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dans une République naissante, sous les yeux de son tyran qui vit encore, sont pour certains individus comme les lisières usées des enfans débiles; ils ont quelquefois l'air de pouvoir s'en passer; et cependant ils tremblent de les voir tout-à-fait rompues et s'efforcent de s'appuyer dans ce qui leur fait mal encore. Oui, l'existence de Capet est le centre attractif de toutes les intrigues, de toutes les trames, de toutes les machinations de nos ennemis du dedans et du dehors: elle est l'occasion, le prétexte de tous les agitateurs. Sans doute la peine de mort a quelque chose d'affreux, d'épouvantable; mais n'estil pas au moins étonnant que l'on en fasse la réflexion au sujet d'un coupable qui aurait mérité mille morts? Et qu'est-ce qu'une mort d'une seconde auprès du crime, lentement immense, d'égorger tout un Peuple? Quoi! lorsque la tête d'un petit contrefacteur d'assignats, celle d'un voleur, d'un receleur des vols du garde-meuble, celle des subalternes conspirateurs contre la France sont tombées sous le glaive de la loi, celle de Lonis-le-faux, le cruel, le conspirateur en chef n'y tomberait pas ! Et tel serait parmi nous, républicains, le privilége de l'infamie portée à son comble, que nous lui laisserions la faculté de combiner encore d'infâmes projets, en attendant bénignement que le remord nous vengeât? Nous venger!. .... Ne nous menace-t-on pas aussi de mériter qu'on nous reproche la vengeance, à nous, à tout un Peuple? Est-ce donc ainsi qu'on voudrait faire

tourner notre prétendue générosité au profit de notre avilissement? On ne se venge pas en vengeant la nature, en vengeant sa patrie; et les crimes de Capet sont tels que Dieu même est intéressé à les punir.

Mais, dit-on encore, n'allons-nous pas irriter toutes les Nations contre nous en faisant périr Capet? N'a-t-il pas un frère à qui nous donnerons occasion de nous peindre comme des barbares qui ont attenté aux jours de leur roi? N'a-t-il pas une femme, une sœur, un fils? que ferons-nous de tout cela ?

Quant à la colère des Nations, qu'on me permette de ne pas y croire, ou de ne pas la redouter. L'ombre royale, massive et sanglante de Louis Capet, s'élevant de l'échafaud, va parcourir la terre; et jusques sur les trônes, elle frappera et d'épouvante et de terreur, ces ames de boue et d'acier que rien ne pouvait émouvoir. Les Peuples la verront avec cette surprise tranquille qui ne va jamais sans l'espérance; et les peintures qu'en pourrait faire le grossier et cauteleux personnage qu'on appelait monsieur, ne sauront lui arracher, aux yeux de la foule, l'empreinte de la hache de la loi. Ce frère pourrait-il donc nous faire un mal plus grand que celui qu'il nous souhaite? Capet vivant, ou Capet mort, cela change-t-il quelque chose à ses odieuses intentions? Qu'il se déclare régent du royaume, roi, s'il veut, dans une terre étrangère: que nous importe? Il ressem blera à ces évêques in partibus, ces évêques de Jérusalem, de Damas, etc. pasteurs ridi

cules d'un troupeau qui les aurait étranglés, et qui maudissaient de loin, au nom de l'église, les ouailles de Mahomet.

La femme de Capet; elle est accusée : il faudra bien la juger aussi. Sa sœur, qu'elle devienne Française, et digne, si elle le peut encore, d'épouser un bon Français. Son fils, son fils! en jugeant Antoinette, comme elle doit l'être, on pourra donner à ce mot son fils son véritable sens. Au reste, qu'il se perde parmi nos enfans; qu'il soit méconnoissable au milieu de tous ceux à qui il faudra bien qu'il ressemble; qu'on l'instruise à gagner son pain, si toutefois l'humeur royale, dont il fut imprégné par la contagieuse fréquentation du monstre qui l'a mis bas dans le repaire de tous les forfaits, ne se manifeste pas de manière à provoquer les mesures de prudence qui pourraient gêner sa liberté.

Louis Capet doit être jugé; il doit l'être par la Convention. Son jugement doit être sanctionné par le Peuple; et il a mérité la peine de mort.

Projet de Décret.

La Convention nationale, considérant que Louis Capet, ci-devant roi des Français, est accusé, par la voix publique, du crime de haute-trahison envers la Nation; que la Constitution ne s'explique pas d'une manière précise sur les crimes particuliers dont fedit Capet est prévenu; qu'en conséquence il ne pourrait être soumis à un jugement rendu dans les formes judiciaires; que le silence

de la Constitution est le premier crime de la malveillance ou de l'indifférence dudit Capet, pour les intérêts de la Nation; que le Peuple français n'a assemblé la Convention que pour faire, selon les circonstances, ce que l'intérêt de la liberté et le maintien de la chose publique exigeraient, décrète ce qui suit:

ARTICLE

PREMIER.

Louis Capet, le dernier roi des Français, est reconnu accusé par la voix publique d'avoir conspiré contre la liberté et l'existence de la Nation française.

II. La Convention nationale est le seul tribunal compétent pour le juger, et le jugement doit être soumis à la sanction du Peuple réuni en assemblées de communes.

III. Il sera incessamment adressé à chaque commune, de la part de la Convention nationale, une lettre missive, par laquelle elles seront invitées à s'assembler dans le plus court délai, et à désigner de la peine de mort, ou de la prison perpétuelle, celle qu'elles entendent infliger à Louis Capet, après que les preuves de ses crimes auront été toutes recueillies par la Convention, après qu'il aura été entendu dans ses défenses. Seront invitées, les communes, à faire passer leur avis, dans le plus court délai, à là Convention.

CHAPITRE XXIII.

Opinion de P. C. F. DAUNOU, Député du Pas-de-Calais à la Convention nationale, sur le Jugement de Louis Capet; imprimée par ordre de la Convention nationale.

CITOYENS,

Il sera digne de vous de rendre un éclatant hommage à l'inviolabilité des Nations, et de dépouiller les rois homicides du privilége de l'impunité. Je pense que Louis peut être jugé mais le sera-t-il par la Convention nationale? C'est un autre privilége dont je viens vous inviter à n'être pas les créateurs.

Je ne m'arrêterai un instant à la question de savoir si Louis est jugeable, que pour établir les principes desquels il résulte, ce me semble, qu'il ne doit pas être jugé par vous. Parmi ces principes, il en est qui vous ont été présentés déjà sous un assez grand nombre d'aspects je m'abstiendrai d'en reproduire les développemens; je n'insisterai que sur les idées que l'on ne vous aurait point encore offertes, ou qui auraient été peu approfondies.

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