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coup du peuple piémontais; ils en ont rapporté et en racontent encore des traits aussi nombreux qu'édifiants.

Si vous vouliez en citer quelques-uns des maisons religieuses, je vous dirais que les religieuses de SainteAnne, à Asti, demandèrent elles-mêmes au gouvernement mes deux sœurs, comme nièces de l'évêque de Genève, quoiqu'elles eûssent déjà pris d'autres religieuses niçardes et savoyardes. Bien plus, l'abbesse de ce couvent sollicita et obtint de rendre reversible à trois de nos religieuses émigrées, qui avaient le moins de ressources, une petite pension royale, que la mort d'une religieuse de la maison avait rendue vacante.

Je vous dirai qu'accompagnant deux Clarisses d'Annecy aux Clarisses de Savigliano, je vis l'abbesse à la tête. de la communauté, ouvrir la grande porte du couvent, pour les recevoir à bras ouverts et en grande fête. Pour la continuer le lendemain, on toucha l'orgue à ma messe. Allant ensuite faire mes adieux à ces deux chères filles, elles me dirent que la maison ayant appris qu'elles étaient sans trousseau, leur avait préparé à chacune le leur. Comme on ignorait leur nom, on le leur demanda de suite, et la nuit fut employée à marquer le linge, avant de le leur remettre..

Quelle délicate attention! La religion seule est capable d'inspirer des actes aussi touchants; mais continuons:

Les évêques du Piémont se sont aussi fort bien montrés envers nos prêtres et ecclésiastiques. Monseigneur recevait les lettres les plus affectueuses et souvent les plus utiles à ses diocésains. Entre autres, un abbé Monti, grand vicaire de Casal, pendant la vacance du siége, y mettait un dévouement tout particulier. Aussi, y envoyait-on des sujets plus qu'ailleurs.

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Lorsque je ne pouvais obtenir quelque chose au Bureau des Affaires internes pour nos prêtres et religieuses, je prenais ordinairement le parti d'intéresser M. de SaintMarcel à l'affaire; il trouvait presque toujours le moyen de lever les obstacles. C'était un petit Joseph que nous avions à la Cour, sans parler des secours qu'il tirait habituellement des deux derniers princes, à qui il donnait encore des leçons.

Voilà, cher et vénérable confrère, des matériaux dont vous saurez tirer parti, comme les abeilles des fleurs. Attribuez-en le desordre, non-seulement à mon insuffisance, mais encore au currente calamo, et puis à l'émotion que je ressens encore au souvenir de la touchante conduite des Piémontais envers nous, et surtout celle de la Maison de la Mission, de Turin, dont vous pouvez parler sans autre crainte que de n'en pas dire assez (1). Il est certain que cette justice à leur rendre pèse encore sur nous, mais que votre plume en compense le retard! Je sais bien que les hommes, comme la nature, ne sont que les instruments de Dieu; mais pourquoi ne pas faire remonter vers lui la gratitude pour les moyens dont il se sert pour faire descendre ses bienfaits sur

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nous.

• Du reste, du tout soyez censeur, hors de mon cœur, qui vous est tout dévoué en celui de Notre-Seigneur, Votre pas assez humble, mais très-obligé serviteur, . MONTRÉAL, chanoine.

On est heureux de rencontrer de telles pièces précieuses pour les enchâsser dans le cours de l'histoire. Aussi, nous n'en omettrons pas un mot. A la fin de cette longue lettre, se trouve un post scriptum ainsi conçu :

Il y aurait encore à dire un mot d'une maison laïque de Turin, originaire de Tarentaise, appelée Boch. Ce sont de petits marchands quincaillers qui, avec la plus médiocre fortune, ont rendu des services sans nombre et de tout genre, soit à nos prêtres, soit à nos religieuses; elle donnait souvent à celles-ci une généreuse hospitalité, en attendant leur placement dans des couvents.

(1) Voici un trait qui est à la louange de ces excellents Lazaristes: Dans une de ses courses à Turin, M. Dubouloz avait reçu l'hospitalité à la Maison de la Mission. En la quittaut, il voulut payer une modique pension. M. Sicardi, qui était supérieur, lui répondit qu'il ne recevrait pas un sou d'un grand vicaire de l'évêque de Genève. Le même personnage gronda M. le chanoine Montréal de ce qu'il ne faisait pas assez de feu dans sa chambre, lui qui n'en avait point à la sienne. « Le bois, dit M. Montréal, m'était fourni par la maison. »

RETRIBUERE DIGNARE, DOMINE NOBIS BONA FACIENTIBUS, PROPTER NOMEN TUUN, etc. ▾

C'est la prière de la reconnaissance; qu'elle aille frapper les échos des sanctuaires du Piémont, à la porte desquels nos pères entendirent si souvent ces mots :

. Soyez les bienvenus, prêtres du diocèse de saint François de Sales.

Après avoir payé ce tribut de reconnaissance aux bienfaiteurs particuliers du clergé, M. le chanoine Montréal ne pouvait oublier l'organisateur général de cette ligue de bienfaisance. Ausei écrivit-il encore à M. Vuarin une seconde lettre, dans laquelle il nous révèle la générosité du roi.

