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jeta sur son frere Abel, et le tua. L'exemple de Joseph vendu par ses frères est encore bien propre à faire voir jusqu'où une pareille passion peut porter les hommes.

Tant de passions insensées, et tant d'intérêts divers qui en naissent, font qu'il n'y a point de foi ni de sûreté parmi les hommes. La corruption est si grande parmi eux, qu'on s'excite les uns contre les autres : « Ne croyez point à votre ami, et » ne vous fiez point à votre guide. Donnez-vous de garde de » celle qui dort dans votre sein, et des enfants qu'elle vous a » donnés. Car le fils traite son père avec outrage, la fille s'élève » contre sa mère, la belle-fille s'élève contre sa belle-mère ; et l'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison.» (Mich. cap. 7, v. 5, 6.) De là vient que les cruautés sont si fréquentes parmi les hommes.

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Il n'y a rien de plus brutal ni de plus sanguinaire que l'homme. «Tous dressent des embûches à la vie de leur frère : un homme • va à la chasse après un autre homme, comme il feroit après ? une bête, pour en répandre le sang et pour lui donner la » mort, » (Mich. Ibid., v. 2.)

«

La médisance, le mensonge, le meurtre, le vol et l'adultère » ont inondé la terre, et le sang a touché le sang.» (Osée, 4. 2), c'est-à-dire qu'un meurtre en attire un autre.

Ainsi la société humaine, établie par tant de sacrés liens, est violée et détruite par les passions; et, comme dit saint Augustin, il n'y a rien de plus sociable que l'homme par sa nature, il n'y a rien de plus intraitable ni de plus insociable que l'homme, par la corrup tion de son cœur. (De Cio. Dei, l. 13, cap. 27.)

Il ne suffit donc pas que les hommes soient unis par les liens de la même société, qu'ils habitent la même contrée, qu'ils parlent un même langage. Devenus intraitables par la violence de leurs passions, et incompatibles par leurs différentes humeurs, ils ne pourroient vivre en paix, s'ils n'avoient aucune loi pour régler leur conduite, et pour décider leurs différends et leurs droits.

Cet ordre est le frein de la licence. Quand chacun fait ce qu'il veut, et n'a pourrègle que ses désirs, tout va en confusion. Un lévite viole ce qu'il y a de plus saint dans la loi de Dieu : la cause qu'en donne l'Écriture, c'est qu'en ce temps-là il n'y avoit point de roi en Israël, et que chacun faisoit ce qu'il trouvoit à propos. (Judic. cap. 17, v.6.)

C'est par l'autorité des lois que l'union est établie parmi los peuples. Elles protégent les foibles contre toutes les entreprises qui tendent à envahir et à attenter par la force. Tout droit doit venir de leur autorité; et on ne peut regarder comme légitime ce qu'elles défendent. Sous leur autorité, chacun est en repos contre l'oppression et la violence; dans leur autorité, chacun trouve un défenseur invincible et plus fort sans comparaison que tous ceux qui entreprendroient de l'opprimer. En un mot, les lois sont «< un abri, pour se mettre à couvert du vent et de » la tempête; et un rocher avancé, sous lequel chacun se met » à l'ombre dans une terre sèche et brûlante. » (Is. 32. 2, 17, 18.) La justice établit la paix ; il n'y a rien de plus beau que de voir les hommes vivre tranquillement; de les voir tous en súreté dans leurs tentes, jouir du repos et de l'abondance. Voila les fruits naturels d'un gouvernement réglé par l'autorité des lois.

De tout cela, il résulte qu'il n'y a point de pire état que l'anarchie, c'est-à-dire, l'état où chacun veut vivre à sa fantaisie, et sans aucun respect pour les lois; où il n'y a point de gouvernement ni d'autorité. Là où tout le monde veut faire ce qu'il veut, nul ne peut faire ce qu'il veut; où il n'y a point de maître, tout le monde est maître; où tout le monde est maître, tout le monde est esclave.

