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ment comme les autres témoins, ce qui n'a lieu en France que par exception et seulement dans certains cas où il y a besoin d'explications ou de réponse à certaines contestations.

S IV.

De la défense des accusés.

J'ai déjà eu l'occasion de parler de l'inconséquence et de l'illibéralité de la loi anglaise qui refuse un conseil aux accusés de félonie, c'est-à-dire d'une grande quantité de crimes dont plusieurs entraînent la peine de mort, tandis qu'elle en accorde pour les misdemeanours, qui sont des faits infiniment moins graves. Cependant, cette proposition présentée d'une manière aussi absolue pourrait induire en erreur sur l'étendue de son application, si l'on n'indiquait certaines modifications, soit législatives, soit de jurisprudence, qui en restreignent beaucoup la ri

gueur.

D'abord, outre l'exception relative aux misdemeanours, la loi accorde également un conseil aux accusés de haute trahison, en sorte qu'on s'est relâché de la rigueur primitive du principe dans le plus haut et dans les derniers degrés de l'échelle des crimes et des délits. On ne peut vraiment concevoir comment le législateur n'a pas été inévitablement conduit à remplir l'affligeante lacune qui existe encore à cet égard dans la procédure criminelle anglaise, dont les autres bases sont si philantropiques. En 1824, une proposition tendante à ce but fut faite à la chambre des communes par M. Lamb, mais elle fut rejetée à une grande majorité. Les motifs qu'on mit en avant contre la proposition furent que le juge est le conseil na

turel des accusés, et que les avocats abuseraient de leur éloquence pour en appeler aux passions des jurés ou les égarer par des subtilités; mais je crains bien que la véritable raison ne fût la jalousie secrète des juges contre tout ce qui peut diminuer leur influence, ainsi que la crainte de voir cesser un usage qui leur donne de la popularité, en faisant considérer comme une grace tout ce qui n'est qu'un devoir impérieux de leur part, c'est-àdire une stricte impartialité. D'ailleurs, les argumens que je viens de rapporter prouveraient beaucoup trop, s'ils n'étaient pitoyables en eux-mêmes, car ils prouveraient qu'il faut interdire le secours d'un avocat pour tous les crimes et délits sans distinction, aussi bien pour les misdemeanours que pour les crimes de trahison, et j'ai de la peine à croire qu'aucun juge anglais osât avancer une telle proposition.

En second lieu, et ceci rend un peu moins condamnable le rejet du bill de M. Lamb, on permet actuellement aux accusés de félonie le secours d'un conseil pour plaider les questions de droit et pour le contre-examen des témoins, en sorte que la prohibition ne s'étend réellement qu'à la plaidoirie définitive du point de fait.

Troisièmement, ce qui rend encore moins sensible en Angleterre le défaut de cette plaidoirie, c'est qu'à mesure de l'examen et du contre-examen de chaque témoin, l'avocat peut en tirer des argumens, des conclusions, et discuter ainsi partiellement les faits, ce qui rend beaucoup moins nécessaire une exposition définitive à cet égard. En France, au contraire, si l'avocat fait la moindre observation sur les témoignages, le président l'arrête aussitôt et lui dit qu'il pourra la faire dans son plaidoyer. En attendant, l'accusateur a la faculté de discuter chaque témoignage,

de le contester ou de l'amplifier, d'argumenter à son aiss et de tirer des conclusions favorables à son système. Un tef mode anéantit absolument l'égalité qui devrait régner entre l'attaque et la défense; et comme je l'ai dit dans la section 2 de la partie française, il est souvent impossible à l'avocat de se rappeler à la fin des débats une foule de choses fugitives, sur lesquelles il eût pu faire d'utiles observations à mesure qu'elles se présentaient; en attendant, la conviction s'est formée, et si elle est contraire à son client rien ne peut plus la détruire.

De tout ce que je viens de représenter il faut conclure que l'exclusion ou plutôt la restriction de la défense pour certains crimes n'est point aussi désastreuse en Angleterre qu'elle le serait sans toutes ces modifications. Cependant on peut ajouter dans un autre sens que l'accusé n'y a pas toujours, comme en France, le droit de dernière réplique; ce privilége est au contraire accordé à l'attorney général dans les causes qui se poursuivent à la requête de la cou

ronne.

