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tion criminelle sous le rapport du fardeau qu'elle impose aux citoyens, le magistrat peut forcer une partie plaignante à donner caution de continuer la poursuite jusqu'à la fin; et cette obligation est d'autant plus onéreuse qu'elle entraîne toujours au moins l'avance des frais, avec la crainte même de ne pas être remboursé en définitive, dans le cas où l'on ne produirait pas la conviction.

En France, il y a des différences notables sur ces deux points: d'abord, comme le droit d'accusation par les simples citoyens n'y existe pas, les officiers judiciaires ne sont pas même tenus de faire les premières poursuites lorsque ce n'est pas la personne lésée qui leur dénonce un fait. Secondement, la partie plaignante n'est jamais forcée de poursuivre elle-même, et elle n'est pas obligée non plus de se constituer partie civile si elle ne l'a point déclaré formellement; enfin, lorsqu'elle a fait cette déclaration de sa propre volonté, elle peut encore s'en désister dans les vingt-quatre heures.

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La législation des autres parties de l'Europe' differe encore plus que celle de France de la législation anglaise, quant à ce premier degré de procédure criminelle. En général la partie plaignante n'a aucune part aux actes d'instruction du juge, tandis qu'en France, lorsqu'elle s'est constituée partie civile, elle communique

(1) Il faut excepter la Suisse et surtout les cantons démocratiques, où la procédure criminelle (à l'exception du jury qui n'y existe pas), a le plus grand rapport avec celle de l'Angleterre, ainsi que nous le ferons remarquer plus spécialement dans quelques-uns des paragraphes qui vont suivre.

(2) Quand je parle de la France seulement, on ne doit pas oublier que je comprends toujours sous le même système les pays qui ayant emprunté la législation française dans le temps de l'empire ne l'ont point encore abandonnée.

avec le ministère public, et elle peut comparaître aux débats avec l'assistance d'un avoué ou d'un avocat.

Si nous passons spécialement aux procédures qui se font sur simple dénonciation, c'est-à-dire sur l'avis d'une personne qui n'a point à se plaindre elle-même du fait dénoncé, il y a encore une grande différence entre l'Angleterre et la France d'un côté, et la plus grande partie des états de l'Europe' de l'autre. En Angleterre, où tous les actes des magistrats sont à peu près publics, il n'est pas possible que le dénonciateur reste ignoré; et en France, quoique l'instruction préparatoire soit tout-àfait secrète, le ministère public est obligé de faire connaître les dénonciateurs d'un accusé absous, qui peut les poursuivre en calomnie et en dommages-intérêts; mais presque partout ailleurs, le dénonciateur peut rester complètement inconnu, et l'accusé n'a aucun remède contre une accusation malicieuse ou inconsidérée. On s'est beaucoup élevé contre la procédure de l'inquisition à cet égard, mais ce n'est point le seul ordre de tribunaux qui soit entaché d'un tel vice.

Il est en Angleterre un usage relatif aux dénonciations, dont je ne puis faire le même éloge que du précédent, et qui me paraît n'avoir rien de semblable que dans la législation romaine. Je veux parler des encouragemens donnés en général aux dénonciateurs et accusateurs. A Rome la loi accordait le droit de suffrage et le quart des biens du condamné à ceux qui voulaient intenter l'accusation; en Angleterre 3 plusieurs statuts ont accordé des récompenses pécuniaires, et les particuliers

(1) Même observation que ci-dessus quant à la Suisse.

(2) Beaufort, t. II, p. 102.

(3) Blackstone, t. IV, p. 294 et 295.

