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des maîtres sur leurs domestiques, doivent nécessairement être subordonnées à la puissance publique, chargée de procurer le bien de la religion et celui de l'état.

4.o Les lois qui imposent une obligation de justice, doivent avoir la préférence sur celles qui ne sont fondées que sur la charité; parce que ce qui est de justice, est de droit étroit; et que la charité ne prescrit rien, qu'après que les devoirs de la justice ont été remplis. Celui qui n'a de superflu qu'une somme qu'il doit à un autre, n'en peut faire l'aumône aux pauvres : ce seroit faire l'aumône du bien d'autrui. On suppose cependant, en ce cas, que la nécessité des pauvres n'est pas extrême; on suppose encore que la nécessité du paiement de cette dette n'est pas aussi pressante que la misère des pauvres ; parce que si l'on peut légitimement différer alors de s'acquitter de sa dette, les lois de la justice et celles de la charité ne concourent plus, et on peut les accomplir successivement.

5. Les lois qui prescrivent des actes de vertus différentes de celle de la justice, doivent, lorsqu'elles concourent ensemble, être observées selon que ces vertus sont plus ou moins excellentes. C'est sur ce principe qu'il est permis à ceux qui, en veillant les malades, ont besoin de prendre quelque nourriture pour se soutenir, de le faire même aux jours de jeûne, parce que la charité qui prescrit le soin des malades est une vertu plus excellente que la tempérance, qui est le fondement de la loi du jeûne.

Les règles dont nous venons de parler supposent toujours que l'obligation qu'imposent les lois qui concourent ensemble, est également étroite. Car quoique les lois naturelles, par exemple, doivent l'emporter sur les lois positives, il faut néanmoins obéir à celles-ci, lorsque l'obligation quelles imposent est plus considérable que celle qui est de droit naturel. On est obligé, sous peine de péché mortel, d'assister à la messe les jours de fêtes et de dimanches, sila maladie de celui dont on est chargé d'avoir soin en donne le temps et le moyen. L'obligation de soulager et de servir ce malade, étant alors légère et proportionnée à la nature de sa maladie, n'est pas une raison suffisante pour se dispenser d'obéir au précepte de l'Église, d'assister en ces saints jours au saint sacrifice de la messe.

QUELLES SONT EN GÉNÉRAL LES PERSONNES QUE LES LOIS

OBLIGENT?

Il ne faut que connoître le droit du légistateur et l'étendue de son autorité, pour savoir en général quelles sont les personnes qui doivent obéir à ses lois. Car il est évident qu'elles obligent tous ceux qui sont soumis à son autorité, et qu'elles n'obligent qu'eux seuls. Elles obligent tous ceux qui sont soumis à son autorité: point de distinction à cet égard, à moins que la loi ne la fasse elle-même. Elles n'obligent point ceux qui ne sont pas soumis à son autorité : le pouvoir législatif est un pouvoir de juridiction or, tout acte de juridiction ne peut s'exercer que sur des sujets. Extra territorium jus dicenti impunè non paretur, dit le droit. Dans les articles suivants nous examinerons en détail diverses questions sur cette matière.

1.o Les lois obligent-elles les enfants et ceux qui n'ont pas l'usage de la raison ?

Les lois n'obligent point les enfants qui n'ont pas encore atteint l'âge de la raison. Toute loi est une règle de mœurs, et suppose dans ceux à qui elle est adressée, l'intelligence pour comprendre ce qui leur est commandé et ce qui leur est défendu : or, peut-on dire que les enfants qui n'ont pas l'usage de la raison, aient cette intelligence?

