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par les alliés, n'était pas une humiliation, car il laissait à la France. les frontières de 1792 agrandies de plus d'un million d'âmes, pour parler la langue diplomatique. Il semblait si simple et si parfaitement logique que l'ancienne dynastie fût restaurée avec l'ancien territoire! Seulement on n'avait pas assez remarqué qu'en l'état des agrandissements de toutes les Puissances: l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et la Prusse, la France, reconstituée seulement avec les conquêtes de Louis XIV et de Louis XV, restait relativement plus faible; ce qu'on avait appelé à Francfort les Frontières naturelles, n'était pas une exagération de puissance mena çante pour le repos de l'Europe, mais bien plutôt une juste compensation, et le rétablissement d'un équilibre nécessaire à la paix et au repos du monde.

S IV.

Les préliminaires du Congrès de Vienne et ses Diplomates.

(Juin à novembre 1814.)

Par le Traité de Paris (30 mai 1814), il était formellement stipulé que : « Dans le délai de deux mois, toutes les Puissances engagées de part et d'autre dans la présente guerre enverraient des plénipotentiaires à Vienne, pour régler dans un Congrès général les arrangements qui devaient compléter les dispositions du présent Traité. Cet article si précis rendait nécessaire la réunion d'un Congrès pour couronner l'édifice du Traité de Paris et répartir les territoires que la chute du grand Empire laissait épars. Si l'on avait choisi Vienne, c'est qu'indépendamment de sa situation centrale, des ressources immenses qu'elle offrait pour les distractions et les fêtes durant un long Congrès, et du caractère charmant de ses habitants, les Souverains alliés avaient voulu donner un témoignage de gratitude à l'empereur d'Autriche pour sa conduite si ferme, si prudente dans la guerre, et encore pour cette résignation qui lui avait fait préférer le repos de l'Europe à un trône pour sa fille bien-aimée Marie-Louise. L'esprit rationnel et tempéré qu'avait montré le prince de Metternich dans tous les épisodes difficiles et si multipliés depuis le Congrès de Prague, méritait bien aussi ce témoignage de haute déférence.

Un Congrès plaît toujours à la diplomatie: c'est l'empire où elle règne, où elle déploie toute la souplesse de son esprit, toutes les forces de ses études, et le Congrès de Vienne devait être d'autant plus magnifique dans ses formes, d'autant plus considérable dans ses résultats, que les souverains eux-mêmes allaient y assister; l'empereur de Russie et le roi de Prusse devaient y paraître accompagnés de petits rois et princes allemands qui sollicitaient leur patronage dans la nouvelle reconstitution de l'Allemagne, et ces princes, presque tous liés par des Traités séparés, voulaient être accueillis avec honneur. L'Europe ne devait pas sa délivrance seulement à la marche des Russes: c'était l'Allemagne, libéralement soulevée par les sociétés secrètes, qui avait vaincu à Leipsick; l'Autriche et la Prusse avaient trop de tendance à l'oublier.

Depuis le seizième siècle, bien des congrès s'étaient réunis. En 1646, au Congrès de Münster, il n'y avait pas eu de conférence commune: les diplomates transmettaient leurs notes aux deux médiateurs Chigi et Contarino, qui représentaient le Pape et la république de Venise; ceux-ci proposaient des avis conciliatoires sans prendre aucune décision. A Osnabruck, on se transmettait des notes trèsdétaillées et discutées dans des conférences, sans qu'il y eût même de médiateur. A la suite de ces deux Congrès de Münster et d'Osnabruck la paix, de Westphalie avait été signée en 1648.

Le Congrès de Nimègue (1675) eut pour médiateurs le Pape et le roi d'Angleterre ; il n'y eut pas d'assemblée générale, et chacun discuta ses droits et ses intérêts dans des mémoires, jusqu'à la décision suprême et à la rédaction des Traités.

