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cette exception est contenue dans le principe général, qui ordonne d'aimer la patrie, et de préférer le bien public au bien particulier. Le même principe contient également, la raison qui autorise les magistrats à faire mourir les malfaiteurs, malgré le précepte général qui défend de tuer; parce que le bien public exige qu'on délivre la société de ceux qui lui sont nuisibles, et qu'on retienne par-là les autres dans le devoir.

Les principes secondaires sont ceux qui se tirent des premiers par des conséquences. Ces conséquences pouvant être plus ou moins claires, plus ou moins prochaines, on peut encore à cet égard faire entre ces principes, quelque différence.

Tous ces différents devoirs appartiennent à la loi naturelle. Leur obligation est également fondée sur la nature, et la transgression des uns et des autres est également opposée à la raison et à la volonté de Dieu, auteur de la nature. Ils ont encore cela de commun ensemble, que, si ces principes souffrent quelques exceptions, elles sont contenues et expressément renfermées dans le principe et dans l'idée qu'ils présentent à nos esprits. Car, quoique nous ayons coutume de les exprimer sous des termes généraux et universels, et sans faire mention des limitations qu'on y doit mettre, la loi naturelle qui est écrite dans nos cœurs, joint toujours les restrictions au principe, les exceptions à la règle. Par exemple, nous disons en général, qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient; qu'il faut, par conséquent, remettre un dépôt à celui qui nous l'a confié, dès qu'il nous le redemande; qu'on doit tenir sa parole; qu'on ne doit point commettre d'homicide; et que tout cela est de droit naturel. Mais le droit naturel ne nous propose pas ces maximes dans leur généralité; et il y ajoute les restrictions que nous sommes obligés d'y mettre nous-mêmes, en les expliquant. Ainsi lorsque la loi naturelle prescrit de rendre à chacun ce qui lui appartient, elle ne veut pas nous obliger par-la de rendre surle-champ à son maître, une chose dont il est résolu d'abuser à propre dommage, soit spirituel, soit temporel, ou au préjudice d'autrui. Ne devroit-on pas condamner celui qui rendroit son épée à un furieux, qui la demanderoit pour se donner la mort, ou pour tuer son ennemi?

Lorsque la loi naturelle prescrit de tenir sa parole, elle ne l'ordonne qu'avec quelques restrictions, et seulement lorsque

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ce qu'on a promis est possible et permis, ou que promesse faite n'a point été extorquée par violence. Toutes ces exceptions sont également du droit naturel; et les raisons sur lesquelles elles sont fondées, sont contenues dans le principe même, qui n'oblige d'accomplir une promesse qu'autant que ce qu'on a promis peut s'exécuter, et s'exécuter sans crime, et qu'on s'y est volontairement engagé. Dès qu'il y a eu de la violence, il n'y a point eu de consentement, tel qu'il est nécessaire pour produire un engagement. Et c'est là une différence essentielle entre les actions mauvaises que la loi naturelle défend, et les actions indifférentes auxquelles on s'engage. A l'égard de celles qu'elle condamne, elle défend d'y consentir dans le cas même de la menace d'un mal considérable, parce que de deux maux il faut choisir le moindre; et que le péché est le plus grand de tous. Mais, comme la loi naturelle ne défend ni n'ordonne les engagements que prennent les hommes les uns avec les autres, sur des choses qui ne sont pas mauvaises, et qu'elle leur laisse là-dessus une entière liberté, elle n'autorise point ceux dont la crainte et la violence sont le principe; et le même consentement qui suffiroit pour qu'un crime fût volontaire, à cause de l'obligation où l'on est de l'éviter, ne rend point une promesse suffisamment libre, pour qu'elle produise l'obligation de l'accomplir.

Ce que nous venons de dire peut également s'appliquer au précepte qui défend l'homicide. Il est gravé dans nos cœurs par la loi naturelle, avec quelques limitations qui concernent l'autorité qu'ont les magistrats de punir les malfaiteurs, le cas d'une guerre juste, le bien de l'état, etc.