Les enfants doivent, à la vérité, être baptisés après leur naissance, et sans attendre qu'ils aient l'âge de raison; parce que le Baptême est un moyen qui leur est absolument nécessaire pour le salut; mais, à proprement parler, on ne peut pas dire pour cela qu'ils doivent obéir à la loi qui oblige à recevoir le Baptême, de manière que ce soit un nouveau péché pour eux de n'être pas baptisés. La privation du Baptême les laisse en effet souillés de la tache originelle, mais elle ne les rend pas plus coupables. Voilà la différence qu'il y a entr'eux et les adultes ; ceux-ci lorsqu'ils négligent de recevoir le Baptême, sont coupables, non-seulement par le défaut d'un remède nécessaire au salut, tel que le Baptême, mais encore à cause de leur désobéissance à la loi qui oblige de le recevoir. Mais on ne peut pas dire que les enfants qui ont le

malheur d'en être privés, soient coupables de la même désobéissance.

Si l'on punit les enfants à cet âge pour les fautes qu'ils font, ce n'est qu'afin de leur en inspirer de l'horreur, et pour les former au bien auquel il convient en toute manière de les accoutumer de bonne heure, afin que lorsqu'ils auront atteint l'âge de raison, ils se portent plus aisément à l'accomplissement de leurs devoirs, dont ils se seront déjà fait une espèce d'habitude.

Ils imitent volontiers et ordinairement ce qu'ils voient faire; c'est pourquoi on doit être très-attentif à ne rien faire devant eux qui soit mauvais, de crainte de les porter au mal, et de leur en faire insensiblement contracter l'habitude: car le penchant à faire ce qu'on a déjà fait, ou ce qu'on a coutume de voir faire, semble se former plus aisément à cet âge. Combien de personnes qui n'ont vécu dans le crime, le libertinage et l'impiété, et qui n'ont fait une fin malheureuse, que parce qu'elles ont été dès l'âge le plus tendre, témoins oculaires des crimes, du libertinage et de l'irréligion de ceux dont elles avoient reçu l'éducation ! Plût à Dieu que les exemples en fussent plus rares aujourd'hui !

Il résulte de ce que nous venons de dire, que les pères et mères, et les autres personnes chargées de l'éducation des enfants doivent soigneusement les empêcher de faire des actes contraires aux lois. D'ailleurs, ces personnes seroient évidemment coupables ellesmêmes, si elles toléroient des actions de ce genre, aux enfants qui leur sont confiés; bien plus encore si elles les y engageoient. Par exemple, la loi qui défend de voler, n'oblige pas personellement les enfants, quand ils n'ont pas atteint l'âge de raison, cependant il est certain que les personnes qui en sont chargées, sont coupables des vols qu'elles leur laissent faire, par dessein prémédité, et qu'elles sont obligées à restitution, même quand la chose volée auroit été entièrement employée pour l'enfant qui a fait le vol. Car, quoique les enfants ne puissent être personnellement soumis aux lois, les parents tuteurs, ou maîtres y sont soumis pour eux en pareils cas. On ne peut donc trop recommander à tous ceux qui sont chargés de l'éducation des enfants, de veiller sur eux et de ne point attendre qu'ils aient atteint l'âge de raison, pour les former à la vertu.

Quels malheurs leur prépareroit-on peut-être, pour l'avenir, si on craignoit de leur apprendre trop tôt à craindre et à aimer

le Seigneur ! On a d'autant plus de tort, dans les premières années, de regarder les enfants comme incapables d'instruction, que ce ménagement pour eux, en leur épargnant la peine des leçons, n'a lieu que quand il s'agit de les élever pour Dieu : car, s'il s'agit de les former pour le monde, on croit ne pouvoir leur inspirer de trop bonne heure du goût pour ses sentiments et ses maximes: pourquoi donc trouvera-t-on plus de difficulté à les instruire sur les premiers devoirs du chrétien? Si les premiers éléments de la religion semblent surpasser leur capacité, il ne faut pas pour cela se lasser de les leur faire apprendre et de les leur répéter sans cesse, en les leur expliquant en termes courts, précis et les plus intelligibles que l'on pourra trouver; peu à peu, en les leur faisant goûter, on leur en procurera l'intelligence, et les peines prises pour leur instruction porteront leurs fruits dans leur temps.

