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l'esprit de la loi, dès que le motif par lequel on l'accomplit n'est pas bon. Cependant, lorsque l'action est bonne en elle-même, et qu'elle n'est défectueuse que du côté de la fin, de célèbres théologiens enseignent qu'on n'est pas obligé de la faire une seconde fois. Celui, par exemple, qui, par un léger motif de vaine gloire, jeûne un jour ordonné par l'Eglise, n'est pas obligé de jeûner une seconde fois, parce que, disent-ils, l'intention dont il s'agit ne détruit pas entièrement la bonté de l'action qu'il a faite. On doit penser autrement d'une intention vicieuse, incompatible avec la bonté morale de l'action commandée, et qui l'anéantiroit absolument. Ce seroit, par exemple, manquer essentiellement à l'obligation d'entendre la Messe que d'y assister par le motif criminel d'y voir une personne qu'on veut séduire.

EST-IL NÉCESSAIRE D'OBSERVER LES LOIS, PRÉCISÉMENT DANS
LE TEMPS QUI Y EST FIXÉ?

ON
peut faire ici trois questions différentes, et demander si,
pour obéir aux lois, il faut faire absolument, dans le temps
marqué, ce qu'elles prescrivent; si l'on n'est pas quelquefois
obligé de prévenir ce temps; enfin, sì, après qu'il est passé,
l'obligation de la loi est entièrement ôtée, et de telle sorte qu'on
ne soit plus tenu à rien.

1.o La première question est aisée à décider. Dès qu'il y a un temps fixé pour l'accomplissement d'un précepte, il est absolument nécessaire de l'accomplir dans le temps marqué. Ce temps fait partie de la loi, et l'on doit lui obeir en ce point comme dans tout le reste.

Il faut distinguer ici deux sortes de préceptes : les uns ont un temps expressément fixé pour leur accomplissement: tel est celui d'entendre la Messe les jours de fêtes, et de jeûner le carême. On n'observeroit pas ces lois, en faisant dans un autre temps ce qu'elles commandent.

Les autres préceptes ne déterminent que d'une manière générale le temps auquel on doit les observer, et n'obligent qu'à raison du danger où l'on se trouve, ou de la nécessité du prochain: tel est le précepte de l'aumône, et celui de la confession dans le péril de mort. Ces préceptes doivent être accomplis le

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plus tôt moralement qu'on le peut; celui de la confession dans le péril de mort, par exemple, doit l'être dès qu'on s'aperçoit du danger dans lequel on est; et celui de l'aumône, dès qu'on connoit la misère qui a besoin d'être soulagée. Cette règle néanmoins a quelque latitude; et, tandis qu'on s'aperçoit que rien ne presse absolument, on peut différer l'exécution du précepte, parce qu'alors la nécessité n'est pas absolue. Mais il faut prendre garde de s'y méprendre, et de s'exposer à manquer du temps nécessaire, pour n'avoir pas voulu profiter de celui qu'on avoit, et où ces préceptes commençoient à obliger. Car il y auroit véritablement du péché à ne pas les accomplir dans le temps où l'on pourroit le faire, pour en avoir imprudemment remis l'accomplissement au temps où il n'a plus été possible d'y obéir.

2. On demande si l'on est quelquefois obligé de prévenir le temps marqué pour accomplir la loi. Voici la réponse à cette question.

Ou l'obligation que cette loi impose est attachée au temps marqué par la loi, ou elle n'y est pas attachée. Si l'obligation que la loi impose est attachée au temps exprimé par la loi, en sorte qu'elle ne commence pas plus tôt, et qu'elle cesse dès qu'il est passé, on n'est point obligé de le prévenir, quand même on prévoiroit qu'on ne pourra pas l'observer dans la suite. La raison en est que, dans cette supposition, l'obligation d'obéir à la loi ne commence pas encore, et que ce n'est point satisfaire à une loi que de faire ce qu'elle commande, dans un temps où elle n'est point encore en vigueur. Ainsi, lorsqu'on prévoit qu'on ne pourra point, pour de bonnes et légitimes raisons, entendre la messe un tel jour de fête, on n'est point obligé de l'entendre le jour précédent. Par la même raison, on n'est point obligé de jeûner la veille d'un jour de jeûne où l'on sera dans l'impossibilité de le faire. Ces préceptes sont uniquement attachés au jour qu'ils concernent; ils n'ont de rapport qu'à ce jour seulement.

