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monde, qui n'ait pas achevé de se conquérir. Mais patience: ses voisins, qui ont accompli l'œuvre, viendront l'aider; l'indépendance se répand, et la nationalité qui est assurée de tous côtés aux autres Etats, cherche aussi par où se communiquer aux Péruviens. Le général Saint-Martin, généralissime de l'armée du Chili, aidé par l'amiral Cochrane, a entrepris d'affranchir les États du Pérou. Il combat la puissance espagnole plus encore avec les vœux secrets de la population péruvienne, qu'avec la force de ses armes. Arrivé sous les murs de Lima, capitale de cette vice-royauté, il en bat les murailles en brèche par ses promesses magnifiques; et, en effet, l'appât de la liberté, qui lui a gagné les cœurs, lui ouvre les portes de cette ville évacuée d'avance par la garnison royale. La victoire sème la zizanie entre Saint-Martin et lord Cochrane ce dernier refuse de reconnaître un supérieur, et s'embarque pour chercher d'autres aventures; mais il lui sera difficile de trouver désormais une partie de l'Amérique qui, bien que redevenue libre, n'ait pas un nouveau maître. Saint-Martin, heureux de n'avoir plus les empêchemens d'un coadjuteur qui, le triomphe consommé, n'était plus qu'un rival, affecte le titre et le rang de protecteur des provinces libres du

Pérou. Il décrète (8 octobre 1824) que « la religion catholique est celle de l'État (1); que le pouvoir suprême, émanant de la nécessité, de la raison et de l'intérêt commun, réside dans sa personne, aussi bien que le commandement général des forces de terre et de mer (2); et que le présent statut se soutiendra en vigueur jusqu'à ce que l'indépendance soit déclarée dans toute l'étendue du Pérou, auquel cas, il sera convoqué un Congrès général pour l'établissement de la Constitution et de la forme de gouvernement jugée séante à l'État (5). » Cette année a dénoué le reste des liens qui rattachaient l'Amérique à l'Espagne. Nous achevons d'assister à la création d'un univers; et c'est un spectacle inaccoutumé dans l'histoire, que la multitude de ces nations qui tombent en possession de leurs droits, avant l'âge de savoir comment on souffre avec sobriété la liberté. Nous allons les voir se dévorer ellesmêmes ou entre elles, par le besoin qu'elles avaient encore, au moment où elles n'ont plus voulu de maîtres, d'une autorité plus sensible que la loi.

L'Empereur de Russie, se regardant comme

(1) Texte du statut provisoire pour l'administration des départemens libres du Pérou, art. 1. Annuaire de Lesur, pour 1821, p. 580. (2) Art. 2.

(3) Art. 8, 9 et 10,

un pontife couronné, n'eût pas demandé mieux que d'arborer ses étendards sur la grande mosquée de Sainte-Sophie, au nom du Dieu persécuté par les infidèles. Mais le comte Capod'Istrias, son ministre, avait commis la faute d'indiquer, dans sa première note sur les affaires d'Orient, la destruction de l'empire Ottoman comme le résultat probable d'une guerre entre son maître et le Grand-Seigneur. Prévoir ce résultat comme une éventualité, c'était l'annoncer comme un but. Les autres puissances l'entendirent ainsi, et s'alarmèrent. Le comte Capod'Istrias avait voulu attirer le reste de l'Europe dans cette guerre par l'appât des dépouilles. Loin de chercher à rassurer les cours alliées sur les agrandissemens de la Russie, il avait mis sa politique à augmenter leurs craintes, afin de les entraîner à combattre avec elle. Il leur avait demandé, il est vrai, l'appui de leurs bons offices pour amener la Porte-Ottomane à des concessions; mais s'il sollicitait leur médiation, c'est parce qu'il la jugeait impuissante. Regardant que le fanatisme aveugle des populations ottomanes serait plus fort que la volonté même du sultan, il cachait les plans du cabinet russe sous le semblant de la modération; dans la vue et de lui donner le temps de se préparer à la guerre, et de faire reconnaître par l'Europe que, toute

voie de conciliation étant épuisée, il avait le droit de prendre les armes.

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Mais l'événement avait failli à cette politique. Les puissances n'avaient pas mordu à l'appât qu'on leur jetait; elles avaient unanimement affiché l'intérêt qu'elles prenaient à la conservation de l'empire Ottoman; et leurs négociations actives tendaient à servir le cabinet de Saint-Pétersbourg au-delà de ses vœux secrets, en lui ravissant tout prétexte sérieux d'une brouillerie avec la Porte. L'Angleterre surtout jouait en Orient une habile partie: elle établissait son influence sur les Turcs et les Grecs, en faisant espérer aux uns qu'elle serait assez forte pour les défendre contre la Russie, et en persuadant aux autres que la Russie tromperait la confiance qu'ils mettaient dans sa protection. Depuis le départ du ministre russe à Constantinople, son ambassadeur était resté maître du terrain. S'il fût parvenu alors à faire accepter la médiation de l'Angleterre au divan, le crédit russe à Constantinople recevait un coup mortel.

Cet ambassadeur obtint de Sa Hautesse (août 1821) une amnistie pour les Grecs qui voudraient poser les armes, et un firman pour la protection de ceux qui ne les avaient pas prises. En même temps, la cour de France agissait dans le même but près de la Porte-Ottomane. Elle

lui représentait qu'il serait impossible que des persécutions contre la religion que professent les Grecs ne fussent vivement ressenties par tous les États européens, et que la Russie en particulier ne se crût autorisée à protéger de toute sa puissance, dans le libre exercice de son culte, un peuple co-religionnaire de ses sujets, lors même que ce droit ne serait pas placé sous la garde des traités. Enfin, la France exprimait le vœu que << l'acte de clémence en faveur des Grecs fût proclamé général, et, en fixant un terme au repentir, tendît à l'encourager (1). »La Porte se borna à protester de son désir de maintenir la paix avec sa voisine la Russie, et à se représenter comme tout-à-fait à l'abri du reproche d'avoir mis en oubli la justice et la modération (2). L'Angleterre, l'Autriche et la Prusse faisaient valoir les actes d'amnistie proclamés par la Porte, auprès du cabinet de Saint-Pétersbourg, qui leur ' demandait toujours quels moyens elles auraient de faire exécuter par le gouvernement Ottoman ces promesses de clémence. C'est ainsi que même cabinet déclinait une proposition de l'An

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le

(1) Texte de la note présentée à la Sublime Porte, par M. le vicomte de Viala, chargé d'affaires de France.-Annuaire de Lesur, pour 1821, p. 660.

(2) Texte de la réponse de la Porte à la note précédente. — Id., p. 661.

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