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dure, d'entourer ce roi enchaîné par le Peuple de tout l'appareil qui environnait le roi dé chaîné contre le Peuple. Puisque les rois aiment tant la pompe, il faut les entourer de pompe jusque sur l'échafaud.

Quelques-uns prétendent qu'il suffit pour celà de créer, d'après les anciennes formes, un tribunal suprême, qui jugera l'universalité des crimes de Louis XVI; ils ajoutent que si le tribunal actuel était chargé de cette affaire, il y aurait encore cet inconvénient que cette procédure étant immense, puisqu'il n'y a aucun point dans la République où la sélératesse de Louis-le-dernier ne se soit fait sentir, elle absorberait, pendant un long espace de temps, toute l'attention des juges: ils auraient à suivre la trace des perfidies de ce monstre, jusque dans les cours, jusque dans les cabinets étrangers; ils ne pourraient s'occuper de long-temps d'aucune autre affaire, et a'ors les autres accusés gémiraient inutilement dans les prisons; la procédure de Louis entraverait toutes les autres procédures, et sous les liens d'une accusation il arrêterait encore le bras de la justice, levé sur les coupables, comme il l'a fait tant de fois, lorsqu'il était sur le trône; et que, pour parer à cet inconvénient, il faudrait établir un nouveau tribunal, qui jugerait tous les conspirateurs subalternes. D'autres pensent qu'il vaudrait mieux que ce tribunal fût établi pour juger d'une manière plus imposante et plus authentique le ci-devant roi, et que celui qui existe pût continuer sans délai ses opérations déjà commencées. La ma

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jorité des opinions semble donner à la Convention nationale le pouvoir de juger Louis XVI, soit en se formant en cour judicaire, soit en nommant une commission à cet effet: nous n'entrerons point ici dans la discussion de cette question importante; elle doit faire la matière d'un article subséquent.

Nous avons réuni en masse tout le corps de preuves que nous avons dû étendre et développer. Nous ne sommes pas forcés dans cette affaire, de suivre la Constitution, parce qu'elle a été anéantie dans tous ses points. Nous avons le droit de l'anéantir, d'après la Constitution même, et si nous nous trouvions liés par quelqu'un de ses articles, nous le serions par tous. D'ailleurs, si jamais Constitution eût pu lier un Peuple, ce n'était pas la nôtre, puisque le roi nous l'avait faitjurer de force, puisque c'était lui-même qui l'avait dictée, et en particulier l'article que l'on invoque dans ce moment. Enfin, ce contrat passé entre nous et Louis ne nous engage à rien, puisque Louis l'a rompu le premier.

Mais supposons encore que l'on doive suivre la Constitution; elle n'a point prévu le cas dont il s'agit; elle n'a dit nulle part qu'il ne fallait pas punir un roi, s'il faisait assassiner le Peuple. Son inviolabilité, si absurde pendant son règne, ne subsiste plus après sa déchéance, le silence même de cette Constitution le prouve : donc sans la Constitution, comme par la Constitution, ce n'est donc point la simple déchéance, mais une peine proportionnée à ses crimes, que Louis XVI

doit encourir; c'est ce qu'il fallait d'abord démontrer.

CHAPITRE XX VI

Réflexions présentées à la Nation française, sur le procès intenté à Louis XVI, par M. NECKER.

UN seul entre tous les rois, qui ont régné sur la France, depuis Chalemagne, un seul a voulu fonder la liberté publique sur des bases indestructibles, un seul, entouré d'une armée fidelle, et dans la plénitude de ses forces, a posé lui-même des bornes à son autorité; un seul a dit un jour à sa Nation: venez, associez-vous à ma puissance, et donnez-moi plus d'amour; un seul a jugé sans illusion les prérogatives qui semblaient depuis long-temps appartenir à sa couronne; et dédaignant toutes celles qu'il croyait inutiles à l'ordre public et au bonheur de la France, il s'en est détaché volontairement et les a déposées, pour ainsi dire, sur l'autel de la Patrie; et ce monarque, aujourd'hui, ce même monarque, après avoir essuyé tous les genres d'outrage, après avoir fait l'épreuve des disgraces les plus amères, se voit renfermé dans une étroite prison, et

soumis aux rigueurs de la plus effrayante captivité. C'est-là que, séparé du monde, il apprend de temps à autre, l'écroulement de sa fortune et de sa réputation; c'est-là qu'on vient de le dépouiller des derniers signes de sa grandeur passée, et c'est-là qu'un jour, peut-être, on ira l'avertir de comparaître, avec toute l'humiliation d'un accusé, devant un tribunal prévenu, devant un tribunal dont la puissance n'existerait pas aujourd'hui, sans un sentiment généreux, sans un premier acte de confiance de la part d'un roi, que vous avez nommé vous-mêmes le Restaurateur de la liberté française. Cette époque, remarquable dans les annales de la France, ne doit pas encore être effacée de votre mémoire, et l'histoire en conservera, n'en doutez point, le souvenir éternel. Que serait-ce, grand Dieu! si, près des lignes qu'elle tracera pour consacrer les vertus publiques et particulières d'un infortuné monarque, si, près de cet auguste témoignage, on n'avait à lire un jour, le récit du plus horrible des forfaits, et de la plus barbare ingratitude! Déjà, cependant, et au sein de la France, au milieu de cet Empire dont la destinée fut unie pendant neuf cents ans aux illustres ayeux de Louis XVI, personne n'ose encore élever sa voix en faveur de ce prince; c'est en secret qu'on pleure ses malheurs, et c'est avec la plus grande publicité, c'est par tous les genres d'écrits qu'on cherche à le ruiner ou à le dégrader dans l'opinion publique.

Il appartient, peut-être, à un ancien ninistre de ce monarque, et à un témoin de

ses vertus et de ses bienfaits, de se placer des premiers au rang de ses défenseurs; et toutes les affections de mon ame, en saisissant avec transport cette pensée, ne m'ont pas laissé le temps de mesurer mes forces. Hélas! serai-je entendu, lorsque tous les abords sont fermés aux amis de l'innocence opprimée, et ma voix, ma faible voix pourra -t-elle pénétrer à travers le bruit des passions, et au milieu du tumulte qu'une sombre politique agite et dirige à sa volonté? Je l'essayerai du moins, et je confie à la protection des ames généreuses et sensibles, ces lignes que je vais tracer d'une main tremblante, et avec toute l'émotion d'un cœur oppressé.

Je vous le dirai sans crainte, c'est de votre honneur, Peuple français, c'est de votre réputation jusques dans les âges les plus reculés, dont il s'agit peut-être en ce mémorable instant; car, après avoir assujetti votre roi, après avoir soumis votre captif aux décrets de votre toute-puissance, vous aurez à comparaître vous-même, devant le tribunal de la postérité; et bien avant, vous aurez à compter, sans doute, avec vos repentirs et avec vos remords trop tardifs.

Ne vous y méprenez point, ce n'est pas sur des papiers épars, et saisis inopinément dans le cabinet du roi, ou dans les bureaux des agens de la trésorerie, ce n'est pas sur quelques indices susceptibles de diverses explications, que vous serez absous des rigueurs dont vous vous rendez coupables envers un monarque, devenu par ses malheurs, l'objet

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