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DES CAUSES QUI OTENT L'OBLIGATION DU VOEU.

ON ôte l'obligation du vou, ou en le rendant invalide avant qu'il soit fait, ou en délivrant celui qui l'a fait validement de la loi qu'il s'étoit imposée. L'inhabilité décernée par le supérieur est la seule cause qui périme le vœu avant qu'il soit formé. Mais il y a quatre causes qui éteignent son obligation déjà contractée, savoir: le changement, l'irritation, la dispense et la commutation. Nous en parlerons séparément.

1.° De l'inhabilité à faire des vœux.

Les lois, et la défense faite par ceux qui sont préposés pour gouverner les peuples, peuvent rendre ceux-ci incapables de s'engager par des vœux, au moins en certaines circonstances. Le saint concile de Trente déclare nulle et invalide la profession de ceux qui entrent en religion, si elle se fait avant seize ans accomplis et une année entière de noviciat. L'ordonnance de Blois, article XXVIII, fait la même défense. ( L'édit. de mars 1768, concernant les ordres religieux, ordonne, article I, qu'aucun ne pourra s'engager par la profession monastique ou régulière, s'il n'a atteint, à l'égard des hommes, l'âge de vingt et un ans accomplis; et, à l'égard des filles, celui de dix-huit ans, pareillement accomplis.)

Sur cette matière, le terme fixé est pris rigoureusement, c'està-dire, qu'il faut que le dernier jour de l'âge prescrit soit entiè rement écoulé; et cela est d'autant plus nécessaire que l'heure de la naissance n'étant point marquée dans les registres du baptême, on seroit en danger d'admettre aux vœux solennels une personne qui n'a pas l'âge exigé par les lois.

Il faut aussi que l'année du noviciat soit pleine et entière, et qu'elle ait été continuée sans interruption. Pour savoir si cette continuité doit être physique, ou s'il suffit qu'elle soit morale, on n'a qu'a lire les auteurs qui ont traité cette question.

2.° Du changement qui fait cesser l'obligation du væu.

Les choses changent en matière de vou, quand la fin qu'on s'étoit proposée cesse, ou que la matière du vœu n'est plus la

même, ou que le vœu dépend d'une condition qui vient à manquer. Comme ces changements peuvent ne pas aller jusqu'à éteindre l'obligation du væu, les règles suivantes feront connoître ce que l'on doit en penser.

REGLE I. L'obligation du vœu cesse, quand la cause finale et prochaine de ce vœu vient à cesser totalement. Cette règle et les exceptions qu'elle porte avec elle ne peuvent mieux se prouver que par des exemples.

Si quelqu'un a fait vœu de donner tant par mois à un tel pauvre, qui depuis est devenu riche; d'aller dans un tel endroit en pèlerinage pour obtenir la guérison de son père qu'on lui a dit être malade, et qui étoit mort, ou déjà guéri, quand le vœu a été fait; de ne pas entrer dans une telle maison, parce qu'il y demeuroit des personnes dangereuses pour lui, lesquelles en sont sorties depuis: dans tous ces cas, le vœu cesse d'obliger, parce que, quoique l'honneur de Dieu, qui est la cause éloignée, subsiste toujours, les raisons qui avoient prochainement déterminé à le faire ne subsistent plus. Mais si ce pauvre, sans cesser d'être véritablement tel, étoit seulement un peu moins à plaindre qu'auparavant; si, dans la maison que deux personnes rendoient dangereuse à celui qui a fait le vœu, il en restoit encore une; ou si celles qui s'en étoient absentées pour un temps y étoient revenues dans la suite, le vœu auroit toujours subsisté dans les deux premiers cas, et il renaîtroit dans le troisième; parce qu'un vœu n'est éteint que quand sa fin prochaine cesse totalement et pour toujours.

