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3.° Qu'un banqueroutier, qui a détourné une partie de ses biens pour n'être pas réduit à la mendicité, ne peut jurer qu'il

n'a rien détourné;

4.° Qu'un homme qui a perdu sa quittance peut bien jurer qu'il a payé ; mais non qu'il n'a rien emprunté, en entendant en lui-même qu'il n'a rien emprunté qu'il soit obligé de rendre;

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5.° Que celui à qui le juge demande d'une manière juridique s'il a tué un tel ne peut le nier, en sous-entendant qu'il ne l'a pas tué un tel jour, ou qu'il ne l'a pas tué de sa propre main, ou qu'il ne l'a pas tué avant qu'il fût au monde.

En un mot, on doit éviter dans tous ses discours, et encore plus dans les jurements que l'on est obligé de faire, tout ce qui ne s'accorde point avec la simplicité chrétienne. Saint Augustin enseigne même que, si un père prêt à expirer demande des nouvelles de la santé d'un fils qu'il aime tendrement, ceux qui savent que ce fils vient de mourir ne peuvent répondre ni qu'ils ne savent comment il se porte, ni moins, encore qu'il se porte bien; mais que, quoi qu'il en puisse arriver, ils doivent dire les choses comme elles sont, et être bien persuadés, ajoute ce saint docteur, que ce ne seroient pas eux, mais la vérité seule qui porteroit alors le coup mortel à ce père infortuné.

La doctrine des équivoques et des restrictions mentales est, à la vérité, très-commode, et elle est propre à tirer d'affaire en bien des occasions; mais ce n'est pas par la commodité, ou par les inconvénients, qu'il faut juger de la vérité d'un sentiment. L'Ecriture sainte, la tradition, les décisions de l'Église, prises dans leur sens naturel, sont les premières règles qu'il faut consulter. Si l'on faisoit des équivoques et des restrictions mentales, l'usage que certains casuistes ont permis d'en faire, elles devien droient bientôt inutiles; chacun seroit en garde contre son frère; les discours les plus précis rassureroient à peine; on y verroit de l'équivoque, lors même qu'il n'y en auroit point; et l'on y en soupçonneroit, quand on ne pourroit y en apercevoir distinctement. On ne croit rien de ce que dit un menteur; croiroit-on beaucoup un homme qui auroit pour principe qu'il lui est permis de répondre sans égard à la pensée de ceux qui l'interrogent, et de leur donner le change par des paroles équivoques? Saint Augustin condamnoit de son temps la pernicieuse doc

trine qui enseigne à faire des parjures: Perjuri sunt, dii ce saint docteur (ep. 125, aliàs, 224), qui, servatis verbis, exspectationem corum quibus jurandum est, deceperint.

On ne peut autoriser les restrictions mentales par l'exemple d'un confesseur qui, étant interrogé sur un crime dont on lui a parlé dans le tribunal, doit répondre qu'il n'en sait rien; tout le monde chrétien sait qu'il ne peut être interrogé comme confesseur sur les péchés de son pénitent : ainsi, il ne trompe personne, quand il assure qu'il n'a aucune connoissance d'un fait dont il n'est instruit que par la confession; sa réponse convient parfaitement à la demande. Il est aussi sûr qu'on ne l'interroge que comme particulier qu'il le seroit si on le lui avoit d'abord déclaré. Son ministère est en ce point une espèce de contrat passé entre lui et tous ceux qui le connoissent, au moyen duquel on ne peut lui demander que ce qu'on peut demander à tout autre; ses paroles sont prises sur ce pied, et c'est pour cela qu'elles ne vont ni à charge, ni à décharge.

