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ne permettoit point d'aller dans cette espérance, et d'autorité privée, brûler les temples des païens; de crainte qu'on ne les irritât par là, et qu'on ne nuisît à la religion chrétienne au lieu de la servir, et parce que de pareils actes auroient été contraires à l'exemple de Jésus-Christ et des apôtres.

Il s'ensuit de là que les lois positives peuvent quelquefois, pour de bonnes raisons et en certains cas, défendre certaines actions bonnes en elles-mêmes et par rapport à leur objet.

Telle est la défense de l'Église, qui ne veut pas que le saint sacrifice de la messe soit célébré le Vendredi-Saint. Telle est encore la défense que les lois civiles font, de reconnoître par des donations testamentaires les services qu'on a reçus de certaines personnes, à cause des inconvénients qui en pourroient résulter. La raison est que, quelque excellente que soit une action, elle peut ne pas convenir dans tous les temps et en toutes sortes de circonstances, et pour cette raison être légitimement défendue ; et il n'y a point en cela d'opposition entre les lois divines qui commandent et approuvent les actions qui sont ainsi défendues, et les lois humaines qui les défendent, parce que les lois divines ne les prescrivent pas en toutes sortes de circonstances et dans tous les temps; qu'elles chargent même ceux qui sont revêtus de l'autorité nécessaire pour faire exécuter les lois, de régler la manière dont on doit faire ce qu'elles ordonnent, et le temps auquel on doit le pratiquer: et à l'égard des lois humaines, elles ne défendent ce qui paroît ordonné par les lois divines, que pour des raisons conformes à l'esprit de ces lois divines, et dans le temps où elles ne l'empêchent point. Les exemples que nous venons de rapporter rendent ces réflexions sensibles, et l'application s'en présente d'elle-même à l'esprit

Il n'en est pas ainsi des actions mauvaises, quant à leur objet : les législateurs ne peuvent jamais ni les permettre, ni les commander. La raison de cette différence est, qu'une action bonne en elle-même peut devenir mauvaise à raison des circonstances, et par cela seul qu'elle est défendue au contraire, ce qui est en soi un mal, ne peut jamais devenir un bien, pour quelque considération que ce puisse être; suivant la maxime qui enseigne que, pour qu'une chose soit bonne, il faut qu'elle le soit à tous égards, et qu'une chose mauvaise par un seul endroit,

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et surtout du côté de l'objet, ne peut jamais devenir bonne, ni être permise: bonum ex integrâ causâ, dit saint Thomas, malum ex quocumque defectu.

Lorsque les lois regardent des choses indifférentes, non-seulement elles imposent l'obligation de les faire ou de ne les pas faire, mais encore elles donnent aux actions qu'elles ont pour objet un caractère de bonté ou de malice qu'elles n'avoient pas; parce que c'est une chose digne de louange de faire ce qui est commandé par une autorité légitime, et qu'au contraire faire ce qu'elle nous défend est une chose mauvaise, et qu'il n'est pas possible de ne pas désapprouver. Ainsi, les choses indifférentes en elles-mêmes cessent de l'être, à raison de l'utilité ou du désavantage qui en revient à la société ou aux particuliers: utilité et désavantage qui les ont fait prescrire ou défendre.

Si les choses sont absolument mauvaises les lois ne peuvent que les réprouver et les condamner. Ce que nous disons ici regarde les lois civiles comme les autres, car ce seroit s'en former une fausse idée que de croire qu'elles n'ont pour objet que la police extérieure, et qu'elles peuvent indistinctement prescrire tout ce qui tient à maintenir la tranquillité publique, soit qu'il soit bon, soit qu'il ne le soit pas. Les lois ne sont établies que pour former de bons citoyens, et conséquemment des gens de bien ; proprius legis effectus, est bonos facere eos quibus datur, dit saint Thomas. Écoutez, 6 rois, dit le Saint-Esprit dans le livre de la Sagesse, écoutez ce que je vais vous dire, et comprenez-le bien. Recevez l'in struction que je vais vous donner, juges de la terre. Prêtez l'oreille à mes paroles, vous qui gouvernez les peuples, et qui vous glorifiez de voir sous vous un grand nombre de nations. Considérez que vous avez reçu cette puissance du Seigneur, et cette domination du TrèsHaut, qui interrogera vos œuvres, et qui sondera le fond de vos pensées, pour vous en faire rendre un compte exact, et pour vous punir de l'abus que vous en aurez fait, parce qu'étant les ministres de son royaume, vous n'avez pas jugé équitablement, que vous n'avez point gardé la loi de la justice, et que vous n'avez point marché selon la volonté de Dieu. (C. 6, v. 2, 3, 4, 5.)

Aussi saint Paul, en nous recommandant d'obéir aux souverains, aux puissances supérieures, nous dit que « les princes ne » sont pas à craindre, quand on fait une bonne action, mais » quand on en fait une mauvaise. Voulez-vous ne point crain

>> dre celui qui a la puissance? ajoute-t-il, faites bien, et vous en >> recevrez des louanges; car il est le ministre de Dieu pour votre » bien. Que si vous faites mal, craignez; parce que ce n'est » pas en vain qu'il porte l'épée, étant le ministre de Dieu pour punir celui qui fait mal. » (Rom. 13. 3, 4.)

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Les législateurs ne sont donc les ministres de Dieu dont ils tiennent toute leur autorité que pour le bien des hommes, pour faire régner le Seigneur sur ceux qui leur sont soumis, pour punir le vice, pour protéger la vertu; et leurs lois doivent être toutes conformes à la loi de la justice et à la volonté de Dieu. Aussi les jurisconsultes enseignent-ils qu'on peut réduire ce que les lois prescrivent à trois choses: vivre d'une manière irréprochable, ne faire tort à personne, rendre à chacun ce qui lui appartient: juris præcepta sunt hæc : honeste vivere, alterum non lædere, suum cuique tribuere.