Je dois maintenant faire quelques remarques sur la manière dont les avocats anglais font leur plaidoirie définitive. Un écrivain qui, sans doute, i'a pas assez réfléchi à la différence des débats en Angleterre et en France, quant au contre-examen et à la discussion successive des faits, loue beaucoup les avocats anglais de ce que, parvenus à la fin des débats, ils laissent les jurés tirer eux-mêmes les conséquences qui résultent du fait ; ensuite faisant allusion aux avocats français, il s'élève contre les moyens oratoires qu'ils emploient dans cette partie de la défense. Il est vrai qu'en Angleterre, dans les causes de peu d'importance, la plaidoirie définitive a ordinairement moins de développemens qu'en France, et l'on vient d'en voir les motifs tout-à

fait naturels, ainsi que la différence de position des deux barreaux respectifs sous ce rapport; mais il faut faire ici unc observation par eille à celle que j'ai faite à l'égard de l'accusation, c'est que les avocats emploient la même étendue de plaidoirie et les mêmes moyens de persuasion toutes les fois que les causes sont importantes ou qu'il existe des motifs quelconques de contestation. C'est ce dont j'ai été témoin bien souvent, et voici un passage de M. Philips qui confirme eutièrement mon assertion: « Plusieurs d'entre eux, dit-il page 143, ne sont pas même trop scrupuleux sur les moyens d'obtenir une déclaration favorable. Il n'y a point d'artifices, de sentimens affectés, de flatteries, de séductions, de persuasions, d'insinuations et d'assertions qu'ils ne considèrent comme une partie essentielle du caractère de leur profession et qu'ils n'emploient pour une bonne ou pour une mauvaise cause. »

Chez les Romains, la défense des accusés avait un caractère encore bien plus passionné et bien plus compliqué dans ses moyens qu'en France et en Angleterre. L'accusé changeait d'habit, prenait une robe sale et usée, et laissait croître sa barbe et ses cheveux. S'il était d'une famille considérable dans l'état, tous ses parens et ses amis faisaient de même. Souvent des magistrats et des sénateurs étaient de ce nombre et allaient eux-mêmes solliciter les juges et le peuple. Souvent plusieurs avocats étaient chargés de la défense et l'on en a vu jusqu'à douze. Enfin, les plaidoyers de Cicéron nous apprennent à quel point l'on employait tous les développemens et toutes les ressources de l'éloquence pour parvenir à émouvoir les juges en faveur des accusés.

S V.

Du résumé de la cause et de l'influence du juge sur les jurés.

Nous avons vu, dans l'introduction, ce qu'on doit penser de l'opinion commune sur la prétendue impassibilité des juges anglais; ainsi je n'aurai point à revenir sur ce sujet, et je vais me borner à parler de leurs fonctions dans le résumé des débats, ainsi que de l'influence qu'ils ont sur la décision du jury, même lorsqu'ils se dépouillent de toute considération personnelle.

Cette influence est bien plus grande qu'en France, quoique l'opinion commune soit également contraire à une telle proposition, et en voici les raisons principales:

1o Dans le résumé des juges anglais, quelle que soit leur impartialité sur les faits, ils sont autorisés à donner aux jurés leur opinion sur la qualification du délit et même sur la quotité de la peine, tandis qu'en France le prési dent doit se borner à leur faire remarquer les principales preuves pour ou contre l'accusé.

2o En Angleterre, lorsque les jurés, après avoir délibéré, se trouvent embarrassés sur quelque point, ils s'adressent au juge pour savoir son avis ou recevoir quelqu'explication, avis qui le plus souvent sert de base à leur décision;

3o Les jurés anglais portent souvent encore bien plus loin leur déférence pour le juge, en déclarant qu'ils s'en rapporteront à la décision sur la qualification du fait; c'est ce qu'on appelle donner un verdict special, dont je parlerai encore au paragraphe suivant;

4o Les juges anglais se permettent souvent de faire

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