cent; car,

Si quelqu'un étoit donc assez imprudent pour aser lui demander si son pénitent ne lui a rien découvert en confession, il peut et il doit sans équivoque quelconque, ou répondre que non, quelqu'aveu que le pénitent ait pu lui faire; ou protester bien distinctement qu'il n'a rien à répondre à une demande si impie. Il doit même s'en tenir à cette dernière réponse, quand il est sûr que celui dont il a entendu la confession est très-innosi dans ce dernier cas il répondoit que non, et entreprenoit de le justifier, il feroit deux fautes considérables: il coopèreroit à une action criminelle en obéissant à ceux qui lui feroient cette interrogation impie; et il ne pourroit éviter dans la suite de compromettre un coupable, pour lequel il ne pourroit pas dire ce qu'il a dit pour un innocent. Celui qui seroit accusé d'un meurtre qu'il n'auroit pas commis ne pourroit, contre la vérité, jurer qu'il ne s'est pas trouvé à telle heure dans le lieu où ce meurtre a été fait, quand il n'auroit que ce moyen pour se tirer d'affaire et éviter le supplice. Il doit parler alors selon la vérité, quoi qu'il doive lui en coûter, et remettre son sort entre les mains de Dieu. Il est fåcheux qu'un innocent périsse; mais il est bien plus fâcheux d'outrager la vérité par un parjure; et c'en est un de prendre Dien a témoin qu'on n'étoit pas dans un lieu où on étoit effectivement,

Il faut en dire de même de celui qui auroit tué un homme, croyant tuer une bête fauve; il ne peut jurer qu'il n'a pas tué cet homme, sous-entendant qu'il ne l'a pas tué d'une manière punissable: et qu'on ne dise pas que répondre ainsi, c'est répondre selon la pensée du juge, qui n'a pas dessein de punir un homicide involontaire; car rien n'est plus frivole que cette défaite. Le juge ne lui demande pas s'il a eu bonne ou mauvaise intention; il lui demande s'il a fait une telle action extérieure. L'interrogation est toute simple; la réponse doit l'être aussi. Il en arrivera tout ce qu'il plaira à Dieu; il vaut mieux entrer dans la vie éternelle, chargé de honte, que d'être précipité dans l'enfer avec sa réputation.

Quant à celui qu'un mauvais juge interrogeroit contre les règles, innocent ou coupable, il n'est pas obligé de répondre; il doit se tenir ferme à représenter qu'on le questionne contre l'ordre du droit; ou décliner par toutes les voies licites la juridiction de celui qui l'interroge; mais il doit plutôt souffrir qu'on lui fasse son procès comme à un muet volontaire que de trahir la vérité par le mensonge, la duplicité, ou l'équivoque.

Celui qui répond à un juge, qui a droit de l'interroger et d'exiger de lui le serment, est obligé de se conformer dans sa réponse à l'intention du juge qui l'interroge, pourvu toutefois qu'il ne soit pas interrogé contre l'ordre de la justice; par exemple, sur des choses sur lesquelles il ne peut répondre, suivant l'intention de ce juge, sans intéresser la religion, la justice, ou la charité.

A l'égard des restrictions, que les théologiens appellent latè mentales, qui peuvent se connoître et s'entendre, ou par la manière de parler et de répondre, ou par les circonstances, ou par la coutume, et que plusieurs auteurs exacts autorisent, il est fort aisé d'en étendre trop le principe, et d'en tirer des conséquences pernicieuses qui feroient rentrer dans la pratique des plus mauvaises restrictions. Celles qu'on peut passer se réduisent à deux : supprimer une vérité, sans rien dire de faux ; se servir d'une expression plus capable, à raison des circonstances, de faire concevoir que nous ne voulons pas parler, que de porter un sens faux à l'esprit de ceux qui nous interrogent.

C'est en se servant de la première restriction que le prophète Samuel, allant sacrer David à Bethleem, se contenta de

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dire aux anciens qu'il étoit venu faire un sacrifice, quoique la consécration de David fût le principal motif de son voyage. On excuse aussi, à raison des circonstances, certaines paroles qui, sans ces mêmes circonstances, présenteroient un sens faux.

