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encore de ce point capital: dans une question aussi vaste et compliquée d'un si grand nombre d'éléments d'une appréciatiou fort difficile, la valeur pratique d'un principe ne peut sainement se juger sur une seule application, surtout lorsque cette application est elle-même fort imparfaite et que l'on a opéré dans des conditions économiques insuffisantes ou défavorables. De cette expérimentation sortira nécessairement la supériorité relative des trois systèmes que nous venons d'examiner. I ne sera donc pas sans intérêt d'entrer dans quelques détails sur les conditions de l'établissement du chemin sur lequel elle aura lieu.

L'exécution du chemin d'expérimentation a été décidée par l'arrêté du 5 août 1844, qui ouvre à cet effet au ministre des travaux publics un crédit de 1,800,000 francs. Mais le lieu de l'essai étant resté indéterminé, une autre ordonnance, datée du 2 novembre 1844, a comblé cette lacune en prescrivant que l'expérimentation aurait lieu entre la station de Nanterre du chemin de fer de Paris à Saint-Germain et le plateau de SaintGermain.

Plusieurs autres directions avaient été proposées. Ainsi, l'on avait d'abord jeté les yeux sur le plateau de Sartory, près de Versailles, que le chemin de Paris à Chartres doit traverser : en cas de complète réussite, les tubes atmosphériques seraient devenus un moyen avantageux de franchir une pente très-rapide. Mais le peu d'étendue du chemin (4 kilomètres) ne pouvait rien ajouter aux résultats pratiques recueillis à Dalkey. On a donc sagement renoncé à ce projet, ainsi qu'à celui d'établir le chemin d'essai aux environs de Saint-Cyr, à peu de distance de Sartory. La compagnie fondée pour l'application, de Paris à Sceaux et Orsay, du système des trains articulés de M. Arnoux, avait proposé, moyennant la subvention, d'exécuter dans le courant de l'année 1845 une ligne de 15 à 16 kilomètres, sur laquelle seraient établies trois machines fixes, savoir à Bourg-la-Reine, à Palaiseau et à Orsay. Cette offre, pour des motifs qui nous sont inconnus, n'a point été prise en considération. La commission législative chargée de l'examen du projet de loi tendant à ouvrir le crédit nécessaire, M. Arago rapporteur, s'était prononcée pour la berge du canal de l'Ourcq, du bassin de la Villette à Sevran, sur une distance de 12 kilomètres. Mais l'administration, considérant que l'établissement du chemin de fer de Rouen a brisé presque complétement les relations de la ville de Saint-Germain avec la vallée de la Seine, dont elle était le premier marché, a usé du droit que lui conférait l'arrêté royal du 5 août, en faisant choix de cette direction, qui, du reste, et quoi qu'on en ait dit, semble placée

dans des conditions suffisantes pour assurer le succès et atteindre définitivement le but de l'expérimentation (1).

D'après les renseignements que nous nous sommes procurés, le chemin sera établi à partir de Nanterre jusqu'à la terrasse de Saint-Germain, en suivant la droite de la ligne actuelle, qui, pendant que l'on opérerait la pose des appareils nouveaux, ne serait plus exploitée, depuis Nanterre jusqu'à un point voisin de la gare du Pecq, que sur une seule voie. Vers l'extrémité du bois du Vésinet, à 1,500 mètres en deçà de la gare, le chemin expérimental quittera le chemin ordinaire, et, en s'infléchissant par une courbe de 300 mètres de rayon, traversera la Seine en aval du Pont du Pecq pour s'élever sur le plateau, à l'aide d'une pente moyenne de 2 centimètres et demi par mètre. Son étendue, de Nanterre au sommet du plateau, élevé de 61 mètres au-dessus du niveau de la Seine, sera d'environ 10 kilomètres trois fois lá longueur du chemin de Dalkey.

Les devis des ingénieurs évaluent à 4,000,000 la somme nécessaire à l'exécution des travaux. 1,800,000 seront fournis par l'Etat; de plus une annuité de 20,000 francs pendant dix ans a été votée par l'administration municipale de la ville de Saint-Germain, pour aider la compagnie dans l'exécution des travaux.

Le chemin recevra le système de MM. Cleggs et Samuda, le système de soupapes de M. Hallette et l'appareil à air comprimé de M. Pecqueur. Il est aussi question d'y appliquer le système plus récent de M. Chameroy. La compagnie s'est engagée à mettre à la disposition de chacun des inventeurs une certaine longueur de ligne pour y poser leurs appareils et les soumettre à l'épreuve des expériences publiques, qui auront lieu pendant un mois consécutif, à partir du complet achèvement des travaux.