Tout ce que nous avons dit sur la nécessité des lois en démontre l'utilité; et comment peut-on en examiner la fin, sans en sentir tous les avantages? La fin des lois est le bien commun; c'est sur le modèle de celles qui ont Dieu pour auteur que toutes les autres doivent être faites. Or, les lois divines tendent toutes au bien commun; c'est là le but de la loi naturelle, proportionnée à la constitution de notre être, à nos besoins, à l'état de société où nous nous trouvons dans le monde, Conforme aux désirs légitimes de notre cœur, elle est faite pour nous rendre heureux autant que nous le pouvons être en cette vie; et l'observation des devoirs qu'elle impose tend à procurer le bonheur public et particulier

Mais, comme ce bonheur ne peut être absolument parfait, Dieu y a ajouté des lois positives qui ont pour objet le bien général, d'une manière plus sublime et plus relevée; puisque ce n'est pas seulement un bonheur passager ou temporel que leur

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observation procure aux hommes, mais encore une félicité infinie et la possession de Dieu même pendant toute l'éternité. Ces lois sont aussi très-avantageuses aux sociétés qui les suivent. Car, quoique la principale intention de Dieu, dans l'établissement de la religion chrétienne, n'ait été que d'ouvrir à l'homme le chemin du ciel, il n'a pas laissé de la munir des instructions les plus nécessaires au bonheur des sociétés civiles. Une société de vrais chrétiens seroit la plus douce et la plus heureuse du monde, le siége de la paix et de la concorde, le règne de la vertu et de la piété. Ceux qui sont dépositaires de l'autorité y commanderoient avec une fermeté mêlée de douceur; les sujets y obéiroient avec soumission, le travail y entretiendroit l'abondance, en bannissant tous les désordres qui sont les suites de l'oisiveté; la charité y feroit disparoître la misère et l'indigence, l'injustice et la licence en seroient bannies. On y verroit ceux qui composent cette société chercher par leur conduite tout ce qui est vrai, tout ce qui est chaste, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui peut les rendre agréables à Dieu, tout ce qui peut édifier les hommes, tout ce qui est vertueux, tout ce qui est digne de louange en fait de bonnes mœurs. (Philip. 48.)

Les lois des princes, à l'exemple de celles qui ont Dieu pour auteur, doivent avoir pour objet tout ce qui peut faire le bonheur public. Le pouvoir législatif leur a été donné pour le bien des peuples soumis à leur autorité. Le Seigneur, en les établis sant souverains, a voulu qu'ils fussent aussi les pères de leurs sujets. Les législateurs ecclésiastiques, à plus forte raison, ne doivent avoir en vue dans ce qu'ils prescrivent que le bien de la société des fidèles.

Quoique les lois doivent avoir plus directement pour objet le bien commun que le bien des particuliers, il en est néanmoins quelques-unes qui paroissent faites en faveur de certaines personnes telles sont celles qui concernent les pupilles, les veuves, etc. Ces lois ne tendent pas moins au bien général, qu'on ne peut procurer qu'en prenant soin de toutes les conditions, et en leur assurant tous les avantages qui leur conviennent. Comme les hommes sont partagés dans un grand nombre de professions différentes, outre les règlements communs à tous, il en faut nécessairement de particuliers à chaque état : le bien général ne peut résulter que du bien de chaque condition particulière.

Dans un royaume composé de plusieurs provinces, qui se conduisent par des lois différentes, pour que ces lois soient censées concourir au bien commun, il suffit qu'elles soient utiles à la province pour laquelle elles sont faites, et qu'elles ne dérangent en rien l'ordre général de l'état.

