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preuve La preuve littérale et la preuve testimoniale ne sont donc réellement qu'un seul et même genre de preuves, quoiqu'elles diffèrent par le temps. où les témoignages sont reçus, par la manière dont ils le sont, par les personnes des témoins, etc. Elles ont, l'une et l'autre, le même fondement, cette analogie dont nous avons déjà parlé, et dont nous aurons encore occasion de parler; cette présomption, ou cette certitude morale, que des personnes de probité ne s'accorderont pas pour faire un mensonge au préjudice d'un tiers.

Si l'écrit est signé de la personne à laquelle on l'oppose, et qu'elle reconnaisse sa signature, la preuve qui en résulte se confond alors avec l'aveu de la partie, dont nous parlerons, section IV. Mais cet aveu lui-même, qu'est-il autre chose que le témoignage de la partie intéressée (1)? Il est donc, avec un peu de réflexion, facile de voir que la preuve testimoniale est la source de la preuve littérale.

2. Aussi, est-elle plus ancienne que cette dernière. L'histoire nous apprend que l'art de peindre la parole, de la rendre durable et permanente, fut plus ou moins long-temps inconnu (2) chez les nations, même les plus anciennes. Dans notre Europe, les peuples d'origine germanique

(1) Aussi cet aveu est mis, par le Code, au rang des présomptions légales. Voyez art. 1350, no. 4.

(2) Voyez Goguet, de l'Origine des lois, des arts et des sciences, liv. 2, chap. VI, qui traite de l'Origine de l'écriture, etc., tom. Ier., pag. 161 et suiv., édit. de 1759, 6 vol. in-12.

ne connurent et ne pratiquèrent que fort tard l'usage de l'écriture (1).

Cependant, avant comme depuis l'invention et l'usage de l'écriture, les hommes avaient entre eux des relations d'affaires, et passaient des contrats. Ces contrats ne pouvaient se faire que verbalement; et, pour les constater, la forme usitée était de les passer en public, et en présence de témoins (2). La preuve testimoniale était donc alors la seule manière de prouver les conventions et les contrats.

Depuis l'invention et l'usage de l'écriture, on continua d'admettre la preuve testimoniale, tant des faits que des conventions ou des contrats: elle était reçue chez les Juifs, chez les Grecs, chez les Romains; ces derniers lui accordaient la même force qu'aux actes écrits. In exercendis litibus eamdem vim obtinent tàm fides instrumentorum, quàm depositiones testium. L. 15, Cod. de Fide instrum., 4.21.

3. Bien plus, Justinien donne la prépondérance à la preuve testimoniale, quand il s'agit de savoir laquelle des deux doit l'emporter. Si verò tale aliquid contigerit quale in Armenia factum est, ut aliud quidem faciat collatio literarum, aliud

(1) Vid. Heineccius, Historia juris germanici, lib. 2, §. I, avec la note de Silberad et les auteurs qu'ils citent:

(2) Goguet, ubi supr., pag. 55 et 56; Danty, Additions sur la préface de Boiceau, no 3 et suiv. ; Denis d'Halicarnasse, Antiquit. Roman., lib. 2, pag. 134, édit de Wechel, Francofurti, 1586, in-fol.

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verò testimonia; tunc nos quidem existimavimus ea quæ dicuntur vicâ voce, et cum jurejurando: hæc digniora fide quàm scripturam ipsam secundim se subsistere. Nov. 73, cap. III.

La raison qu'en donnent les interprètes, est, que le témoignage des actes par écrit, est un témoignage muet; ils ne peuvent répondre (1), au lieu que le témoin parle, raisonne, et répond, quand on l'interroge, à toutes les questions qu'on lui fait.

foi

par

Aussi, à Rome, c'était de la preuve testimoniale que tiraient toute leur force les actes écrits, reçus par un tabellion ; ils ne faisaient pas eux-mêmes : la signature du tabellion ne suffisait pas pour leur conférer l'authenticité. Si l'écriture, si les signatures n'étaient pas reconnues, on appelait le tabellion en témoignage. Il comparaissait en personne, après avoir prêté serment pour attester la vérité des faits, et reconnaître son

(1) Hac potissimum ratione ducti, quòd înstrumentorum testatio sit muta, et quæ interrogata, non respondeat: testium verò probatio semper loquatur, ratiocinetur, et sæpiùs interrogata, respondeat, inquit Cynus. Hinc antiquum de instrumentis adagium ab Erasmo relatum, surda testimonia. Boiceau, Préface de son Commentaire sur l'art. 54 de l'ordonnance de Moulins.

