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nous quittent, ils foient contens & de nous, & d'eux-mêmes. Il faut éviter furtout ce qu'on appelle le qui vive, comme le plus grand ennemi de la focieté. En prévenant nos égaux, & faifant pour eux les avances, nous les forçons à reconnoître que nous avons plus de politeffe qu'eux, & à reparer ce qu'ils en ont eu de moins par plus de retour qu'ils ne nous en doivent. En général, c'est-à-dire en quelque fituation que foient à notre égard les perfonnes que l'on regarde comme indifferentes, cherchons toû jours à leur faire plaifir par nos difcours & par nos manieres. Ne parlons jamais de qui que ce foit que pour en dire du bien; donnons toûjours aux paroles & aux actions des autres tout le bon tour qu'elles peuvent recevoir. On rifque fouvent de bleffer la verité, quand on ne juge que par les apparences.

Il est affez difficile d'avoir des ennemis quand on fe conduit de cette. forte. Cependant comme on ne nous rend pas toûjours juftice, & que nos meilleures intentions font fouvent prifes en mauvaife part, nous pou

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vons avoir des ennemis; mais il fau ne l'être de perfonne. On ne fçauroit être heureux avec le defir de la vengeance. Faire du bien à fon ennemi dans une occafion, c'eft le jetter dans une confufion & dans un repentir qui valent bien toute autre vengeance; c'eft auffi un moïen prefque fûr d'en faire un ami: & c'eft en céla qu'éclate la puiffance de la vertu puifqu'elle détruit une paffion que le tems maître de toutes chofes, ne peut fouvent détruire. Le tems même en détruifant la haine, laiffe le cœur ennemi dans l'indifference; mais la vertu détruit jufqu'à l'indifference: on ne peut être indifferent pour elle.

Je ne croi pas, Mademoiselle, que vous aïez jamais eu befoin de pratiquer les maximes qui regardent les ennemis la bonté de votre cœur vous met à couvert de l'inimitié; vous êtes toute occupée du foin de vous faire des amis & de les conferver, & voici des maximes qui ont rapport à ce double foin.

Il eft d'une extrême confequence que le choix d'un ami foit bon, & pour cela il ne faut pas s'engager le.

gerement: car la bonté de ce choix confifte dans le merite de la perfonne que l'on choifit, & ce merite ne fe fait bien connoître qu'avec le tems. La plupart des hommes font tous fuperficiels, leur vertu eft une vertu affectée, ils font amis jufques à l'occafion. Nous les croïons fimpathifer avec nous, parce qu'ils ont un efprit fouple, qui s'accommode & qui s'affortit au nôtre pour quelques heures de converfation; mais ils ne font profeffion que d'exterieur, & l'amitié demande du fond & du folide; il s'agit du cœur & non pas de l'efprit. Peu de gens font pourvûs d'un merite effentiel, fans lequel on ne fçauroit être parfait ami. Nous devons donc attendre que le tems & les occafions nous aïent ôté tout lieu de douter de la probité d'une perfonne à qui nous voulons nous unir de cœur, & dont nous voulons faire un autre nous-même. Après de longues & de fûres épreuves, on peut hardiment, on doit même fe découvrir & fe livrer entie rement. Il n'eft plus queftion dans la fuite que du foin de conserver cette étroite union: & voici comme je croi qu'on peut y parvenir.

Le commerce frequent entretient l'amitié, il la nourrit, il la fortifie; on regarde fon ami comme fon bien, & on aime à joüir de fon bien : il faut donc fe voir fouvent & s'écrire de même, quand on ne peut pas fe voir à force de s'entredonner des marques d'amitié, on imprime dans les cœurs l'habitude de s'aimer reciproquement. Les Lettres n'ont pourtant point la force de la converfation; on n'eft pas fi pénétré de ce qu'on lit que de ce qu'on entend, & de ce que l'on voit; la prefence feule d'un ami nous touche & nous atten. drit, il n'a pas befoin de parler pour exciter en nous les mouvemens de l'amitié.

Mais ce commerce pour durer doit être libre. La liberté eft l'ame de la focieté: j'entens une liberté honnête, une liberté d'honnêtes gens qui en ufent entre eux avec politeffe & avec confideration, parce qu'ils s'eftiment l'un l'autre. Mille chofes que l'on dit & que l'on fait qui feroient capables de faire quelque impreffion fâcheufe dans le commerce général, ne doivent être d'aucune confequence

confequence dans le commerce par ticulier. L'amitié juftifie tout, elle nous répond des bonnes intentions; ne nous embarraffons pas du refte. S'il arrivoit cependant que quelque apparence nous trompât, ou qu'on nous fit quelque rapport fâcheux de notre ami, ne faifons aucun effort pour lui cacher notre peine, ni pour l'étouffer; il faut d'abord courir à P'éclairciffement; & nous trouverons prefque toûjours que le rapport eft faux & les apparences trompeufes : ou fi veritablement notre ami a fait quelque faute, il la reparera de maniere que nous ferions prefque fâ chez qu'il ne l'eût pas faite.

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N'exigeons rien de nos amis. Perfùadons nous toûjours qu'ils font ce qu'ils peuvent, & qu'ils font auffi attentifs à nous faire plaifir, que nous le fommes à leur en faire. Mais il feroit bon que ces attentions de part & d'autre fuffent fans inquietude, fi cela fe pouvoit; car enfin de l'amitié qui eft un des plus grands biens de cette vie, on n'en doit pas faire un mal. L'amitié ne demande que ce qui dépend de nous, tout ce

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