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nécessité est uniquement fondée sur la loi naturelle, qui veut que les actions de vertu aient toutes les conditions qui sont nécessaires pour qu'elles soient réellement bonnes et vertueuses. La censure des propositions, dont nous venons de voir la condamnation, prouve invinciblement que les lois ecclésiastiques prescrivent les actes intérieurs : car ces propositions ont été condamnées dans le sens de ceux qui les avoient avancées : or, ces auteurs, en soutenant que l'attention n'étoit pas nécessaire pour satisfaire au précepte d'entendre la messe, qu'on pouvoit remplir celui de la confession annuelle par une confession sacrilége, etc., ne parloient que du précepte de l'Église : ils n'ont jamais pensé que, sans actes intérieurs, on pût satisfaire aux préceptes divins. On sait bien que l'attention que demande l'assistance au saint sacrifice de la messe, les dispositions nécessaires pour une bonne confession et pour une bonne communion, sont de droit divin; mais cela n'exclut point les lois positives, qui peuvent ordonner et défendre, et qui ordonnent et défendent souvent ce qui l'est déjà par le droit naturel et par les lois de la religion.

De la il s'ensuit qu'on peut pécher grièvement contre le précepte de l'Église, lors même qu'on fait extérieurement, avec la plus grande exactitude, l'action extérieure qui est prescrite. L'exemple d'une messe entendue sans attention, quoique avec le plus grand respect extérieur; d'une communion et d'une confession sacriléges, faites avec les plus grandes démonstrations de piété, en sont une preuve sensible : car ce que l'Église ordonne, c'est la digne réception des sacrements, et non le sacrilege; une prière qui rende à Dieu le culte qui lui est dû, et non une action qui ne serve qu'à dissiper l'esprit.

Des auteurs célèbres ajoutent qu'on peut absolument encourir les mêmes peines qui sont portées contre ceux qui manquent à une action extérieure, quoiqu'on n'ait manqué qu'aux dispositions intérieures qui étoient nécessaires pour que cette action fût bonne. Cependant, lorsque l'action n'est pas extérieurement mauvaise, l'Église n'a point coutume de la punir par censure, précisément à cause du défaut d'intention qui la rendroit mauvaise et, en effet, nous remarquerons, en parlant des censures et des cas réservés, qu'ils n'ont ordinairement pour objet que des péchés extérieurs et extérieurement condamnables.

Si ceux qui récitent l'office divin sans attention, sont égale

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ment obligés à la restitution des fruits de leur bénéfice, comme s'ils avoient omis par leur faute de le dire, c'est qu'ils manquent alors à une condition essentielle, pour avoir droit de toucher les fruits de ce bénéfice. Ce n'est point réciter l'office divin, que de le faire sans attention.

A l'égard des peines que l'Eglise prononce contre ceux qui commettront certaines actions, lorsque ces actions seront accompagnées de certaines circonstances purement intérieures, on ne les encourt que lorsque ces circonstances ont réellement eu lieu : par exemple, l'Église prononce quelquefois des censures contre ceux qui feront sciemment, et quoiqu'ils connoissent sa défense, des choses qu'elle a défendues : on n'encourt alors ces censures que lorsqu'on a eu connoissance de cette défense; l'i-· gnorance même grossière, quoiqu'elle n'excuse pas de péché, empêche alors de les encourir. De même, quoiqu'on soutienne extérieurement des sentiments opposés à la foi, si, au fond, on est éloigné de ces sentiments, on n'encourt point l'excommunication portée contre les hérétiques.

POUR ACCOMPLIR UNE LOI EST-IL NÉCESSAIRE D'AVOIR
L'INTENTION DE L'OBSERVER?