se servent du même moyen pour obtenir la découverte et la conviction des délinquans. Chaque jour on voit dans les rues des placards affichés à cet effet. En France, il est vrai, la loi exempte les complices de crimes contre la sú reté de l'état ou du crime de fausse monnaie lorsqu'ils en ont les premiers donné connaissance à l'autorité, ou bien lorsque, même après le commencement de la poursuite, ils ont procuré l'arrestation de quelqu'un des autres coupables; mais quoique notre législation reconnaisse le principe des récompenses pécuniaires aux dénonciateurs, je ne connais aucune disposition de ce genre qui se rapporte à d'autres cas ou à d'autres délits que ceux qui intéressent l'état et sortent ainsi du droit commun. Enfin, quant aux accusateurs, cela ne pourrait avoir lieu, puisque nous ne reconnaissons plus l'accusation privée. Bentham, dans son projet d'organisation judiciaire, ne désapprouve point ce mobile de la poursuite criminelle, et il ne voit pas pourquoi l'on n'intéresserait pas les citoyens à un acte aussi utileà la société, comme on le fait pour tout autre objet légitime. Cependant, malgré ce motif et cette autorité, je crois un tel moyen tout à la fois dangereux et immoral: dangereux, car il peut conduire à des machinations contre l'innocence; immoral, parce qu'il accoutume les citoyens à spéculer sur le malheur de leurs semblables, et qu'il invite à l'emploi des moyens les plus perfides ou les plus cruels en eux-mêmes, qu'une cause pure pourrait seule justifier. Certes, sous un gouvernement protecteur, la dénonciation civique a de grands avantages, et elle peut même devenir un acte sublime de vertu; mais pour qu'elle ait ces nobles caractères, il faut qu'elle n'ait pour mobile que l'amour du bien public et le sentiment du devoir; mais ce devoir est toujours pénible à remplir.

S III.

De l'arrestation des prévenus et de quelques circonstances accessoires.

En matière criminelle, un Anglais ne peut être arrêté que pour un délit assez grave pour que la caution puisse être exigée.

L'arrestation peut avoir lieu de l'une des quatre manières suivantes: 1° par suite d'un mandat (warrant); 2o sans mandat, mais par un officier de police; 3° sans mandat et par une personne privée; 4° sur la clameur générale (by hue and cry).

Je vais indiquer ce qu'il y a de plus remarquable dans ces divers modes.

1° Pour décerner un mandat il faut trois conditions: 1o que le corps du délit soit constant, c'est-à-dire qu'il y ait certitude entière que le délit en question a été réellement commis; 2° qu'il y ait une preuve des circonstances propres à inculper l'individu qu'il s'agit d'arrêter; 3o que celui qui réclame le mandat prête serment.

En France, la délivrance du mandat d'amener est laissée à l'entière discrétion du juge d'instruction, qui est l'officier chargé spécialement d'agir hors les cas de flagrant délit. La seule restriction qui soit imposée aux autres officiers de police judiciaire, dans le cas de flagrant délit, c'est que la dénonciation seule ne suffit point pour autoriser le mandat contre un individu ayant un domicile; mais, du reste, ces officiers sont absolument juges des circonstances qui peuvent être regardées comme formant un indice suffisant; enfin, leur défaut de res

(1) Blackstone, t. IV, p. 289-295, et Tommlins, au mot Arrest.

ponsabilité peut rendre tout-à-fait sans efficacité cette faible restriction à leur pouvoir.

Dans le canton des Grisons, le président du tribunal, qui a l'initiati ve de la poursuite criminelle, doit rassembler à la hâte tous les membres de son tribunal aussitôt qu'une plainte a eu lieu, ou qu'il est averti d'un délit par la voix publique, ou bien lorsqu'un prévenu a été conduit devant lui; et ce n'est que sur l'avis de tout ou partie du tribunal qu'on peut décerner un mandat contre le prévenu non encore arrêté.

Dans toutes les autres parties de l'Europe, à l'exception de quelques autres cantons suisses que je ne puis indiquer spécialement, je ne connais aucune limite à l'arbitraire des officiers judiciaires sur ce redoutable pouvoir d'arrestation.

2o L'arrestation sans mandat peut être faite ou ordonnée par tout juge de paix ou constable, ou même par un garde de nuit ou de jour, pour toute félonie ou perturbation de la paix publique en leur présence. Le shériff et le coroner ont le même pouvoir dans l'étendue du comté, mais pour le cas de félonie seulement.

En France, comme dans toutes les autres parties de l'Europe, la législation est à peu près la même que celle de l'Angleterre sur ce point; et le principe général est que tout officier de police judiciaire a le droit et le devoir d'arrêter un prévenu en cas de flagrant délit.

3. Quant à l'arrestation sans mandat par une personne privée, je ne connais que l'Angleterre, la France, et quelques parties de la Suisse, où chaque citoyen ait non-seulement le droit, mais encore l'obligation d'arrêter tout individu qui commet un crime en sa présence. Dans le canton des Grisons, par exemple, on est

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