On connoît qu'une obligation est principalement attachée au temps marqué, par les paroles qui l'énoncent dans la loi. Il faut néanmoins observer que tout ce qu'un supérieur ou une loi prescrit de faire un certain jour, n'est pas toujours nécessairement attaché à ce jour-là; que l'action en elle-même peut être directement prescrite, et que le temps exprimé par la loi peut n'avoir été marqué que pour déterminer celui qui étoit le plus

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propre pour faire l'action commandée. Un confesseur, par exemple, ordonne de faire un certain jour la pénitence qu'il impose. La circonstance du jour n'est pas si essentielle qu'on ne puisse et qu'on ne doive même l'avancer, si on ne peut la faire dans la suite. Le temps n'a été fixé que comme celui qui étoit le plus convenable Mais au fond c'est l'action même qui est le principal objet du précepte, qu'on doit nécessairement accomplir un autre jour, lorsqu'on n'a pas pu le faire au jour marqué.

On connoît, en second lieu, la nature de l'obligation, et quel est le temps auquel il faut l'accomplir, par la fin de la loi qui l'impose; c'est même la meilleure manière de la découvrir : car, comme nous venons de le dire, de ce qu'un législateur prescrit une action pour un certain jour, il ne s'ensuit pas toujours nécessairement que l'obligation de la faire soit absolument fixée au jour expressément désigné. Pour le connoître plus sûrement, il faut examiner si cette obligation est une dette et une espèce de charge attachée au temps marqué; telle qu'est le saint office que les prêtres, ceux qui sont dans les ordres sacrés, et les bénéficiers sont obligés de réciter chaque jour; ou si elle a été recommandée à cause de la sainteté du temps auquel elle est prescrite, ou pour en relever la célébrité. Tel est le jeûne du carême, tel est celui de la veille des fêtes, ordonné pour disposer les fidèles à les célébrer plus saintement. Tel est encore le saint sacrifice de la messe, prescrit pour la sanctification des dimanches et des fêtes. En faisant plus tôt ou plus tard ce que prescrivent les lois dort nous parlons ici, on feroit des actions saintes et vertueuses, mais on n'accompliroit pas ces lois, parce qu'elles n'ordonnent pas précisément de jeûner et d'assister à la messe, mais de le faire au temps marqué et pour le sanctifier. L'obligation de ces préceptes commence avec le temps prescrit; et, dès qu'il est passé, elle cesse de plein droit.

Comme le précepte d'entendre la sainte messe, et celui du bréviaire, renferment le jour tout entier, il faut profiter de l'heure où l'on pourra y satisfaire, si on a lieu de craindre de ne pouvoir s'acquitter à une autre heure de cette obligation. Si l'on voit, par exemple, qu'on ne pourra assister à la messe de paroisse, il faut entendre celle qui ordinairement se dit la première. Un prêtre qui voit qu'il ne pourra réciter vêpres après midi,

doit les dire dès le matin, et jusqu'à minuit: tandis qu'il lui reste encore du temps pour réciter l'office divin, il est obligé d'en profiter, quand même il ne pourroit le réciter entièrement.

Lorsque la loi n'a point marqué expressément le temps auquel on doit faire ce qu'elle ordonne, et qu'on prévoit qu'on ne le pourra dans la suite, il faut s'acquitter de ce qu'elle prescrit, plus tôt même qu'on n'y eût été étroitement obligé; parce que l'obligation que la loi impose alors n'est point attachée à un temps determiné, et que, dans ce cas, le temps où l'on peut l'accomplir est celui-la même où l'on ne peut s'en dispenser: ainsi, celui qui doit entreprendre un voyage de long cours, durant lequel il ne pourra se confesser en tout autre temps de l'année, doit, avant son départ, satisfaire au précepte de la confession annuelle.

