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CONCLUSION.

J'ai, dans cette introduction, tâché de renfermer toutes les généralités de mon sujet, c'est-à-dire tout ce qui n'appartient à aucune partie de l'ouvrage en particulier, et qui cependant était indispensable pour bien faire concevoir l'ensemble. Quant à l'ordre dans lequel j'ai présenté les objets, j'ai cru devoir préférer le plus naturel, qui me semble en même temps le plus rationnel, celui de leur origine et de leur enchaînement successif. C'est ce qui m'a déterminé à commencer par un sommaire historique de la nation anglaise, sous les rapports politique, économique et moral. Eclairé par ce premier aperçu, j'ai vu se former graduellement les élémens divers de la société que j'avais à examiner, et j'ai pu mieux juger ensuite de leur état actuel, ainsi que de leurs dispositions respectives quant au jeu de la machine sociale. Enfin, à l'aide de tous ces préliminaires, j'ai pu mieux distinguer le mécanisme si compliqué de la législation et de la jurisprudence du même peuple, seul moyen d'apprécier ensuite avec justesse cette partie des institutions qui constitue l'organisation judiciaire. J'espère par cette méthode avoir prévenu bien des embarras. Je crois même éviter des recherches pénibles, et peut-être infructueuses, à ceux qui voudraient après moi faire une étude approfondie des mêmes institutions.

Je pourrai donc maintenant aborder plus franchement mon sujet, qui se divise naturellement en deux parties principales, celle qui traitera de l'organisation des tribunaux, et celle qui se rapporte à leur manière de procéder. Chacune de ces deux grandes divisions comprendra ensuite plusieurs subdivisions qui seront déterminées par le développement du sujet.

Ayant à comparer principalement le système anglais avec le système français, il semblerait, au premier coup d'oeil, que j'aurais dû faire pour le second de ces deux systèmes un travail semblable à celui qui vient d'être présenté pour le premier, afin d'en faciliter également l'intelligence; mais j'en ai été détourné par trois considérations principales: la première, que la connaissance du système judiciaire français n'étant pas mon objet spécial, il n'est pas nécessaire d'en approfondir autant toutes les particularités; la seconde, qu'étant plus régulier et moins compliqué que le système anglais, il n'a pas besoin d'autant de secours accessoires pour être compris ; la troisième enfin, qu'étant généralement connu sur le continent, pour qui j'écris spécialement, c'eût été un hors-d'oeuvre fastidieux de surcharger cet ouvrage de notions déja familières à la plupart de mes lecteurs. Cependant, comme dans cette introduction je n'ai donné aucun détail historique sur l'établissement judiciaire anglais spécialement, et comme il est certains traits qui sans rapporter à tout l'ouvrage, ni même à l'ensemble de l'un des deux systèmes, s'appliquent cependant d'une manière générale à chaque partie principale, chacune de ces parties comprendra, toutes les fois que cela sera nécessaire, une esquisse de l'origine et du développement des institutions que j'aurai à exposer, ainsi que les traits généraux qui se rapportent à chaque division principale du sujet.

Je terminerai cette conclusion par faire observer que je vais commencer par ce qui concerne la France, puisque c'est-là le point de départ pour le plus grand nombre de ceux à qui est destiné cet ouvrage.

FIN DE L'INTRODUCTION.

DE L'ANGLETERRE,

COMPAREES AVEC CELLES

DE LA FRANGE

ET DE QUELQUES AUTRES ÉTATS ANCIENS ET MODERNES

PREMIÈRE PARTIE.

DES INSTITUTIONS JUDICIAIRES DE LA FRANCE,

SECTION I.

DE L'ORGANISATION JUDICIAIRE EN FRANCE.

CHAPITRE UNIQUE.

De l'Organisation judiciaire en France depuis la fondation
de la Monarchie.

PREMIÈRE PÉRIODE.