Bouteiller, Somme rurale, tit. 106, dit aussi « S'il advient que en » jugement une partie se vueille aider de lettres en preuve, et l'autre » partic se vueille aisier de tesmoings singuliers, sachez que la vive voix >> passe vigueur de lettres, si les tesmoings sont contraires aux lettres. » Et se doit le juge plus arrester à la déposition des tesmoings qui de »saine mémoire, déposent et rendent sentence de leur déposition, » que à la teneur des lettres qui ne rendent cause v.

écriture: s'il était mort, il fallait appeler les autres témoins (1).

Quant aux actes faits sans le concours du tabellion, il fallait y appeler au moins trois témoins, qui pussent, en cas de dénégation dẹ l'écriture et de la signature, attester la vérité de l'acte fait et souscrit en leur présence.

Enfin, quant aux actes faits sous la seule signature des partics contractantes, hors la présence des témoins, leur force dépendait uniquement de l'aveu et de la bonne foi de celui qui les avait souscrits; l'autre partie n'avait que la ressource du serment, sans que la vérification de l'écriture et des signatures pût suffire et y suppléer. Cependant, toutes les conventions verbales pouvaient être prouvées par la déposition de trois témoins.

C'était donc réellement de la preuve testimoniale que la preuve littérale tirait toute sa force à Rome.

4. On suivit long-temps en France, les maximes

(1) Voyez ce que nous avons dit, tom. VIII, no. 204 et suiv., avec les autorités citées en note.

Danty, sur Boiceau, Additions à la préface, no. 13, dit aussi « A >> Rome, les contrats ne faisaient pas pleine foi, comme parmi nous; >> il fallait auparavant qu'ils fussent vérifiés par témoius, c'est-à-dire » que les témoins dont les noms y étaient inscrits, eussent été entendus » devant le juge, sur la vérité des faits, etc.

Il est donc évident que les actes écrits, c'est-à-dire, la preuve litté→ rale, ne tiraît sa force que de la preuve testimoniale. Les actes insinués en présence du juge ou du gardien des archives, et des parties contractantes étaient les seuls, à Rome, qui fissent foi en justice comme nos actes authentiques.

du droit romain : la
preuve testimoniale y était

le moyen le plus usité, et presque le seul de

prouver les conventions et les contrats. Elle l'em-

portait aussi sur la preuve littérale, suivant l'an-

cienne maxime, témoins passent lettres, comme

nous l'avons remarqué, tome VIII, n°. 63,

pag. 121.

5. Les témoins étaient-ils donc autrefois moins

corruptibles et moins corrompus qu'aujourd'hui?

Non, sans doute; mais on regardait la preuve tes-

timoniale comme nécessaire. Elle l'est en effet;

et telle est la nature de l'homme que, sans la

foi qu'il est forcé d'ajouter au témoignage d'au-

trui, son existence sur la terre serait infiniment

malheureuse.

6. Ce n'est pas que le témoignage des hommes
soit par lui-même la marque infaillible et carac-
téristique de la vérité. Il n'y a pas de liaison né-
cessaire entre la vérité des faits attestés par un
témoin, et le témoignage qu'il rend: car, qui
peut affirmer qu'une chose soit nécessairement
vraie par cela même qu'elle est attestée par un
homme? Le témoignage des hommes peut donc
tromper, et trompe en effet fort souvent.

7. Mais nous ne pouvons connaître les choses,
qui se passent, ou qui sont hors de nous, que par
les sens, par le témoignage des hommes, ou par
l'analogie, c'est-à-dire, par l'induction que nous
tirons d'un fait déjà connu. Or, les sens ne suf-
fisent pas à l'homme. Aucun homme ne peut exa-
miner et connaître par lui-même toutes les choses
nécessaires à la vic, tous les faits qui l'intéressent.

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