3.0 Le temps fixé pour l'accomplissement d'une loi étant écoulé, on n'est point déchargé pour cela de l'obligation qu'elle impose, lorsque cette loi n'a pas un rapport essentiel à la circonstance du temps qui y est marqué, et qu'elle a pour principal objet la substance de l'action qu'elle prescrit, indépendamment du temps auquel elle oblige. Par exemple, l'Église a déterminé le temps de pâques pour la communion annuelle des fidèles. Le principal objet de cette loi est la communion : le temps n'y est qu'une circonstance accessoire. Quoique ce temps soit passé, l'obligation d'obéir au commandement de l'Eglise n'en subsiste pas moins dans toute sa force: au contraire, elle est en quelque sorte plus étroite; et plus on diffère, plus le péché est grand, jusqu'à ce qu'on satisfasse au précepte.

Il faut dire la même chose de l'obligation d'accomplir un vœu ou la pénitence imposée par un confesseur, lorsqu'on n'a pas exécuté ce vœu et fait cette pénitence dans le temps marqué.

QUE FAUT-IL FAIRE LORSQUE PLUSIEURS LOIS CONCOURENT

ENSEMBLE?

Il arrive quelquefois que plusieurs lois qui ont des obligations différentes concourent ensemble. Lorsqu'une de ces lois peut souffrir quelque délai, il est aisé de les concilier, en remeliant à un autre temps l'obligation de celle dont on peut différer l'ac

complissement. Mais souvent c'est précisément dans le même temps qu'il faut faire ce qu'elles prescrivent : peut-on alors dans le même temps, et par une même action, accomplir deux lois différentes? lorsque cela n'est pas possible, pour laquelle doiton se déterminer? c'est ce que nous allons examiner dans les deux articles suivants.

I. Est-il possible qu'on satisfasse à deux lois différentes par une seule action? Avant de résoudre cette question, il faut observer 1.o qu'il ne s'agit ici que du cas où plusieurs lois concourent en même temps; 2.o que nous ne parlons pas des obligations de justice, auxquelles il est très-certain qu'on ne peut satisfaire par une seule action, parce qu'elles forment des dettes différentes. Je dois à une personne cent pistoles qu'elle m'a prêtées; je lui en dois autant pour des marchandises qu'elle m'a vendues en lui payant une de ces deux sommes, je ne me suis pas pour cela acquitté de l'autre; parce que la justice demande que je paie en entier la somme de deux cents pistoles; 3.o que nous ne parlons ici que des lois qui imposent deux obligations : car si l'on n'étoit obligé précisément qu'à la même chose, quoique doublement et au même titre de justice, une seule action suffiroit pour satisfaire à tout.

1. O

Pour décider maintenant quels sont les cas où l'on peut quelquefois, par une seule action, remplir deux obligations différentes, il faut examiner quel est l'effet de l'action dont il s'agit, et quelle est à cet égard l'intention expresse ou présumée du législateur. Lorsqu'en faisant une seule et unique action pour remplir une loi, on fait cesser le motif qui étoit le fondement de l'obligation imposée par une loi différente, il est visible qu'on a parla rempli les deux devoirs. Par exemple, on a fait vœu de donner une somme pour aumône à certains pauvres, et on l'a effectivement donnée pour accomplir ce vou; la loi de la charité obligeoit également à les secourir : or, on a rempli les deux obligations, si, par la somme donnée en conséquence du vœu on a fait cesser, autant qu'on le pouvoit, leur indigence.

Lorsque deux actions ne sont point incompatibles, et qu'on peut les faire ensemble, on peut dans le même temps accomplir deux lois différentes. Par exemple, lorsque le jeûne ordonné pour la veille d'une fète tombe un jour de quatre-temps, on peut, par un seul jeûne, satisfaire aux deux lois. Lorsqu'on a

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