En procurant le bien général, les lois font indirectement le bien particulier des membres de la société : car ce qui fait le bien commun fait également le bien des particuliers. Ce n'est pas qu'il n'y ait quelques lois onéreuses à certaines personnes : comme sont celles qui prononcent des peines, qui imposent des tributs, qui établissent la prescription. Mais, outre que le bien public exige qu'on arrête les méchants par la crainte des peines, l'on contribue aux charges publiques, qu'on porte les propriétaires des biens à en avoir soin comme ils le doivent, en punissant leur négligence, ces lois ne procurent pas moins le bien de chaque particulier.

que

Les peines prononcées contre les transgresseurs des lois, retiennent le grand nombre dans le devoir. La crainte de donner lieu à la prescription, engage à veiller à la conservation de ce qu'on possède. La portion de nos biens que nous donnons pour payer les tributs, nous assure le reste.

DE LA LOI ÉTERNELLE.

DIEU, étant un être infiniment sage, n'a pu former des créatures, sans leur proposer une fin, et sans leur procurer les moyens nécessaires pour y parvenir. Il se suffit à lui-même; il possède de toute éternité une gloire et une béatitude qui ne peut jamais ni croître ni diminuer : il n'a pas besoin de créatures qui lui rendent hommage; leurs adorations et leurs louanges ne peuvent le rendre ni plus grand ni plus heureux. Mais, dès qu'il s'est déterminé à les tirer du néant, il étoit de sa souveraine sagesse de leur proposer une fin qui en fût digne, de leur enseigner et de leur donner tout ce qui étoit nécessaire pour parvenir. à cette fin.

Nous ne considérons ici la loi éternelle, que par rapport aux créatures spirituelles, intelligentes, raisonnables, libres, capables de discerner et de choisir le bien et le mal. Ce que les théolo

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giens en disent, par rapport aux créatures privées de raison et d'intelligence, ne peut s'entendre que de ces lois générales, par lesquelles le Seigneur a établi, conduit et règle ce bel ordre que nous admirons dans l'univers. Dieu ayant formé ces créatures conduit pour une certaine fin, les y par les moyens que sa sagesse et sa providence jugent les plus convenables. Elles obeissent constamment à ses lois, avec une régularité qui ne leur permet pas de s'en écarter jamais. Ce n'est pas par choix et avec connoissance qu'elles les suivent, mais nécessairement et par une impression à laquelle elles ne peuvent se refuser. C'est ainsi que le mouvement s'entretient et se communique dans le monde. Le soleil chaque jour fournit sa carrière; les astres font leurs révolutions de la manière et dans les temps que Dieu leur a marqués; la mer respecte les bornes qu'il lui a prescrites, les jours se succèdent constamment les uns aux autres dans l'ordre réglé par sa toute-puissance; le feu, la grêle, la neige, la glace, les tempêtes, obéissent à sa voix en un mot, toutes les créatures privées de la raison et de l'intelligence exécutent les ordres du Seigneur, parce que tout est soumis à ses volontés, dit le prophète roi. Mais la volonté du Seigneur n'est point, à l'égard de ces créatures, une loi, un commandement, dont elles puissent se servir pour diriger leurs actions; puisqu'elles n'ont ni entendenent pour connoître ce qui leur est ordonné, ni liberté pour s'y porter, et qu'elles sont absolument incapables de le comprendre.

La loi éternelle est la sagesse et la vérité éternelle de Dieu. Cette loi étant Dieu même, qui est la raison, l'ordre et la justice essentielle, en qui sont les idées éternelles et immuables de tout ce qui est bon, juste, raisonnable, est la règle suprême, primitive, originale, universelle et invariable. Tout ce qui s'accorde avec elle, tout ce qu'elle commande ou approuve, est bon tout ce qu'elle condamne ou défend, tout ce qui s'en écarte est mauvais, et n'est mauvais que par le défaut de conformité avec elle, comme tout ce qui est bon n'est bon que par la conformité qu'il a avec cette loi. C'est pourquoi saint Augustin dit que le péché est une action, ou une parole, ou un désir, contraire à la loi éternelle et la loi éternelle, ajoute-t-il, est la souveraine raison, ou la volonté immuable de Dieu.

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Loi éternelle, dit ailleurs ce saint docteur qui fait qu'il est juste que chaque chose soit dans son ordre: qua justrum est ut omn

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