D'ailleurs, quoique les enfants ne soient communément censés avoir l'âge de raison qu'à l'âge de sept ans, l'expérience montre cependant tous les jours, que la raison se développe souvent plus tôt dans les uns que dans les autres; que la malice peut aussi quelquefois suppléer à la foiblesse de l'âge, et que souvent il en est qui ne sont plus enfants, quoiqu'ils paroissent l'être encore. On ne doit donc pas toujours regarder les enfants qui n'ont pas atteint l'âge de sept ans, comme entièrenient incapables de recevoir l'instruction, et de comprendre ce qu'on leur commande ou ce qu'on leur défend.

Ces réflexions justifient le pieux usage de faire assister à la messe, les enfants qui n'ont pas encore atteint l'âge de raison, en leur apprenant, par des leçons fréquentes, à respecter nos saints mystères, et, autant qu'ils en sont capables, comment ils doivent y assister. On y réussira insensiblement, en leur disant sans cesse et selon leur portée, pourquoi ils doivent y être avec modestie. C'est parce qu'on n'a pas eu cette attention dans leurs premières années, qu'on voit tant de personnes déshonorer nos temples, et outrager Jésus-Christ par leurs irrévérences et leurs profanations dans le temps de la célébration du saint sacrifice.

Si l'on avoit toujours soin de faire pratiquer aux enfants, même avant l'âge de raison, l'abstinence du carême et des autres jours de l'année, ordonnée par l'Église, selon cependant

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que leur santé et la force de leur tempérament le permettent, on ne verroit pas un si grand nombre de gens prétendre, sans avoir cependant jamais fait essai de leurs forces sur ce point, qu'ils ne peuvent absolument soutenir la rigueur de l'abstinence, et en alléguer la plupart, pour unique raison, la dispense continuelle que ceux qui les ont élevés, leur en ont accordée, et qu'euxmêmes, quand ils ont été leurs maîtres, s'en sont de tout temps donnée.

C'est ici le lieu de répondre à une demande que l'on fait souvent et qui intéresse les monastères. Pourquoi, dit-on, seroit-il défendu de faire entrer dans les monastères des religieuses, même avant l'âge de six ans, de petits enfants de différent sexe, surtout lorsqu'ils y ont des parentes religieuses, puisqu'avant l'âge de raison ils ne sont pas soumis aux lois de l'Église?

Sans vouloir examiner les divers sentiments des théologiens. sur cette question, nous croyons qu'il suffit d'observer, qu'il paroît plus conforme à l'intention du concile de Trente, lorsqu'il a fait son décret sur la clôture des maisons religieuses, de n'avoir aucun égard à l'âge des enfants lorsqu'il s'agit de les empêcher d'entrer dans les maisons religieuses, et d'en interdire l'entrée à tous sans exception. Indépendamment de plusieurs abus que la permission de les y recevoir occasionne fréquemment, n'est-ce pas un grand mal, souvent presqu'irrémédiable, d'exposer à des dangers affreux, la pureté des religieuses, surtout lorsque ces enfants sont de différent sexe, par les caresses, la plupart du temps excessives et indécentes, qu'elles en peuvent recevoir? et cum illâ ætatulâ, sermonis ac vitii ignarâ, peccatur impuniùs, dit un célèbre théologien. Nous ne voyons aucune raison qui puisse justifier davantage la permission de faire entrer dans une maison de religieux, des enfants d'un autre sexe

Ce que nous venons de dire des enfants qui n'ont point atteint l'âge de raison, doit, avec proportion, s'appliquer aux insensés, lesquels étant privés de l'usage de la raison, ne sont pas non plus obligés par les lois. Ils sont même ordinairement fort audessous des enfants: car, dans ceux-ci, on remarque bientôt une raison naissante qui les rend capables d'instruction: mais on n'aperçoit rien de semblable dans les insensés. Ceux qui ne sont fous que par intervalles, n'étant pas en état, dans les temps de leurs accès, de comprendre ce qu'on voudroit exiger d'eux, ne

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