A Ryswick (1697), la France, l'Angleterre, la Prusse, l'Espagne, les Provinces-Unies et l'empire d'Allemagne envoyèrent des plénipotentiaires. La Suède entra au Congrès comme médiatrice. Les négociations traînèrent en longueur; la France et l'Angleterre signèrent en secret les actes de la paix, avant la décision du médiateur.

Au Congrès d'Utrecht, la France et l'Angleterre agirent avec une prépondérance suprême les plénipotentiaires des autres Puissances n'intervinrent que par des notes, la paix fut signée entre la France et l'Angleterre. Au Congrès d'Aix-la-Chapelle (1748), seules les deux grandes Puissances discutèrent les hautes questions diplomatiques et se bornèrent à communiquer les résultats à leurs Alliés.

Au Congrès de Teschen (1779), la Russie et la France s'interposèrent comme médiatrices entre la Prusse, l'Autriche et la Bavière, et ce fut par de simples notes que les plénipotentiaires agirent. A Rastadt (1798), on s'assembla plusieurs fois et l'on se transmettait des notes discutées dans les conférences. Enfin au Congrès d'Amiens (1802), l'Espagne et la Porte Ottomane furent conviées aux délibéra

tions par la France et la Grande-Bretagne, mais le Traité ne fut signé qu'entre les Cours de Paris et de Londres.

Le Congrès de Vienne devait avoir ceci d'imposant et de grandiose, qu'il s'agissait de la reconstitution générale de l'Europe, et de dessiner une nouvelle carte sur les débris semés par la chute de l'Empire français. Une première tentative fut faite pour concentrer entre les seules quatre Puissances alliées, signataires du Traité de Chaumont (l'Autriche, la Russie, la Prusse et la Grande-Bretagne, la direction suprême du Congrès; les Cabinets alliés se borneraient à communiquer le résultat des délibérations aux autres Puissances intéressées. M. de Talleyrand fit justement observer « qu'une réunion, réduite seulement à quatre Puissances, n'aurait pas le caractère général d'un Congrès, assemblée européenne. D'autres Puissances n'avaient-elles pas joué un grand rôle dans la guerre? Et par exemple, l'Espagne, le Portugal, la Suède. Fallait-il les en exclure? La France accepterait-elle les résolutions d'un Congrès auquel elle n'aurait pas pris une part sérieuse et réelle ? Or, cette France, malgré ses récents malheurs, était assez grande, assez forte pour chercher sa revanche; puisqu'on voulait assurer une longue paix, il fallait satisfaire tous les intérêts, tenir compte de tous les droits et même de l'amour-propre de chacun.» Ces idées furent acceptées, et il fut décidé que la France, l'Espagne, le Portugal et la Suède auraient des représentants au Congrès de Vienne. Le Congrès devait se réunir au mois de juillet, mais le voyage de l'empereur de Russie en Angleterre et en Hollande, une visite triomphale et religieuse qu'il fit à Moscou, en retardèrent encore l'ouverture.

Peu à peu le principe de représentation fut étendu même aux plus petites Puissances, de manière que toutes durent avoir un représentant à Vienne dans la mesure de leur force, de leurs intérêts. On était en pleine paix, et pourtant un certain état d'inquiétude dans les Cabinets s'était révélé. Par un Traité signé le 29 juin 1814 entre la Grande-Bretagne, la Russie, l'Autriche et la Prusse, les Puissances convenaient de maintenir leurs armées sur le pied de guerre jusqu'aux arrangements définitifs qui devaient résulter du Traité de Paris. Ces conventions n'étaient pas arrivées à leur fin: la Bavière devait régler ses frontières avec l'Autriche, l'Angleterre organisait le royaume des Pays-Bas ; mais la plus grosse question, c'était la Saxe et son roi proscrit et captif.