POUR observer un précepte, il n'est pas nécessaire d'avoir positivement intention de l'observer, pourvu qu'on n'ait point de volonté contraire. Par exemple, on entend dévotement la Messe un jour de fête que l'on croit être un jour ouvrier; on récite une prière qui a été imposée pour pénitence, ou à laquelle on est obligé par vou, sans se rappeler que c'est une pénitence à laquelle on doit satisfaire, ou un vou que l'on doit acquitter: on a alors accompli ces différents préceptes et les lois qui en imposent l'obligation; parce que c'est les accomplir que de faire librement et exactement ce qu'elles prescrivent. Celui qui fait l'œuvre commandée par la loi, de la manière qu'elle doit être faite, accomplit la loi, quoiqu'il ne sache point que cette œuvre soit commandée, ou que du moins il n'y pense point, dit saint Thomas (2. 2. q. 104, art. 3): Licèt actus virtutis cadat sub præcepto, potest tamen aliquis implere actum virtutis, non attendens ad rationem præcepti. La raison est que le législateur

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ne commande pas que l'on fasse ce qu'il prescrit, avec intention de satisfaire à la loi, mais seulement que l'on fasse ce qui est ordonné par la loi. Ce qui manque alors du côté de l'intention expresse d'accomplir la loi, est suppléé par l'intention générale et interprétative d'y satisfaire; intention qui eût été actuelle et positive, si le souvenir de ces préceptes étoit venu à l'esprit.

On demande encore ici, si l'on satisfait à un précepte en faisant précisément ce qu'il commande, dans le dessein cependant de ne pas l'accomplir alors, et de n'y satisfaire que dans un autre temps. Par exemple, on entend la messe un jour de fête, par dévotion seulement pour ce moment-là, en se proposant d'en entendre ensuite une seconde, pour satisfaire au précepte. A-t-on satisfait en entendant la première? est-on obligé alors d'entendre cette seconde messe, pour accomplir le précepte?

Une personne, à qui son confesseur a imposé pour pénitence une certaine prière, récite ensuite cette prière sans aucun rapport à cette pénitence qu'elle remet à un autre temps: on demande si elle l'a acquittée par-là.

Nous n'examinerons pas ici ce qu'on doit penser des différents sentiments des théologiens sur cette question. Nous dirons seulement qu'il est plus sûr, quand on le peut, d'entendre alors une seconde messe, pour obéir au précepte, et de réciter une seconde fois la même prière, pour satisfaire à sa pénitence.

POUR ACCOMPLIR UNE LOI EST-IL NÉCESSAIRE DE FAIRE
CE QU'ELLE COMMANDE, DE LA MANIÈRE QU'ELLE LE PRESCRIT?

ON
peut considérer, dans ce qui est prescrit par les lois, la
substance de l'action et la manière de la faire, telles que sont
les dispositions dans lesquelles on doit être en la faisant, et les
circonstances qui doivent l'accompagner. Il est certain que, dès
que tout cela est exprimé dans une loi, et qu'on ne le fait point
exactement, l'on n'observe point une loi dans toute son étendue.
La manière dont on doit faire ce que la loi prescrit, étant aussi
prescrite par la loi, est alors de précepte, comme la chose même
qui est commandée. Manquer à un point de ce que la loi or-
donne, c'est n'obéir qu'à demi, et même c'est désobéir en effet
dans la partie qu'on n'observe pas. Ainsi, les prêtres n'accom-

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plissent point parfaitement la loi qui regarde la célébration du saint sacrifice, s'ils ne l'offrent pas de la manière et selon le rit que prescrit l'Église. Leur faute est alors plus ou moins grande selon que les cérémonies et les actions auxquelles ils manquent sont plus ou moins importantes.

Ce qui mérite ici une discussion particulière, c'est l'état dans lequel on doit faire ce que prescrit la loi, le caractère de bonté qui convient à ce qu'elle ordonne de faire, et la fin pour laquelle on le fait.

