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SUR LE RITUEL.

DES LOIS.

DE LA NÉCESSITÉ DES LOIS.

Il est important que les confesseurs s'appliquent à faire con

noître aux pénitents qui s'adressent à eux, et dans toutes les occasions qu'ils en trouvent, le respect et l'obéissance que les hommes doivent aux lois qui les obligent. On ne doit rien oublier pour les en bien convaincre.

Rien n'est sans loi, dit saint Bernard (ep. 11.); il faut donc que l'homme connoisse quelles sont celles auxquelles il doit se soumettre. On appelle loi, un réglement, une disposition qui doit servir comme de mesure et de règle pour diriger les actions, soit pour éviter le mal, soit pour faire le bien. Les lois faites pour l'homme, ne sont donc autre chose que les règles qui lui appartiennent, comment il doit se conduire; et la conduite de l'homme n'est autre chose que ses démarches, relativement à sa fin.

Ainsi, pour découvrir les premiers fondements des lois faites pour l'homme, il faut connoître quelle est sa fin; parce que sa destination à cette fin, est la première règle des démarches qui doivent l'y conduire, et par conséquent la première loi qu'il doit écouter, et le fondement de toutes les autres.

L'homme a une âme qui anime son corps; et cette âme a un entendement pour connoître, et une volonté pour aimer. L'homme doit donc avoir quelque objet auquel il puisse s'unir, et dont la connoissance et l'amour fassent son repos et son

bonheur. C'est vers cet objet, par conséquent, que doivent tendre toutes ses actions et tous ses efforts.

D'où il s'ensuit que la première loi pour l'homme est sa destination à la recherche et à l'amour de l'objet qui doit être sa fin, et où il doit trouver sa félicité; et que cette loi, étant la règle de toutes ses voies, doit être le principe de toutes les lois qu'il doit observer.

Pour connoître donc quelle est cette première loi, quel en est l'esprit, et comment elle est le fondement de toutes les autres, il faut voir quel est l'objet à la possession duquel elle nous destine.

De tous les objets qui s'offrent aux yeux de l'homme dans l'univers, en y comprenant l'homme lui-même, il ne trouvera rien qui soit digne d'être sa fin. Car, en lui-même, loin d'y trouver sa félicité, il n'y verra que les semences des misères et de la mort. Et autour de lui, si nous parcourons tout cet univers, nous trouverons que rien ne peut y tenir lieu de fin, ni à notre esprit, ni à notre cœur. Aussi voyons-nous que si Dieu nous apprend, dans les livres saints, la manière de bien user des créatures, il a caché à notre esprit une infinité de connoissances qui nous sont inutiles. Tout ce que le Seigneur a fait est bon (Eccles. 3. 11.): il a fait chaque chose en son temps, afin que ses créatures puissent élever les hommes à la connoissance et à l'amour de leur Créateur; mais Dieu ayant vu que les hommes ne les contemploient que pour satisfaire leur curiosité et leur orgueil, a lioré le monde à leurs vaines disputes; sans que l'homme, par toutes ses recherches, puisse connoître parfaitement les ouorages que Dieu a créés dès le commencement du monde, et qu'il conserve jusqu'à la fin. Ne recherchez donc point ce qui est audessus de vous, nous dit l'Esprit saint (Eccli. 3. 22.), et ne tâchez point de pénétrer ce qui surpasse vos forces. Mais pensez toujours à ce que Dieu vous a commandé, et n'ayez point la curiosité d'examiner la plupart de ses ouvrages.

A l'égard de notre cœur, personne n'ignore que le monde entier n'est pas capable de le remplir, et que jamais il n'a pu faire le bonheur de ceux qui l'ont le plus aimé, et qui en ont le plus joui. Cette vérité se fait si bien sentir, que, si l'on veut être de bonne foi, personne ne doit avoir besoin qu'on lui persuade qu'il n'y a dans le monde que vanité et affliction d'esprit. Apprenons donc, et ne l'oublions jamais; apprenons de ce

lui qui a formé l'homme, que Dieu seul, étant le principe de l'homme, est aussi seul sa fin; qu'il n'y a que Dieu qui puisse remplir le vide infini de cet esprit et de ce cœur qu'il a faits pour lui; et qu'il n'y a dans ce monde, rien de solide, que d'aimer Dieu et de s'attacher à lui seul.

Oui, c'est pour Dieu même que Dieu a fait l'homme. C'est pour le connoître, qu'il lui a donné un entendement ; c'est pour l'aimer, qu'il lui a donné un cœur; et c'est par les liens de cette connoissance et de cet amour, que le Créateur veut que les hommes s'unissent à lui, pour trouver en lui et leur véritable vie et leur unique félicité.

