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Les allusions aux circonstances présentes m'ont toujours paru fort déplacées dans un ouvrage de science; elles rendent la vérité suspecte, parce qu'elles mettent en doute l'impartialité de l'écrivain. Je m'en suis donc entièrement abstenu; et cependant, en lisant quelques passages de ce traité, des personnes inattentives pourraient pen→ ser le contraire. Je dois donc m'expliquer ici clairement pour prévenir toute fausse application de mes pensées.

Dans le troisième chapitre de cet ouvrage, en exposant quelles sont les institutions qui caracté risent l'esclavage, et celles qui appartiennent à la liberté, je fais observer que partout les possesseurs d'esclaves empêchent, autant qu'ils le peuvent, qu'il ne se forme aucune sorte d'association entre les hommes asservis ; qu'ils supposent, non sans raison, que si les hommes possédés pouvaient s'entendre entre eux, tous leurs efforts tendraient vers la destruction de l'esclavage; que des hommes libres, au contraire, s'associent toutes les fois que leur intérêt l'exige, sans en demander la permission à personne ; qu'ils délibèrent sur leurs intérêts communs aussi souvent qu'ils le jugent convenable, et que nul ne les trouble dans leurs réunions,

tant qu'ils ne portent pas atteinte aux bonnes mœurs ou aux droits d'autrui (1).

En lisant ce passage, il est bien peu de personnes qui ne soient tentées de croire que l'auteur a voulu faire allusion à la loi contre les associations, qui vient d'être discutée dans le sein de la Chambre des députés. On se tromperait, cependant, si l'on avait une telle pensée; ces observations, sur le droit d'association, écrites depuis plusieurs années, étaient imprimées plusieurs mois avant la présentation du projet auquel elles semblent faire allusion. En les livrant à l'impression j'étais loin de prévoir que bientôt j'aurais à les expliquer, de peur d'en voir tirer de fausses conséquences. Aujourd'hui, comme au moment où elles furent écrites, j'ai la conviction que la faculté d'association est inhérente à notre nature, comme la faculté de manifester nos opinions, comme celle de nous livrer au travail; je crois qu'on ne saurait, sans oppression et sans injustice, en empêcher l'exercice, tant qu'il n'en résulte aucun dommage pour des particuliers ou pour le public.

Mais tout en reconnaissant le droit d'association

(1) Tome I, page 24.

que

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il me semble que ce droit peut être admis sans danger, que sous deux conditions: l'une que l'exercice en soit réglé par les lois, de telle manière la sécurité de la société générale, c'est-à-dire de la nation, ne soit pas sans cesse troublée par des associations particulières; l'autre que les écarts auxquels des associations peuvent se livrer, soit contre le public, soit contre des particuliers, puissent être réprimés par le pouvoir chargé de la répression de tous les genres de désordres.

Si le projet présenté par le gouvernement m'a paru vicieux, et si, comme tel, j'en ai voté le rejet, c'est qu'à mes yeux il ne satisfait ni aux conditions de l'ordre, ni à celles de la liberté; il ne me semble propre qu'à donner au désordre plus d'intensité, et à fournir des armes à l'arbitraire.

Suivant ce projet, qui probablement sera bientôt une loi, toute association de plus de vingt personnes est, en effet, criminelle, si le gouvernement ne l'a pas autorisée, quel qu'en soit d'ailleurs l'objet; elle ne peut exister qu'en se soumettant à toutes les conditions qu'il plaît à la police de lui imposer, et elle peut toujours être arbitrairement dissoute. Mais aussi toute association de moins de vingt-une personnes, quels que soient son

but et ses moyens, est de plein droit irréprochable, et n'est soumise à aucune règle.,

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Il suit de là qu'une association illégale de vingtun individus, qui se proposerait de porter le trouble dans la société, deviendrait légitime, en expulsant de son sein celui de ses membres qui serait le plus raisonnable; et qu'une association de vingt personnes, innocente suivant la loi, quoique animée des plus mauvais desseins, dez viendrait criminelle, si elle recevait parmi ses membres un homme doué d'assez de bon sens pour la faire renoncer à ses projets.

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Ce qui constitue, en effet, l'innocence ou la culpabilité d'une association, ce ne sont ni les intentions, ni le but, ni les moyens, c'est le nombre, et rien que le nombre; pour discerner le crime de l'innocence en pareille matière, il suffira de savoir compter le nombre de ses doigts jus qu'à vingt, tout est innocent au-delà, toute lest criminel, the siloup, oïldag erbooʻl é tod, moba

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Si les associations dont on semble avoir tant de peur, et auxquelles on attribue les plus sinistres desseins, se dissolvent quand la loi nouvelle sera promulguée, et si, de leurs débris, il se forme une multitude d'associations ayant le même

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but, et agissant par les mêmes moyens, mais comptant chacune moins de vingt-un membres, on n'aura rien à leur dire, quelle que soit l'action qu'elles exercent sur la société, pourvu qu'il n'existe pas d'affiliation entre elles.

Il est vrai que les affiliations ne leur seront pas fort nécessaires, si les membres peuvent converser entre eux, et se raconter mutuellement ce qui se passe dans leurs réunions; pour que la loi ne reste pas inefficace, il faudra considérer comme affilié à une association, tout homme qui sera convaincu d'avoir fait la conversation avec un des membres dont elle se compose.

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Ces dispositions, que des hommes qui ne sont pas dépourvus d'esprit, semblent avoir mis au rang des plus belles conceptions du génie législa tif de notre âge, si l'on en juge du moins par la chaleur et par l'enthousiasme qu'ils ont mis à les défendre, me paraissent aussi peu favorables à la sécurité et à l'ordre public, qu'elles sont contraires bla liberté. amaro to noitibes a su la 6412

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Je n'admets pas qu'il soit au pouvoir d'un ou de plusieurs hommes, même quand ils s'appellent des législateurs de changer la nature des choses, de transformer en délit ce qui, de sa nature, est

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