Pour savoir si un homme que deux raisons auroient engagé à faire un vœu est obligé de l'accomplir, quand une des deux vient à manquer, il faut examiner s'il s'est formé de ces deux motifs une cause totale; ou si, quand même une des deux n'auroit pas subsisté, il auroit toujours fait la même promesse. Dans la première supposition, il est déchargé de son vœu; et dans la seconde, il est tenu de l'accomplir. Pascal, par exemple, s'est engagé par vœu à aller à Rome, soit pour honorer le tombeau des apôtres, soit pour adoucir l'esprit de son père irrité contre lui, auquel il sait que cette dévotion sera agréable; son père meurt avant que le vœu soit exécuté : si l'honneur que Pascal a voulu rendre au tombeau des apôtres l'a tellement déterminé à faire ce vœu qu'il l'eût fait, quand même ce n'eût pas été un

moyen pour lui de rentrer dans les bonnes grâces de son père, il est obligé d'accomplir son vou, quoique son père soit mort. Si au contraire le motif d'honorer le tombeau des apôtres ne l'eût pas engagé seul à faire cette promesse, sans celui de plaire aussi par-là à son père et de se réconcilier avec lui, la mort de son père fait cesser l'obligation du væu. Dans le doute, il faut présumer pour le vœu.

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Lorsque celui qui a fait un vœu manque par sa faute à l'exécuter dans le temps qu'il s'étoit prescrit, et que cependant la cause du vœu vient à cesser; alors, quoiqu'il ait péché en n'accomplissant pas son vœu au temps marqué et qu'il doive en faire pénitence, disent plusieurs célèbres théologiens, il est cependant délié de ce vou.

Par exemple, Titius a promis de donner avant quinze jours la somme nécessaire pour racheter Jean de l'esclavage; mais comme il n'a pas exécuté ce vœu dans le temps qu'il l'avoit promis, il n'est plus en état de l'accomplir, parce que Jean est mort esclave. Selon ces auteurs, Titius est déchargé alors de son vœu; mais pour cela il faut supposer que la première intention de Titius, quand il a fait cette promesse, n'a pas été de délivrer un esclave quel qu'il fût, et que la délivrance personnelle de Jean a été son premier et principal objet.

RÈGLE II. Tout changement de matière, qui, s'il eût été prévu dans le temps qu'on a fait un vou, auroit empêché de le faire, ne suffit pas pour en éteindre l'obligation: autrement il n'y auroit rien de sûr dans les conventions des hommes. D'ailleurs, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, il n'est pas nécessaire pour la validité d'un vœu de prévoir toutes les suites qu'il peut avoir, les chagrins, les troubles et les inquiétudes qu'il pourra produire. Ainsi, celui qui auroit fait vœu de donner l'aumône à un pauvre, qu'il croyoit vertueux ou attaché à ses intérêts, ne peut pas manquer à sa promesse sous prétexte qu'il peut assurer que, s'il avoit bien connu cet homme, il auroit mieux placé ses libéralités. La raison primitive de tout ceci, c'est qu'il y a des changements considérables qu'on n'a manqué de prévoir que par sa faute.

Il faut donc, afin que le changement de la matière du vœu en éteigne l'obligation, qu'il soit si considérable que, selon l'esti– mation des hommes prudents, on ne puisse juger qu'une personne sage ait voulu s'obliger en cas qu'il survint telle et telle

circonstance: il faut un changement qui rende la chose promise moralement différente de ce qu'elle étoit quand on l'a promise. La raison en est 1.o qu'un homme qui a fait vœu ne s'engage pas à l'accomplir à tout événement; mais il le fait sous cette condition tacite, que si les choses viennent à un état où il n'y auroit ni raison, ni équité à exiger qu'il l'accomplît, il en sera déchargé; 2.o que le you, étant une loi privée, n'oblige pas audelà de l'intention de celui qui a bien voulu se l'imposer: or, l'intention d'un homme sage qui s'oblige à une chose n'est pas de s'obliger à une autre moralement différente de la première, telle que seroit celle où il surviendroit un notable changement. Ceci est évident par l'exemple d'un homme qui, étant fort à son aise, auroit fait vœu de donner chaque année vingt pistoles aux pauvres : s'il ne perdoit que quelque portion de son revenu, quoique son aumône lui coûtât plus qu'auparavant, il ne seroit pas dispensé de la continuer; mais si le malheur des temps, ou l'injustice des hommes le réduisoit à un état où il eût peine à subsister lui-même, il seroit déchargé, ou plutôt on doit lui suspendre une obligation qui, par le changement des circonstances, est devenue moralement impossible par rapport à lui.

