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de la population, dans les relations de famille, enfin, dans l'existence entière d'une nation.

Les principales positions dans lesquelles des hommes peuvent se trouver relativement à leurs moyens d'existence, sont au nombre de six.

Il peut arriver que, dans une peuplade, chaque individu n'ait, pour défendre sa subsistance contre les attaques des autres individus, que ses forces particulières et celles des membres de sa famille. Cet état est celui des hordes les plus barbares, celui qu'un grand nombre d'écrivains ont nommé l'état de nature par excellence. Dans une position pareille, nul ne cherche à obtenir de ses travaux que ce qu'il peut immédiatement consommer.

La population, au lieu d'être ainsi dépourvue de toute organisation et de toute police, peut être divisée en deux grandes classes. Il peut arriver qu'une partie, privée de toute organisation, exécute tous les travaux qu'exige l'existence de la nation tout entière, et que l'autre partie, fortement organisée, se fasse livrer par la première, sous le nom de tributs ou d'impôts, toutes les choses dont elle a besoin pour vivre dans l'aisance et dans l'oi+ siveté. Quand une partie de la population est ainsi exploitée en masse par une autre partie qui se par

tage les produits de ses travaux, celle des deux qui jouit héréditairement du monopole du pouvoir et des richesses, prend le nom d'aristocratie.

La population laborieuse, au lieu d'être exploitée en commun par une aristocratie, peut être divisée, de manière que chacun de ceux qui vivent du produit de ses travaux, possède un nombre plus ou moins grand de travailleurs, et dispose d'eux comme il juge convenable. Cet état est celui qui existait dans les républiques formées dans l'enfance de la civilisation, en Italie, en Grèce, dans les Gaules; c'est celui qui existe encore dans la plupart des colonies formées par les modernes, et même dans plusieurs des États de la fédération américaine. Quand la population laborieuse est ainsi possédée, elle est mise au rang des choses; ceux qui la possèdent ne lui reconnaissent ni droits ni devoirs : c'est le degré le plus élevé du système aristocratique.

Il arrive quelquefois qu'une nation entière est possédée par un seul homme ou par sa famille, qui l'exploite ou la gouverne au moyen d'une armée, et qui prend, dans les revenus de ses sujets, la part qu'il juge convenable, soit pour lui-même, soit agens de son exploitation on donne le

pour

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les nom de despotique au gouvernement qui peut dis

poser ainsi de la personne et des biens de chacun.

Il est une position moins commune et surtout moins durable que les précédentes, mais qui cependant a existé à diverses époques et dans divers pays: c'est celle d'une société qui, pour faire régner l'égalité entre les membres dont elle se compose, établit que tous les travaux se feront en commun, et que chacun aura une part égale dans les produits. Cet état paraît avoir été celui de tous les peuples qui passaient de l'état de chasseurs à la vie agricole; il a été aussi adopté par quelques sectes religieuses, et particulièrement par les Jésuites du Paraguay.

Enfin, il est une dernière position qui paraît n'avoir jamais été connue par les peuples de l'antiquité, et vers laquelle semblent tendre, chez les nations modernes, toutes les classes laborieuses: c'est celle d'une nation qui admet, en principe et en fait, que tout homme est maître de lui-même et des produits de ses travaux, et qui garantit à chacun des membres de la société la jouissance et la disposition des biens qui lui appartiennent.'.... ⠀

Dans le Traité de Législation, j'ai fait connaître la nature, les causes et les conséquences des cinq premiers modes d'existence; le dernier

livre traite particulièrement de la nature de l'esclavage domestique, et de l'influence qu'il exerce sur les facultés physiques, sur l'intelligence et les mœurs des diverses classes de population, sur la production et la distribution des richesses, sur l'indépendance nationale, et enfin sur l'existence tout entière des nations qui l'ont mis en pratique.

Pour suivre l'ordre naturel des idées, il me restait à traiter du sixième mode d'existence, de celui d'un peuple qui ne veut pas admettre qu'un homme puisse être la propriété d'un autre; qui proclame, au contraire, que nul ne peut être dépouillé, par ses semblables, des produits de ses travaux, ou des biens qu'il a régulièrement acquis; qui garantit, en un mot, les propriétés, de quel→ que nature qu'elles soient, contre toute espèce d'atteintes.

Cet ouvrage a pour objet de faire connaître la nature de ce dernier mode d'existence, d'en observer les développemens et les effets. Déterminé à ne jamais abandonner la méthode d'observation que j'ai suivie jusqu'ici, et à me tenir constamment dans l'étude des faits, je n'ai pas séparé la théorie de la pratique. Il ne m'aurait pas été

possible, en effet, d'observer les phénomènes sociaux, et de ne pas m'occuper de la réalité des choses. Je n'ignore pas toutefois qu'en procédant ainsi, je me suis exposé à deux reproches : les praticiens m'accuseront d'avoir donné trop de place à la théorie; les philosophes, de m'être beaucoup trop occupé des détails de la législation.

Dans l'ouvrage dont ce traité forme la suite, je me suis principalement occupé des rapports que la violence a souvent établis entre les hommes ; j'en ai exposé les causes, la nature, les effets. Désormais je n'aurai plus à m'occuper que des rapports qui s'établissent naturellement, soit entre les hommes et les choses à l'aide desquelles ils existent, soit entre les individus et les agrégations d'individus dont chaque nation se compose.

Dans le Traité de la propriété, je n'ai eu à exposer que les rapports qui existent ou s'établissent naturellement entre les hommes et les choses au moyen desquelles ils peuvent exister; et par ce mot rapport, j'entends les besoins qui sont dans les hommes, et les qualités qui sont dans les choses, et qui sont destinées à satisfaire ces mêmes besoins, dans l'ordre naturel et régulier de la production et de la transmission.

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