, ne peu

vent exprimer exactement leurs idées par les mêmes signes.

[ocr errors]

Les obstacles qui interrompent les communicá

tions entre des terres habitées, sont de diverse nature ce sont des montagnes, des mers, des marais impraticables. Les cours d'eau sont des obstacles au rapprochement des familles, ou des moyens de communication, selon qu'ils sont plus ou moins considérables, et que les peuples ont fait plus ou moins de progrès dans les arts. Des fleuves qui ressemblent à des bras de mer, comme quelquesuns de ceux du continent américain, sont évidemment des obstacles à toute communication pour des nations peu civilisées. Quand les arts auront fait des progrès, ces obstacles seront encore assez grands pour empêcher des communications nombreuses et fréquentes.

Il résulte de ceci que, moins la civilisation est avancée, plus les fractions entre lesquelles le genre humain se divise, sont nombreuses et isolées les unes des autres. Un des résultats les plus incontestables de l'accroissement de la population et du perfectionnement des arts, est, en effet, de faire disparaître graduellement les obstacles qui empêchent les hommes de traiter ensemble. Tel fleuve qui diviserait en deux hordes ennemies des hommes complétement barbares, devient, pour les

peuples qui en possèdent les rives, le moyen d'une active communication, du moment qu'ils ont trouvé l'art de construire des ponts et des bateaux, et qu'ils sont assez industrieux pour effectuer des échanges. Les obstacles que présentent les montagnes à la communication des peuples qui en occupent les versans opposés, sont plus aisément vaincus par des nations civilisées que par des peuplades encore incultes les arts et les richesses nous ont fourni les moyens de tracer des routes à travers les monts les plus escarpés.

:

les

Il faut observer cependant que ce qui divise le genre humain en grandes fractions, c'est bien moins la difficulté de gravir l'escarpement des montagnes, que la distance à laquelle sont contraintes de se tenir, par la nature des choses, grandes masses de population. En général, les hommes se multiplient dans chaque lieu en raison des subsistances qu'ils peuvent y faire croître, ou que le commerce et l'industrie peuvent y amener à peu de frais. Il suit de là que les populations les plus nombreuses sont répandues dans les par+ ties les plus spacieuses et les plus fertiles des bassins formés par les montagnes. A mesure qu'on s'élève vers la source des fleuves ou des rivières, les vallées se rétrécissent graduellement, la terre est moins susceptible de produire des subsistances, et par conséquent les hommes y deviennent de plus en

plus rares. Souvent les flancs escarpés des montagnes restent incultes ou ne sont cultivés que jusqu'à une certaine hauteur; les cultivateurs n'y restent que le temps nécessaire pour la culture ou la récolte, et redescendent dans les vallées. La population s'arrête au point où la culture et les pâturages finissent; ce qui est au-delà forme quelquefois des espaces très-étendus et plus ou moins difficiles à franchir.

Il n'est pas nécessaire que des montagnes soient très-élevées pour partager en deux fractions bien distinctes les familles qui en possèdent les versans opposés; il suffit qu'elles le soient assez pour empêcher des communications journalières et habituelles. Les populations que des montagnes divisent, quand elles ne sont pas complétement séparées, ne se touchent que par un petit nombre de points. Dans les lieux où elles se touchent, les familles sont peu nombreuses, et de chaque côté elles se portent naturellement vers le versant auquel elles appartiennent, à moins qu'elles n'en soient détournées par de grands intérêts (1).

[graphic]

(1) Pour se faire des idées nettes de la manière dont le genre humain se divise naturellement, on peut se représenter les vallées situées sur les versans opposés des montagnes, comme des triangles qui ne se rapprochent un peu que par leurs sommets, et dont les bases s'éloignent de plus en plus. La distance à laquelle ces triangles sont placés les uns à l'égard des autres,

Les mers, qui sont pour le commerce des moyens si puissans de communication, s'opposent cependant à ce que les peuples entre lesquels elles se trouvent, se réunissent pour ne former qu'une nation : la masse de la population est retenue sur chaque rive par les dangers et surtout par les frais des voyages. Les communications maritimes, outre qu'elles sont dispendieuses, et qu'elles ne sont pas sans danger, exigent trop de temps pour qu'elles puissent être fréquentes et habituelles pour un grand nombre de personnes. Une mer, quand elle a une grande étendue, est, relativement aux peuples qui en habitent les rivages, une séparation presque aussi efficace que le serait un vaste désert.

[ocr errors]

Les progrès des arts et l'accroissement de la population tendent sans cesse à faire disparaître les causes qui divisent le genre humain en une multitude de fractions étrangères les unes aux autres et souvent ennemies. A mesure que les arts se développent, les marais se dessèchent, les forêts sont percées d'une multitude de routes, ou se transforment en campagnes fertiles, les fleuves se couvrent de ponts et de bateaux, les montagnes sont

dépend de l'étendue des plateaux ou de l'élévation des montagnes. En s'avançant vers le sommet de chaque triangle, la population décroit en raison composée du rétrécissement des terres susceptibles de culture, de la dimininution de fertilité du sol, et de la difficulté des communications.

« PreviousContinue »