D'où il résulte qu'un homme est quitte de son vou, ou pour toujours, ou pour un temps, quand il ne peut l'accomplir sans péché, ou sans courir risque de la vie, de l'honneur, ou de faire une perte considérable; en un mot, quand il se trouve dans une situation où il seroit dispensé d'accomplir les lois de l'Église ou du prince.

vœu,

Il faut cependant remarquer ici 1.o qu'un homme peut faire. vœu d'une chose qui le mettra en danger de mort : ainsi, s'il s'est engagé à servir les pestiférés, il doit le faire, quelque chose qui puisse lui en arriver : le péril qu'il court alors est attaché à son et il en est de lui comme d'un soldat qui, quelque dangereux que soit son poste, doit s'y tenir jusqu'à la fin; 2.o que dans le doute, si le changement survenu dans la matière du vœu est assez notable pour en arrêter l'obligation, il faut préjuger pour le vœu, parce qu'une excuse douteuse ne lève pas un engagement certain; 3.o qu'on ne raisonne pas d'un vœu solennel comme d'un vœu simple. Celui-ci se compare aux fiançailles, et le premier au mariage : ainsi, comme quelque chose qui survienne le mariage une fois valablement contracté subsiste tou

jours; de même, quelque changement qui puisse arriver, l'engagement religieux ne s'éteint jamais, à moins que des raisons extraordinaires n'engagent le pape à en dispenser.

RÈGLE III. Le vœu fait sous une condition qui ne s'accomplit pas n'oblige point. Ainsi une mère qui a fait vœu de faire une fondation, si Dieu rendoit la santé à sa fille, n'y est pas tenue si sa fille vient à mourir. Un homme qui a fait vœu de se faire chartreux, et qui ne l'a pu faire qu'à condition qu'on voudroit bien le recevoir, doit se tenir tranquille, si l'on ne juge pas à propos de l'admettre; pourvu que, par sa faute, ou par sa lâcheté, il ne se soit pas rendu indigne d'être reçu : car alors il seroit obligé, ou de tenter de nouveau de se faire recevoir, s'il étoit possible, ou de faire pénitence de sa mauvaise conduite qui l'a fait exclure.

Si cet homme, en faisant le vœu de se faire chartreux, a eu en vue une telle maison en particulier, il est déchargé de son vœu, si cette maison où il prétendoit s'engager ne veut point de lui. S'il a eu en vue l'ordre tout entier, indépendamment des maisons particulières, ce n'est pas assez qu'il se présente à une maison, il faut qu'il en essaie quelques autres, ad arbitrium viri prudentis; puisqu'il est d'expérience qu'un homme qui ne plaît pas à un supérieur peut plaire à un autre; et qu'une maison qui a moins de sujets, ou qui les nourrit plus aisément, n'est pas si difficile qu'une autre qui en a beaucoup, ou qui ne peut les élever qu'à grands frais. Enfin, s'il a eu dessein de se faire religieux, quelque part que ce pût être, il faut qu'il se présente à plusieurs maisons, ou du même, ou de différents ordres. La raison de cette décision, comme de la précédente, est qu'un homme qui a fait un vœu est non-seulement tenu d'avoir l'intention sincère de l'accomplir, mais encore de faire une diligence morale pour y réussir.

A l'égard du choix des ordres, lorsqu'on a fait vœu en général de se faire religieux, cela dépend de l'intention, du zèle et de la ferveur de celui qui a fait le vœu. Dans le doute on doit, pour le plus sûr, lui conseiller d'entrer où l'on voudra le recevoir, s'il ne peut être reçu dans d'autres où il s'est déjà présenté.

Celui qu'on ne voudroit recevoir qu'en qualité de frère lai, et dont l'éducation et les études tendoient à un autre état, ne seroit pas obligé de prendre ce parti.

Celui qui ayant fait vœu d'entrer dans une communauté très

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