Les lois ne peuvent rien légitimement prescrire qui ne soit moralement possible à ceux à qui elles l'ordonnent: Deus impossibilia non jubet. Il n'est point permis aux législateurs de s'écarter de cette règle, et ils ne pourroient faire une loi commune et ordinaire d'une chose trop difficile pour qu'on pût espérer que la loi qui la commanderoit fût observée. C'est pourquoi l'Église ne prescrit la chasteté qu'à ceux qui se chargent volontairement de cette obligation, en embrassant librement certains états qui les y obligent, tels que sont ceux qui reçoivent les ordres sacrés, ou qui font des vœux solennels de religion.

Si quelquefois les législateurs prescrivent des choses pénibles et difficiles à accomplir, ce n'est que dans des circonstances extraordinaires et qui intéressent essentiellement la nécessité ou l'utilité publique. Par cette raison, dans une ville assiégée, où en temps de famine, on peut forcer les citoyens à mettre toutes leurs provisions en commun, et tellement réduire la nourriture de chacun, qu'il se trouve obligé à l'abstinence la plus rigoureuse et à la pratique de la tempérance et de la charité la plus parfaite.

LES LOIS HUMAINES PEUVENT-ELLES PRESCRIRE TOUTES SORTES DE VERTUS?

DIEU n'ayant confié aux législateurs une portion de son autorité que pour le bien de la société qu'il les a chargés de gouverner, leur premier devoir est d'autoriser, par leurs lois, les vertus qui sont les plus capables de le procurer. Et comme il n'y a point de vertu morale qui, par quelqu'un des actes qu'elle prescrit, ne puisse contribuer à sa manière au bien commun, ou directement, ou indirectement, autant qu'elle établit parmi les hommes une bonne police et qu'elle règle leurs mœurs et leur conduite extérieure, il n'en est point qui ne puisse être, à cet égard, l'objet de l'attention des législateurs et la matière des lois, même civiles et politiques, autant qu'elles intéressent le gouvernement temporel de la société.

Il ne seroit pas possible d'entrer ici dans le détail de toutes les actions vertueuses qui peuvent ou ne peuvent pas étre prescrites par les lois humaines. C'est le bien de la société civile ou ecclésiastique qui doit en décider : car, pour les actes de vertu qui ne se rapportent qu'au bien particulier de ceux qui les pratiquent et ne regardent que leur conduite intérieure, ne contribuant en rien au bien public qui est la fin des lois, ils n'en doivent pas être l'objet.

LES LOIS HUMAINES DOIVENT-ELLES DEFENDRE EXPRESSEMENT TOUS LES VICES?

Il est certain, comme nous l'avons déjà observé, que les lois civiles ne peuvent jamais autoriser, comme permis et légitime, ce qui est défendu par la loi naturelle ou par la loi divine: ces deux lois sont supérieures à toutes les lois humaines. Les princes ne peuvent légitimer ce que Dieu défend, ni défendre ce que Dieu commande. D'ailleurs, ce qui est défendu par le droit naturel ou divin, ne peut procurer le vrai bien de l'état. C'est, au contraire, l'observation fidèle de la loi naturelle et des lois que la religion prescrit, qui fait la sûreté du trône des rois et le bonheur de leurs sujets.

Mais, si les princes ne peuvent approuver aucune des choses que la religion défend, aussi ne sont-ils pas obligés de proscrire, par des lois positives, tous les vices qu'elle condamne. Comme ils sont principalement chargés du gouvernement politique, il n'y a que les vices qui troublent l'ordre public et la société, qu'ils défendent dans leurs états par des lois particulières. L'usage de leur puissance doit en cela être réglé par le bien public, qui n'exige pas que l'autorité séculière entre dans de certains détails ou défende certaines fautes qui n'intéressent point le gouvernement. Lege humanâ non prohibentur omnia vitia, dit saint Thomas (1. 2. q. 96, a. 2), sed solum graviora, à quibus possibile est majorem partem multitudinis abstinere; et præcipuè quæ sunt in nocumentum aliorum, sine quarum prohibitione societas humana seroari non potest. Aussi les princes n'ont coutume de proscrire que les crimes pernicieux à la société, tels que sont les adultères, les vols, les homicides, et les autres désordres contraires à la justice; les hérésies, les crimes énormes et abominables, contraires à la pureté, et qui sont la honte de l'humanité.

Et, à l'égard des autres, ils croient devoir se reposer sur le zèle et les soins des pontifes et des ministres de la religion. Il n'y a point effectivement de république si bien policée dans laquelle on ne tolère quelques abus, qu'il ne seroit pas toujours prudent de vouloir empêcher. Lex ista, quæ regendis civitatibus fertur, dit saint Augustin (l. 1, de lib. arb. cap 5), multa concedit, atque impunita relinquit, quæ per divinam providentiam vindicantur.

L'Église elle-même ne fait point de lois particulières pour défendre en détail toutes sortes de péchés mortels. Elle se contente de faire les lois nécessaires pour régler la conduite des simples fidèles et de ses ministres, dans l'ordre extérieur de la religion et de prévenir tout ce qui pourroit être un sujet extérieur de scandale. A l'égard des fautes qui n'ont point de rapport à la conduite extérieure, elle s'en tient ordinairement à la défense qu'en font les lois divines. Il n'est point cependant de péché mortel, au moins extérieur, qui ne puisse être l'objet des lois ecclésiastiques, parce que Dieu a donné tout pouvoir à son Église dans l'ordre du salut, et que tout péché mortel y est un

obstacle.

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