Lorsqu'une loi veut que ce qu'elle ordonne soit fait en état de grâce, on ne peut accomplir cette loi lorsqu'on est en péché mortel. Il n'y a qu'un petit nombre d'actions pour lesquelles, à cause de leur excellence et de leur sainteté, l'état de grâce soit nécessaire; telle est l'administration des sacrements. Il est encore défendu de les recevoir, lorsqu'on est en péché mortel, s'ils n'ont pas été institués pour les effacer.

la

Comme les autres lois positives et naturelles, qui concernent d'autres matières, ne prescrivent rien de semblable, on peut les accomplir quoiqu'on ne soit pas en état de grâce. Autrement, tandis qu'on est en état de péché mortel, on ne pourroit accomplir aucune loi : toutes les bonnes œuvres faites en cet état, prière, les aumônes, l'assistance à la messe même d'obligation, seroient autant de péchés; ce qu'on ne peut soutenir sans erreur. On demande s'il faut, pour accomplir une loi, que l'action par laquelle on l'accomplit soit bonne et honnête. Nous répondons que, si cette action manque du caractère de bonté qui lui est propre et essentielle, elle ne suffit pas pour accomplir la loi qui l'ordonne, parce qu'alors elle manque de la bonté qui appartient à sa substance même ; c'est pourquoi nous avons dit que, si l'on n'a pas l'attention qu'exige la prière faite à Dieu, on n'obéit pas à la loi qui l'ordonne en certains temps, à certaines heures.

Outre le caractère de bonté qui est propre et essentiel à l'action commandée par la loi, il en est un autre qui vient de la fin ou des autres circonstances qui accompagnent une action bonne et sainte de sa nature. Si cette fin ou ces autres circonstances sont exprimées dans la loi, il est évident qu'elles sont de précepte comme l'action même; et que, lorsqu'on y manque, on n'a point véritablement observé la loi. Ainsi, lorsque l'E

glise donne des indulgences à ceux qui feront des prières pour une certaine fin, on ne gagne point ces indulgences, si l'on ne fait pas alors ces prières dans l'intention que l'Église veut qu'on

ait en les récitant.

Les lois humaines n'expriment pas ordinairement l'intention dans laquelle on doit faire ce qu'elles prescrivent; mais elles supposent au moins qu'on le fera pour une bonne fin: et l'on se trompe, si l'on prétend en général que, pourvu qu'on fasse les choses prescrites par les lois, les législateurs sont fort indifférents sur la fin qu'on a pu avoir en les faisant. Les lois civiles n'ont-elles jamais annulé certains actes, lorsqu'ils ont été faits pour une mauvaise fin? Tels, par exemple, que les testaments dont les dispositions ne viennent que de la mauvaise volonté du testateur pour ses enfants ou ses autres héritiers légitimes.

Il est vrai qu'à moins que la fin d'une action ne soit contraire au gouvernement extérieur, les lois civiles ne renferment point de dispositions à cet égard. Nous avouons aussi que, quand même on ne fait ce qu'elles prescrivent que par un mauvais principe, s'il n'intéresse point le gouvernement et ne concerne que la conscience, comme lorsqu'on agit par ressentiment, on n'a pas moins accompli par-là les lois aux yeux des hommes : parce que l'action seule est de précepte, et que l'intention ne l'est pas. Mais aussi peut-on dire que l'on ait alors observé les lois comme un chrétien doit le faire ? Vous vous attacherez à ce qui est juste, dans la vue de la justice, dit le Seigneur : Justè quod justum est persequeris. (Deuter. 16. 20.)

Lorsque les lois divines prescrivent une chose, le précepte qu'elles en font a nécessairement deux parties. Il oblige, 1.o à faire ce qui est commandé; 2.° il oblige à le faire pour une bonne fin; car ce que commande la loi divine, ce sont des actions bonnes et vertueuses; or, elles ne le sont point, dès que la fin en est vicieuse. Ainsi, lorsqu'on donne l'aumône par vanité, on n'en accomplit point le précepte: Bona est misericordia, dit saint Augustin, sed potest injustè fieri, si jactantiæ causâ, aliquis pauperi largiatur. (L. 1, in Luc. ad c. 1.)

Comme le salut des fidèles est l'objet des lois ecclésiastiques, on doit penser que le motif avec lequel on les accomplit entre pour beaucoup dans les dispositions de ces lois; et que, si l'on ne pèche pas toujours contre la lettre, on va au moins contre

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