QUELLE EST L'OBLIGATION DE LA LOI NATURELLE .

L'OBLIGATION d'obéir à la loi naturelle est incontestable. Dieu a écrit cette loi dans le cœur de l'homme; c'est de Dieu, source de toutes nos lumières, que nous tenons les idées naturelles que nous avons du bien et du mal, du vice et de la vertu; et nous ne pouvons méconnoître que sa volonté, en nous les donnant, n'ait été qu'elles nous servissent de règles de conduite. Ainsi, les grandes maximes de morale que la raison nous enseigne ne sont pas seulement des règles conformes aux idées que nous avons

de l'ordre, de ce qui convient à notre nature et de ce qui y est opposé; mais encore des lois de Dieu, dont il exige l'observation. Ainsi, les actions contraires à ces règles ne sont pas seulement des déréglements, mais encore des transgressions des commandements de l'Etre suprême. Etre infiniment juste, qui aime souverainement l'ordre, lequel ne peut s'établir parmi les hommes que par la pratique de la vertu, et qui déteste sou-, verainement le mal qui y est contraire. Etre infiniment puissant, qui saura bien se faire obéir; aussi terrible dans ses chátiments qu'il est magnifique dans ses récompenses.

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C'est ainsi qu'en réunissant la volonté de l'Être souverain, et' la nature des choses que prescrit ou défend la loi naturelle, on trouve que l'obligation qu'elle impose est la plus forte, la plus indispensable et la plus universelle : obligation la plus forte, puisqu'elle est fondée sur la nature même des devoirs qu'elle prescrit, et qu'elle est la volonté la plus marquée de l'Étre verain; obligation la plus indispensable, puisqu'il n'est aucune autorité qui puisse abroger cette loi, ni même y déroger dans aucun point, ou en dispenser dans aucune circonstance; enfin, obligation la plus universelle, puisqu'elle comprend tous les hommes, lesquels, ayant tous la mème nature, ont nécessairement les mêmes devoirs.

Les maximes de la loi naturelle étant les règles de conduite que la raison enseigne aux hommes, c'est par le moyen de leur raison, et par le bon usage qu'ils en font, que les hommes peuvent parvenir à la connoissance de cette loi. Formés plutôt pour être vertueux que savants, nous trouvons, dans le fonds de lumières qui nous a été donné à tous, plus de secours pour découvrir les vérités de pratique que nous fait connoitre la loi naturelle, que pour comprendre les principes des sciences auxquelles nous pouvons nous appliquer.

C'est principalement pour nous enseigner les règles naturelles de la morale que celle loi nous a été donnée. Elle nous fait sentir la nécessité de ces règles; elle nous en découvre la vérité, et l'équité; elle nous montre la force des motifs sur lesquels elles sont appuyées; elle en développe les conséquences; et il ne faut que la consulter pour démêler, dans les circonstances ordinaires, ce qu'il faut faire ou ne pas faire.

Mais, comme il y a différents degrés de nécessité dans les

préceptes de la loi naturelle, à proportion qu'ils sont plus on moins nécessaires, la raison nous les fait connoître plus ou moins. facilement. Les plus essentiels se découvrent par une simple vue, et sont sensibles aux esprits les plus grossiers, dès qu'ils y font la plus légère attention. Ces maximes, par exemple: Nous devons avoir pour Dieu les plus hauts sentiments de respect et de vénération; remplir les devoirs de notre état ; aimer nos parents, nos amis, etc., se présentent à tout le monde avec tant d'évidence qu'il ne faut faire aucun raisonnement pour s'en convaincre.

Quelques-unes même de ces vérités se découvrent d'une manière encore plus courte et plus à la portée de tout le monde, par sentiment. Ainsi, la tendresse que les pères ont naturellement pour leurs enfants, la compassion qu'on ressent à la vue d'un innocent malheureux, les mouvements de reconnoissance qu'excite en nous un bienfait qu'on nous rend, nous annoncent bien hautement l'obligation où l'on est d'aimer ses enfants, de secourir les malheureux, et de reconnoître les bienfaits.