C'est par là que des directeurs très-sages justifient un domestique qui dit que son maître n'est pas chez lui: on sait aujourd'hui que c'est une manière honnête de dire qu'une personne n'est pas visible et l'on n'y est trompé que quand on ignore les usages du monde. Le ton même dont on répond à certaines demandes peut quelquefois faire entendre qu'en effet on ne veut pas répondre. Mais en tout cela il faut bien des précautions; et une des principales est d'éviter toutes sortes de serments dans ces occasions. Un domestique, qui jureroit que son maître n'est pas chez lui, seroit censé dire autre chose que celui qui répondroit sans faire de serment. Sans cela le serment ne seroit plus une assurance capable de terminer, tous les différends qui s'élèvent parmi les hommes.

DE L'OBLIGATION DU SERMENT.

Tout le monde convient que le jurement assertoire oblige à dire la vérité: il ne s'agit ici que de cette espèce de jurement qu'on nomme promissoire. On demande s'il faut toujours accomplir une promesse confirmée par serment: voilà la difficulté.

Pour la résoudre, il faut supposer 1.o que le serment peut avoir un objet ou bon, ou mauvais, ou indifférent; 2.o qu'il est quelquefois fait avec liberté et connoissance de cause; quelquefois exigé par l'injustice, ou extorqué par la crainte, ou surpris par le dol, l'artifice et l'erreur; 3.o qu'il y a des serments absolus, et d'autres qui se font sous condition; 4.o enfin, qu'il y en a de sincères; et d'autres qu'on fait avec un dessein formel de ne se pas obliger, ou au moins de ne pas exécuter ce qu'on paroît promettre à l'extérieur.

1.o On est étroitement obligé d'exécuter les promesses confirmées par serment, lorsque les choses promises sont possibles, justes, honnêtes et raisonnables; et à plus forte raison lorsque

serment engage à faire une bonne œuvre. Si un homme s'est

lie par un serment, dit Dieu ( Nombr. 30, c. 3), il ne manquera point à sa parole; mais il accomplira tout ce qu'il aura promis. On ne peut donc excuser de parjure celui qui, sans une cause juste et légitime, manque à exécuter ce qu'il a promis avec serment. La vertu de religion nous oblige à faire ce que nous pouvons et ce qui dépend de nous, afin de rendre vrai notre serment; car la vérité future est absolument requise dans le jurement promissoire, comme la vérité présente ou passée est nécessaire au jurement assertoire. En effet, il y a comme deux propositions dans le jurement promissoire : la première, qui regarde le temps présent, est que celui qui jure a, dans le temps qu'il fait son serment, la volonté de faire ce qu'il promet; en ce sens son jurement est assertoire, et doit dans ce moment être fait avec vérité : la seconde, qui regarde l'avenir, est que celui qui jure fera ce qu'il promet; son serment l'engage donc, sous peine de parjure, à faire ce qu'il a promis, autant qu'il le pourra et que la chose dépendra de lui.

Le violement du serment promissoire est de sa nature un péché mortel; car c'est commettre une grande irrévérence contre Dieu que de ne pas accomplir une promesse qu'on a autorisée de son nom et de son témoignage, puisque c'est mépriser son autorité souveraine.

Tous les théologiens ne conviennent pas que ce violement puisse devenir péché véniel par le peu d'importance de la chose promise, parce que, disent plusieurs, la vérité, qui est la même dans les petites choses que dans les grandes, est essentielle au jurement; et en n'accomplissant pas la chose promise, quoique de peu de conséquence, surtout quand elle forme elle seule la matière totale du jurement, on fait que le serment manquant de vérité devient parjure.

Le serment de faire une bonne œuvre oblige en conscience: si le serment oblige, il ne peut jamais mieux obliger que quand il engage à faire quelque chose de bien.

Le serment de faire une chose agréable à Dieu peut, comme le vœu, être commué en quelque chose de meilleur, indépendamment du ministère des pasteurs, à moins que la promesse du premier bien ne soit au profit d'un tiers; car alors, si elle a été acceptée, on ne peut y toucher sans l'agrément de celui qu'elle intéresse. Il faut cependant excepter de cette li

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