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PRÉFACE.

L'ANGLETERRE est depuis long-temps citée comme un modèle d'organisation sociale, surtout quant à l'administration de la justice et aux garanties que cette branche de ses institutions offre à la liberté du citoyen. Cependant, au milieu de ce concert d'une admiration presque unanime, comment se fait-il qu'on porte des jugemens si divers sur chacune des institutions de ce pays en particulier? Publicistes, jurisconsultes, orateurs politiques, hommes d'état, tous les invoquent tour à tour dans des sens quelquefois absolument opposés. C'est à cette même source qu'on puise des exemples en faveur de toutes les opinions; le despotisme et la liberté, l'aristocratie et la démocratie vont y chercher également des appuis, et leurs organes respectifs présentent souvent la même institution, le même usage comme servant également de base à des systèmes aussi contradictoires.

On croira peut-être que la diversité de ces jugemens n'est que l'effet des préjugés ou des intérêts de chacun de ceux qui les forment. Je suis loin de nier entièrement l'influence de cette cause, mais je pense

qu'elle n'est point la seule, ni même la principale, car il est de fait qu'on trouve dans les institutions anglaises presque tous les systèmes opposés. J'ai tâché, dans mon introduction, de faire voir les raisons de cette bigarrure, et d'expliquer comment les choses les plus opposées ont lieu simultanément chez ce peuple sans paraître troubler l'harmonie sociale. Mais pour le moment, il me suffira de faire observer que tous ces contrastes sont certains, et j'ajoute qu'ils me semblent être la cause principale des jugemens contradictoires qu'on porte sur les institutions d'un pays qui mérite vraiment toute l'attention du philosophe.

Qu'il me soit permis, avant d'aller plus loin, de rendre compte des impressions qu'éprouvent généralement les étrangers à leur arrivée en Angleterre, selon les opinions diverses dont ils étaient précédemment imbus ; j'ose dire qu'il n'en est peut-être pas un seul qui ne soit déçu dans l'idée qu'il s'en était auparavant formée.

Si, par exemple, l'étranger observateur a cru y trouver dans sa pureté le principe de l'égalité des droits, que pensera-t-il de l'inconcevable oligarchie, non-seulement de la chambre des pairs, mais encore de la chambre des communes, de cette prétendue représentation de la masse nationale, dont la majorité est à la disposition de quelques centaines d'individus ? Que pensera-t-il en apprenant que toute la propriété

foncière du royaume est entre les mains de vingt à vingt-cinq mille personnes, sur une population de près de vingt millions d'hommes? Que pensera-t-il de cette distinction des diverses classes de la société, non-seulement en nobles et roturiers, mais encore parmi les roturiers eux-mêmes, en chevaliers, baronnets', esquires, gentlemen, etc.? Que dira-t-il de cette distance méprisante à laquelle on tient les domestiques, et même les ouvriers des arts mécaniques? Que dira-t-il de cette foule d'usages de la vie privée, qui portent partout l'empreinte de l'aristocratie, et dont la plupart sont encore calqués sur ceux du système féodal? Et si, d'un autre côté, il a cru trouver des hommes affranchis de tout esprit de servilité monarchique, des hommes au-dessus de toute idée du droit divin et absolu, il sera étrangement surpris de lire dans les armoiries royales, qui sont prodiguées à chaque pas, cette devise si énergique de la tyrannie: Dieu et mon droit. Il ne sera pas moins surpris en lisant dans les auteurs les plus accrédités que le roi est propriétaire, médiat ou immédiat, de toutes les terres du royaume ', qu'en matière de propriété

(1) On verra dans l'introduction que les lords sont les seuls véritables nobles de l'Angleterre.

(2) Voy. le Dictionnaire de droit (Law Dictionary) par Tommlins, 3e édition, au mot Tenures, colonne 2. Dans le fait, tout cela n'est plus qu'une fiction, mais elle fait voir combien l'on a de peine en Angleterre à se défaire des anciennes idées féodales.

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