Le chemin d'essai, concédé à la compagnie aux mêmes conditions que le chemin principal, recevra par conséquent les voyageurs et les marchandises d'après les tarifs primitivement fixés.

(1) Le lieu fixé avait été choisi par M. Cleggs, l'un des inventeurs du système anglais, avant même qu'un essai eût été tenté en Angleterre. D'autres ingénieurs, dont la compétence et le savoir ne sauraient être mis en doute, M. Vignoles entre autres, après avoir visité le tracé du plan incliné de Saint-Germain, ont déclaré que nul point en France n'était mieux placé pour mettre en évidence les résultats du système atmosphérique.

Telles sont les conditions essentielles de l'établissement du chemin d'expérimentation des systèmes atmosphériques anglais et français, chemin destiné à attirer si vivement l'attention du public et celle du monde savant, et qui, en France, ouvre une ère toute nouvelle au progrès et à l'amélioration des grandes inventions industrielles. Il était digne d'un tel pays de ne rien épargner pour favoriser des essais dont la réussite se lie.intimement à un grand intérêt public.

CONCLUSION.

Notre époque, on le voit, assiste à un admirable spectacle. Affranchi des obstacles matériels qui, aux époques précédentes, limitaient son essor, l'esprit d'invention et de perfectionnement, dégagé des liens abstraits de la théorie pure, apporte chaque jour à la science de nouveaux éléments de puissance et de grandeur. De tous côtés se pressent d'utiles et de nombreuses inventions, possédant pour la plupart ce caractère d'économie et d'utilité pratique qui est la condition nécessaire de la vitalité des arts industriels; la plupart aussi seront pour l'humanité d'actifs auxiliaires qui l'aideront à conquérir le monde matériel et à ranger les grandes forces de la nature sous sa puissante domination.

Mais, pour rentrer dans le cercle que nous nous sommes tracé et jeter un dernier coup d'œil sur l'ensemble des nouveaux systèmes de chemins de fer dont nous venons d'exposer les caractères principaux, il y a lieu de se demander quel est celui qui semble devoir le mieux satisfaire aux exigences de l'époque, et qui réalisera au plus haut degré ces conditions - d'économie et d'utilité générale qui seules conduisent au succès?... Au temps seul, on peut le dire, appartient la solution de cette question importante: quels que soient le talent d'un observateur, son zèle ou son impartialité, jamais il ne lui sera donné de juger d'une manière absolue de la valeur d'un principe; car chaque jour l'expérience, cette reine capricieuse, vient déjouer les prévisions qui semblaient les mieux établies. Qu'il nous suffise donc d'ajouter que les principaux d'entre les systèmes dont il s'agit offrent chacun un trait distinctif qui permet d'entrevoir, jusqu'à un certain point, les résultats que l'avenir peut lui réserver; chacun d'eux possède un degré d'u

tilité qui lui est propre et qui pourra justifier son emploi dans certaines circonstances données.

C'est ainsi que le système atmosphérique, appliqué aux chemins à locomotives, c'est-à-dire aux tracés à faibles pentes, est tellement cher de premier établissement et même d'entretien, qu'il ne saurait en ce cas supporter la comparaison avec le système actuel. Son application semble donc ne devoir être usuelle que dans les pays où le sol tourmenté ne permettrait la circulation des locomotives qu'au moyen de travaux d'art gigantesques et coûteux. Que si, par une fatalité qui semble participer des lois immuables du monde physique, l'application du système actuel ne devait point cesser d'occasionner ces terribles catastrophes que nulle science humaine ne peut prévoir, il y aurait, ce nous semble, nécessité absolue de généraliser l'emploi du système de M. Andraud et de celui de M. Pecqueur, dont la sécurité est entière et dont les avantages économiques paraissent démontrés. Quant aux systèmes encore à l'état spéculatif ou de théorie pure, et que nous avons fait connaître d'abord, si des résultats pratiques en sont obtenus, ces résultats paraissent réservés pour un temps encore éloigné de nous. L'un d'eux surtout, celui par l'application du fluide électrique, est destiné, sans aucun doute, à recevoir de cette puissance merveilleuse une supériorité marquée sur tous les autres. Comment douter, en effet, des hautes destinées réservées à cette force motrice, « dont la puissance, dit M. Becquerel, est pour ainsi dire infinie, et qui existe enchaînée, silencieuse, partout où il y a de la matière. » Mais, nous le répétons, les résultats que nous avons sous les yeux et ceux qui sont sur le point de se réaliser, sont déjà assez beaux pour satisfaire toutes les exigences et pour nous permettre d'attendre patiemment ceux plus admirables encore que nous réserve l'avenir.

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