Il est d'autres vérités qui demandent qu'on les approfondisse davantage. Ces maximes, par exemple: L'usure est un mal; le mensonge n'est jamais permis, pas même pour procurer un très-grand bien, ont plus de difficulté. Aussi la transgression de ces préceptes de la loi naturelle peut plus facilement s'excuser, et a des suites moins dangereuses pour le bonheur de l'homme et le bien de la société. Plus la difficulté de trouver la vérité sur un point de morale est grande, plus l'erreur est pardonnable.

C'est surtout depuis Jésus-Christ que la raison a plus de force pour connoître les préceptes de la loi naturelle. L'homme qui les a vus établis de la manière la plus claire dans les livres sacrés les a découverts plus aisément dans le fonds de sa raison, où ils étoient gravés par l'auteur de son étre. Le péché avoit répandu dans nous une obscurité que la foi seule a pu entièrement dissiper. Un autre moyen de connoître les préceptes de la loi naturelle, c'est le commun consentement des hommes. Il n'est pas possible qu'une chose que tous les hommes approuvent comme conforme à la loi naturelle, ou qu'ils condamnent comme lui étant opposée, ne soit pas telle qu'ils le pensent par un consentement unanime. Un jugement si universellement conforme ne peut être que l'ouvrage de la nature, qui est la même dans tous les hommes. L'opposition d'un petit nombre de gens qui

contredisent, ou de personnes grossières et ignorantes, ne doit être comptée pour rien. On ne doit pas mettre au nombre des êtres raisonnables ceux qui ne peuvent faire usage de leur rai-· son, ou qui se refusent opiniâtrément à ses lumières.

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Nous avouons qu'il y a des vérités naturelles, d'ailleurs importantes, sur lesquelles tous les peuples n'ont point été et ne sont même encore d'accord; mais ces exemples ne peuvent ôter la force de la preuve qu'on tire du consentement des peuples en faveur des articles sur lesquels ils sont tous réunis. La source des erreurs sur les autres points vient des préjugés, des mauvais exemples, de l'éducation, de la politique, des passions: et, comme toutes ces causes pernicieuses ne sont point uniformes parmi tous les hommes, il ne faut pas s'étonner qu'elles aient produit tant de variétés dans les opinions. Mais dès qu'une vérité a été reconnue par tous les peuples, et dans tous les temps, d'où peut venir ce consentement unanime et constant, si ce n'est de la nature qui est toujours et partout la même, et ne change jamais?

Il est aisé de résoudre, par les principes que nous venons d'établir, la question qu'on forme sur l'unité de la loi naturelle : car, puisque la loi naturelle est cette lumière de la raison, qui nous fait connoître ce que Dieu exige de nous dans l'ordre de la nature, il est visible que la raison étant la même dans tous les hommes, la loi naturelle est une seule et même loi, parfaitement semblable dans tous les temps, qui oblige également tous les hommes, qui regarde toutes les conditions. Loi immuable, dont les principes ne varient jamais, et c'est là une des principales différences entre la loi naturelle et les lois positives; celles-ci ne sont pas partout les mêmes, et elles sont susceptibles de variations et de changements.

Mais, quoique la loi naturelle soit la même par rapport à tous les hommes, tous n'ont pas une égale connoissance des règles d'équité qu'elle prescrit; la lumière de la raison, par laquelle ils les découvrent, ne répand pas dans tous le même éclat. Dieu, à la vérité, ne refuse à personne cette lumière naturelle qui rend facile à tout le monde la connoissance des maximes les plus importantes, et des conséquences les plus prochaines de ces maximes: à cet égard la loi naturelle est également notifiée à tous les hommes: Nulla anima est, in cujus conscientiâ

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