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les anciens arrêts de réglement de nos cours souveraines. Le parlement d'Angleterre fait bien de temps en temps quelques statuts sur des points de procédure ; mais selon sa manière accoutumée, c'est toujours par dispositions détachées et sans ensemble, ce qui laisse aux juges toute facilité d'éluder la loi ou de gagner d'un côté ce qu'ils ont perdu de l'autre. D'ailleurs ils n'y prennent pas tant de façons, car ils savent au besoin s'affranchir ouvertement d'un tel joug, et les statuts sur la procédure n'ont de véritable valeur que lorsqu'ils ont obtenu leur sanction'. Du reste, on ne doit pas s'étonner que cela soit ainsi puisque, d'un côté, l'interprétation de la loi est toute entière dans leurs mains, sans aucun contrôle, et

de Tidd, où l'on voit qu'il s'agit toujours de décisions des juges pour le plus grand nombre des actes de procédure; d'ailleurs, dans l'introduction, p. 37 et 38, l'auteur indique cette faculté des juges comme un droit incontestablement acquis.

(1) Philips, on Evidence, p. 89, lig. 10 et suivantes.

Voici une preuve récente du peu de respect des juges, non-seulement pour les lois sur la procédure, mais encore pour le fond des lois pénales. Le 7 février 1825, dans la Chambre des lords, le lord chancelier, à l'occasion d'une mesure à prendre contre ceux qui trafiquent des actions de compagnies commerciales non encore autorisées par le parlement, dit les mots suivans: « Les transgresseurs du statut pourraient continuer, car les peines qu'il contient sont si énormes que probablement personne ne serait disposé à les appliquer. Enfin, la disposition générale des agens de l'autorité à se mettre au-dessus des lois résulte d'un autre aveu fait à la chambre des Communes, le 24 du même mois, par M. Huskison, l'un des membres actuels du cabinet, à l'occasion d'une motion de M. Hume pour changer les lois relatives à l'exportation des machines. M. Huskison dit positivement qu'étant persuadé qu'une adhésion à la lettre stricte de la loi serait peu judicieuse, il avait pris sur lui de conseiller la permission d'exporter certains articles de mécaniques, tels que des presses hydrauliques, etc. Or, observez que les presses hydrauliques sont formellement prohibées, et personne n'a fait la moindre réflexion sur l'inconvénient de voir ainsi les ministres violer la loi, même avec de bonnes intentions.

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puisque d'un autre côté, l'esprit de la législature tend à l'arbitraire, à l'incertitude, et même à sanctionner la toute puissance des précédens, qui sont la base des opérations judiciaires.

Ce n'est pas uniquement sur des dispositions de simple procédure que les juges anglais ont sans cesse empiété sur l'autorité législative; mais ils ont encore su étendre ce pouvoir usurpé jusque sur le droit si important d'établir des taxes, et non-seulement ils l'ont exercé de tout temps d'une manière sourde, en établissant furtivement et sans mesure officielle des droits sur les actes judiciaires, mais ils ont souvent fait des réglemens généraux à cet égard. Par exemple, en 1807, le lord chancelier et le maître des rôles établirent un réglement de ce genre pour autoriser certains officiers, dont les places sont à leur disposition, à percevoir certaines taxes sur les actes de leur ministère. Enfin en 1822, les légistes ont eu assez d'influence sur le parlement pour l'engager à se dépouiller entièrement de cette partie du pouvoir législatif, puisque le statut 3, geo. IV., c. 9, donne formellement aux juges des grandes cours la faculté de régler les droits des officiers divers qui sont attachés à leurs cours respectives'.

Une autre circonstance, qui tend encore à augmenter le pouvoir des juges et le domaine de leur arbitraire, c'est la faculté qu'ils exercent de varier l'intensité et la nature même des peines, indépendamment de celle de

(1) Voyez dans l'ouvrage de Miller tout le chap. II, pag. 315 à 322, qui est consacré à prouver cet esprit usurpateur des juges, ainsi que la negligence ou la condescendance du parlement à cet égard.

(2) Blackstone, t. IV, pag. 147, et Wynne, t. II, pag. 110.

Il suffit d'ailleurs de lire les rapports des tribunaux dans tous les papiers publics, pour se convaincre que les juges actuels sont loin d'avoir abandonné cette partie de leur pouvoir.

les commuer après condamnation, faculté dont l'exercice leur est abandonné de fait par le roi, qui seul a le droit légal de faire grace. Ce dernier pouvoir est extrêmement important et les rend maîtres de la vie des accusés, car la férocité du code pénal anglais les induit à commuer fréquemment la peine capitale en des peines plus douces, soit que la tendance philantropique du siècle les entraîne en partie, soit qu'ils craignent que les jurés n'absolvent un trop grand nombre de coupables, lorsqu'ils verraient que pour des offenses légères il n'y a pas d'alternative entre l'absolution ou la mort. Maintenant l'on a calculé que sur dix individus condamnés à mort il n'y en a qu'un seul d'exécuté, la peine étant presque toujours commuée en celle de la transportation ou du confinement dans une maison de correction.