LORSQUE les Francs envahirent la partie septentrionale des Gaules, ils y apportèrent leur propre organisation, tant judiciaire qu'administrative et militaire. Cette organisation, sauf de légères différences, était commune a presque toutes les nations d'origine germanique. Le

(1) Les Goths, en Italie, font une exception à cette règle, car ils avaient adopte les magistratures romaines avec quelques modifications

peuple, c'est-à-dire la masse des hommes libres y exerçait tous les actes du gouvernement, y compris ceux du pouvoir judiciaire, sous la direction ou simple présidence de chefs électifs que Tacite nomme principes, mais qui, dans toutes les langues tudesques, étaient connus sous le nom de Grafs, Graafs, Greves. Plus tard, et notamment chez les Bourguignons, après leur établissement dans une autre partie des Gaules, le Graf fut désigné sous le nom latin de Comes, dont on a fait le nom français Comte 2. On a donné quelquefois d'autres noms à ce magistrat, mais celui de comte a toujours prévalu, surtout en France, et c'est celui que nous emploierons pour désigner le magistrat principal de chaque communauté germanique.

Il ne s'agit ici que de l'état de paix; car en cas de guerre, les divers comtes qui désiraient y prendre part se réunissaient pour élire parmi eux un commandant en chef, que les auteurs latins ont nommé Dux, d'où est venu le nom français Duc. Il ne parait pas que les ducs de cette époque eussent aucun pouvoir judiciaire, si ce n'est peut-être pour les causes qui regardaient les militaires à l'armée. Après la guerre ils rentraient dans leurs fonctions de comtes, ou bien redevenaient simples hommes privés 3.

Lorsque la nation ou communauté était un peu con

Les Bavarois avaient aussi une organisation judiciaire bien différente de celle des autres nations germaniques; toutefois ces différences s'évanouirent lorsque Charlemagne eut réuni sous son empire toutes ces parties de l'Europe. Voy. Meyer, tom. I, pages 432, 433.

(1) Meyer, tom. I, 349, à la note i

(2) Meyer, tom. I, pag. 29,

82 à 92.

,

et pag.

(3) Meyer, tom. I, pag. 82, 83 et 97- 101.

353, note 2.

sidérable, il y avait dans un rang inférieur aux comtes des vicomtes (vice comites), des avoyers (advocati), des viguiers (vicarii), des sculdasü ou sculteti (ces deux derniers mots n'ont pas d'équivalent en français), tous exerçant comme les comtes l'autorité judiciaire, administrative et militaire, mais dans un territoire plus borné. On voit par la loi des Visigoths qui ont occupé une partie considérable du midi de la France, qu'il y avait encore d'autres magistrats inférieurs, tels que le Millenier, le Cinq Centenier, le Centenier, le Dépenseur, le Dixenier, le Numerarius, l'Assertor Pacis, le Tyuphadus; mais il ne reste pas de monumens qui déterminent exactement la nature de ces divers offices 3.

Ces magistrats n'étaient point inférieurs aux comtes, dans le sens que nous attachons aujourd'hui à ce mot; car leurs jugemens n'étaient point soumis à l'appel ou autre espèce de révision de la part du comte; seulement ils exerçaient leur juridiction sur un territoire moins étendu, ou dans des affaires moins importantes, comme on le verra plus amplement lorsque nous distinguerons les diverses assemblées où le peuple jugeait et administrait lui-même, sous la présidence de ces divers magistrats. Il est au reste utile de faire observer que les appels judiciaires

(1) Meyer, tom. I, pag. 93 et 361.

(2) Cette division des habitans d'un pays en dizaines, centaines, millenes, est tellement naturelle qu'on la trouve non-seulement chez tous les peuples septentrionaux de l'Europe, mais encore chez les anciens Israelites, et même chez des peuples du Nouveau-Monde avant qu'ils enssent eu aucune communication avec l'ancien. Blackstone, tom. I, p. 31, rapporte plusieurs autorités qui établissent une telle similitude quant aux Péruviens.

(3) Meyer, tom. I, pag. 93, 94.

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