C'est en recevant un esprit intelligent, immortel, capable de connoître et d'aimer Dieu, que l'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Ubi autem factus est homo ad imaginem Dei? demande saint Augustin (Tract. 8. in Ep. Joann.). Voici sa réponse: In intellectu, in mente, in intcriore homine; in eo quòd intelligit veritatem, dijudicat justitiam et injustitiam, nooit à quo factus est, potest intelligere Creatorem suum, laudare Creatorem suum.

Mais comment l'homme pourra-t-il connoître la vérité, distinguer la justice d'avec l'injustice; juger si ses actions sont droites et bonnes, ou si elles ne le sont pas ; voir ce qu'il doit fuir et ce qu'il doit rechercher; s'assurer s'il fait tout ce qu'il doit faire pour plaire à son Créateur, pour rendre hommage à son Créateur; com→ ment, dis-je, le pourra-t-il, s'il n'a aucune règle qui le guide, qui l'instruise de ses devoirs, qui dissipe ses ténèbres, qui le fixe dans ses doutes et ses incertitudes, qui lui montre la voie qu'il doit suivre, pour arriver au bonheur que Dieu prépare à ceux qui l'aiment? Car il n'y a que l'impie qui ose dire que la vertu et le vice ne sont que des noms qui ne signifient rien, et que toute voie conduit également l'homme à la félicité à laquelle il est destiné.

Et que deviendroit l'homme, dans quels abîmes ne se précipiteroit-il pas, de quels excès ne se rendroit-il pas coupable, s'il étoit abandonné aux désirs de son cœur, s'il n'avoit pour guides que ses passions, s'il lui étoit permis de ne marcher que dans les voies qu'il auroit inventées, et de ne chercher que caprices la source et l'origine de tous ses devoirs; en un mot, s'il devoit se tenir lui-même lieu de loi?

dans ses

Pour nous en convaincre, examinons, en premier lieu, quelle est la conduite de la plupart des hommes. Combien en voit-on

qui sont plongés dans une telle stupidité, que, si elle n'éteint pas entièrement la raison, elle leur en laisse si peu l'usage, que c'est une chose étonnante comment des hommes peuvent être réduits à une telle brutalité!

Combien de gens qui ne pensent presque point, et qui ne sont occupés que des nécessités de la vie présente ! A quoi songet-on communément dans le monde! aux affaires temporelles, à ses intérêts, à ses plaisirs, aux richesses et aux honneurs.

Demandez à tous les chrétiens, qui devroient être plus éclairés que ceux qui ne connoissent aucune religion; nous ne parlons pas ici de ces impies, qui, prétendant que l'âme finit avec le corps, se sont uniquement bornés à cette vie, et se mettent au rang des bêtes; demandez, dis-je, à tous les chrétiens, où ils vont vous les entendrez répondre d'une commune voix, qu'ils vont à la mort et à l'éternité; que toutes leurs démarches les avancent vers ce terme si effroyable, qu'ils ignorent même si chaque pas qu'ils font ne les y fera point arriver. Mais, si vous voulez savoir pourquoi ils vont par ce chemin plutôt que par un autre, et quel fondement ont les maximes qui les y conduisent; vous verrez qu'à peine y ont-ils fait réflexion, qu'ils s'en sont tenus, en y entrant, aux premières lueurs qui les ont frappés ; que les règles qu'ils suivent n'ont d'autre source qu'une coutume qu'ils ont embrassée sans examen, ou l'exemple des autres, ou des discours téméraires dont ils se sont fait des principes; ou enfin leurs passions et leurs caprices.

Que l'on considère de près la vie et les actions des hommes, et il sera aisé de voir qu'il y a autant de différentes lumières entr'eux, qu'il y a d'humeurs et de conduites différentes. Car il n'y a qu'à les étudier un peu, pour remarquer qu'ils ont chacun leurs principes et leurs maximes, dont ils se forment une morale à leur fantaisie.

Ces principes et ces maximes de morale sont les règles dont ils se servent dans le choix du chemin qui mène à la vie ou à la mort éternelle. Car la suite des actions de chacun fait le chemin où il marche durant sa vie ; et ces actions sont réglées par les principes sur lesquels il se conduit; de sorte que, comme il y a une infinité de mauvais chemins, c'est-à-dire, une infinité de vies déréglées et déraisonnables, il faut qu'il y ait aussi une infi-nité de fausses morales.

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