L'incertitude des précédens, qui font la base principale de la législation anglaise ainsi que je l'expliquerai au suivant, contribue aussi fortement à augmenter le pouvoir arbitraire des juges. Le nombre seul des précédens, qui est immense, est déjà un grand obstacle à leur recherche, surtout à cause de la longueur des actes où ils sont consignés. Ces actes sont appelés records et contiennent une grande partie des procédures. Pour obvier à cet inconvénient l'on a, depuis le temps d'Edouard II, imprimé des extraits des jugemens avec les motifs des juges et ces extraits sont appelés reports. Pendant un certain temps ils étaient faits par ordre du roi et ils avaient assez d'exactitude; mais depuis long-temps ils ne sont plus rédigés que par des particuliers, et ils sont très

(1) Sir Samuel Romilly, observations on the criminal law of england p. 7, 10. Voyez aussi le discours de sir James Mackintosh sur le même sujet, à la chambre des Communes en 1822.

défectueux'; ils n'ont d'ailleurs aucune authenticité. Cependant, en cet état, l'usage commun leur attribue une foi très grande; ainsi l'on doit juger de l'incertitude des règles qu'ils établissent, et de la facilité qu'elle doit donner à l'arbitraire du juge, en même temps qu'elle ouvre le champ le plus vaste aux chicanes de toute espèce.

On parle beaucoup sur le continent de l'impartialité des juges anglais, et surtout de leur sollicitude paternelle pour les accusés dans les affaires criminelles. A entendre nos publicistes, il semblerait que cette espèce d'hommes participe de la perfection divine; il semblerait qu'il suffise, en Angleterre, d'endosser la toge magistrale pour être aussitôt délivré de toute faiblesse humaine. Mais quand on vient à examiner les faits toute cette illusion s'évanouit. D'après quelques apparences, on a pu croire qu'en effet les juges anglais n'ont pas envers les accusés cet esprit d'hostilité qu'on remarque trop généralement chez les juges d'autres pays, et je conviens moi-même que dans les causes qui n'intéressent pas le gouvernement ou leur propre autorité, ils montrent généralement une certaine impassibilité; mais si, dans les affaires politiques ou celles qui les concernent eux-mêmes2, on les voit, comme partout ailleurs, pleins de partialité et de passion, je me crois autorisé à conclure que leur ton modéré dans les cas ordinaires ne vient point de la libéralité de leur esprit, mais uniquement d'autres circonstances qui leur sont étrangères et qui combattent leur propension naturelle. Or, comme je crois avoir aperçu quelques-unes

(1) Wynne, t. II. pag. 118 à 123.

(2) Voyez dans Bentham (the art of Packing), aux notes des pages 88 et 89, des exemples de jugemens plus sévères contre des libelles relatifs aux juges, que contre ceux qui attaquent le roi lui-même.

des causes de cette différence de conduite chez les juges anglais, selon que leur position prend un aspect différent, je vais faire part de mes observations sur ce point.

D'abord, en Angleterre, sauf pour un petit nombre de délits que je spécifierai dans la deuxième partie de cet ouvrage, ce n'est point un magistrat public qui intente l'action criminelle; ce soin est laissé à la partie lésée, qui la suit dans ses divers degrés et finalement devant le jury. La contestation a donc lieu entre les parties intéressées, et non entre les magistrats et les accusés. Le juge ne se considère que comme arbitre, ainsi qu'un juge devrait toujours faire. Son amour-propre n'a point à s'irriter des contradictions du débat; il n'a aucune thèse propre à soutenir, aucun intérêt de corps à faire triompher; enfin il ne croit pas avoir dans ce cas une prétendue mission de venger la société '.

En second lieu, la loi, comme on le verra aussi plus amplement dans la deuxième partie, n'accordant de droit un défenseur aux accusés que dans un petit nombre de cas, le juge se trouve assez naturellement conduit à contrebalancer plutôt qu'à appuyer une accusation qui aurait trop d'acrimonie. Il y aurait vraiment trop de barbarie à accabler un malheureux sans défense. Ajoutez à cela que d'après la faculté qu'a le juge de commuer les peines, les accusés sont fréquemment dans l'usage d'im

(1) Il est cependant quelques cas où les juges ne se font pas scrupule de violer les principes les plus salutaires, pour atteindre les hommes qu'ils croient dangereux à la société, même dans les délits non politiques. M. Ensor, pag. 181, cite lord Stanhope, comme ayant entendu dire à deux juges, lord Thurlow et le juge Gold, qu'on condamnait quelquefois des accusés d'après des statuts dont la passation est postérieure aux faits imputés, afin, disaient-ils, d'attraper de grands criminels qu'on n'aurait pu condamner autrement.

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