Puisqu'il n'y aura plus, dit-il, dans la céleste Jérusalem, que des individus, soit les pierres qui se seront laissé tailler pour l'édifice éternel, il est clair qu'il faut rendre ici-bas l'honneur et la gloire qui sont dus aux corporations, nations et gouvernements. Le peu que je vous ai dit du nôtre et de relatif aux prêtres et religieuses dispersés suffira pour vous indiquer qu'il avait été l'âme des bonnes œuvres, exercées à leur égard.

Tout a été paternel, sans ordonnances, ni invitations imprimées. Le roi avait donné ses ordres à son ministre de l'Intérieur, à l'effet de s'entendre à l'amiable avec les maisons religieuses, cures ou autres (1). Celui-ci avait 'désigné pour cette correspondance M. l'intendant Béné de Saint Jeoire, en Faucigny, l'un des quatre secrétaires de son bureau, (du moins pour ce qui concerne notre diocèse.)

Ce dernier y mettait une obligeance extrême; car outre que j'allais souvent l'importuner, sans qu'il me l'ait jamais témoigné, il était en usage de se rendre chaque dimanche chez notre évêque, pour s'entendre avec lui

(1) Nous avons vu comme tout avait été concerté entre M. Graneri et Son Eminence l'archevêque.

sur les choses les plus difficiles. C'est de cette façon que chacun, on peut le dire, a trouvé autant de secours qu'il avait de besoins, et autant de consolations que de peines. Vive Dieu! dirait ici saint François de Sales.

Quant au personnel de Monseigneur de Genève le roi lui assigna d'abord sur l'économat royal une pension annuelle de 100 louis pour son entretien; il le créa ensuite son conseiller (1) et lui offrit l'évêché de Pignerol, que notre évêque refusa, en disant: Mon Epouse, pour être pauvre et désolée, ne m'en est que plus chère (2). ▾

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M. le chanoine Montréal était mieux placé que tout autre pour nous raconter ce qu'il avait vu à Turin, lui qui ne quitta jamais Mgr Paget. Aussi lui avons-nous laissé la parole. Il avait dressé le tableau des prêtres du diocèse de Genève réfugiés en Piémont, et placés, pour la plupart, par le gouvernement, dans des communautés religieuses. Ils étaient, dit-il, au nombre de 632, sans compter 150 religieuses environ. Malheureusement, ce tableau n'existe plus. Il lui fut demandé par l'illustre M. Vuarin.

. Il y a longtemps, lui répondit Monsieur le chanoine, que je ne l'ai plus, c'est-à-dire, dès que j'ai vu que personne ne me demandait des renseignements. S'il existe encore, seul M. Noïton, recteur de Marcellaz pourrait vous le procureur (3).

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Cette perte est irréparable. Vainement, nous l'avons cherché à Turin et à Annecy. A lui seul, ce tableau nous montrerait sur quelle échelle fut exercée l'hospitalité par

(1) Les lettres patentes nommant Mgr Paget conseiller du roi, signées Victor-Amédée, sont du 12 juillet 1796.

(2) Cette offre lui fut faite par M. le comte Priocca, le 14 juillet 1797. Mgr Paget n'en parla à personne. Six mois après, son neveu en eut connaissance et lui adressa un reproche sur son silence à cet égard. L'humble évêque lui répondit : « Vous le savez encore trop tôt. »

(3) Lettre du 7 juin 1827.

les maisons religieuses envers nos prêtres exilés. Cependant, nous pouvons en offrir un précieux lambeau à nos lecteurs, grâce au dépouillement de quelques lettres écrites par les supérieurs des divers établissements à Son Eminence le cardinal, qui leur avait demandé, par ordre du roi, la note exacte des prêtres émigrés logés dans leur maison.

Nos lecteurs pourront peut-être trouver cette nomenclature un peu sèche, mais nous la jugeons digne de figurer comme pièce rare, dans le texte de notre ouvrage.

Prêtres du diocèse de Genève et de celui de la Tarentaise, reçus en hospitalité dans les étabiissements du Piémont.

CHIERI (1).

Au Grand-Hôpital.

Bérard, J.-F., d'Ayme (Tarentaise), professeur.
Vianey, J.-F., de Grilly-sur-Conflans.

Au couvent de Saint-Dominique.

Violet, Claude, de Rumilly, curé de Mure-sur-Alby. Villard, Louis, curé de Modane.

Bolliet, Hypollite, curé

?

Couvent de Saint-François.

Bévillard, F.-Ch., chanoine du Saint-Sépulcre, Annecy. Luet, Benoît, curé de Plancy.

Chez les Barnabites.

Puthon, C.-J., curé de Seyssel.

Avet, Jean, curé d'Abert.

Chambet, J.-F., curé de Peillonex.

(1) Chieri Corea ou Corium des anciens, ville de 10,000 âmes, éloignée de 10 kilomètres sud-est de Turin.

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