La Prusse considérait cette question comme très-décidée à son profit. Ses troupes avec l'armée russe occupaient toute la Saxe; il n'y avait plus qu'à faire sanctionner par l'Europe cette possession de fait et à la transformer en droit de souveraineté. Le vieux roi de Saxe, captif à Breslau, loin de consentir à cette spoliation, protes

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tait hautement. Dans un long mémoire, il expliquait historiquement sa conduite Pouvait-on lui reprocher d'avoir subi l'empire et le prestige de Napoléon, lorsque toute l'Europe était sous le même ascendant? << Le roi se flatte, disait-il, que les souverains alliés ne se refuseront pas à l'évidence des corollaires qui ont été tirés des faits, développés dans le présent exposé de sa conduite politique. Leurs sentiments de justice lui garantissent même qu'ils prendront en considération ce qui a été dit pour la justification de cette conduite, et qu'ils agiront en conséquence. En attendant, la captivité du roi dure encore, sans que Sa Majesté puisse s'en expliquer les motifs. Il est vrai qu'il s'est répandu à cet égard différents bruits alarmants. On a même prétendu qu'il est question de priver le roi, soit de la totalité, soit d'une partie de ces États héréditaires, contre un dédommagement. Le roi n'y ajoute aucune foi. La ferme confiance dans les souverains alliés, dans les principes de leur coalition publiquement annoncés et dans son droit s'y oppose. »

Ce mémoire, parfaitement rédigé, n'aurait pas sauvé le noble et loyal roi de Saxe, ce Nestor couronné au milieu des monarques, si la France n'avait pris hautement sa défense; et c'est ici que nous appelons l'attention sur une pièce importante de ce Recueil: c'est le texte des instructions données par Louis XVIII au prince de Talleyrand, son premier plénipotentiaire au Congrès de Vienne'. Il faut rendre cette justice au roi Louis XVIII qu'il avait pris avec dignité son rôle politique au sérieux; il voulait que la France eût sa large place marquée au Congrès. Les instructions données au prince de Talleyrand établissaient en principe « qu'il ne pouvait y avoir de Congrès sans que toutes les Puissances fussent représentées sur un pied d'égalité de votes. Et appliquant ce principe aux princes allemands, le Roi donnait pour instructions à son plénipotentiaire de faire admettre tous les princes de la Confédération allemande, sans en excepter le roi de Saxe, car on devait soutenir son droit en vertu de cette maxime qu'un monarque ne peut cesser de régner que par l'abdication ou la conquête : « Si l'Autriche venait à demander la possession de toute l'Italie, il n'y aurait sans doute personne qui ne se récriât à une telle demande, qui ne la trouvât monstrueuse et ne regardât l'union de l'Italie à l'Autriche comme fatale à l'indépendance et à la sûreté de l'Europe. Une fois réunie en un seul corps, l'Italie, à quelque titre qu'elle appartînt à l'Autriche, lui échapperait tôt ou tard. Que fallait-il pour rétablir l'équilibre? Il fallait rendre Naples à son légitime souverain, la Toscane à la reine d'Etrurie, Parme à un prince de la maison de

1. Nous en publions le texte inédit dans ce recueil, p. 215.

Bourbon d'Espagne. Au Saint-Siége, il fallait rendre non-seulement les provinces sur l'Adriatique qui n'avaient pas été cédées, mais aussi les légations de Ravenne et de Bologne devenues vacantes.

En Italie, c'était l'Autriche qu'il fallait empêcher de dominer, en opposant à son influence des influences contraires; en Allemagne, c'était la Prusse : « La constitution physique de cette monarchie lui faisait de l'ambition une sorte de nécessité. Tout prétexte lui était bon. Nul scrupule ne l'arrêtait; la convenance pour elle était un droit. C'est ainsi que dans un cours de soixante-trois années, elle avait porté sa population de moins de quatre millions de sujets à dix millions, et qu'elle était parvenue à se former, si l'on peut ainsi parler, un cadre de monarchie immense, acquérant çà et là des territoires épars, qu'elle tendait à réunir en s'incorporant ceux qui les séparaient. La chute terrible qui avait attiré son ambition ne l'en avait pas corrigée. En ce moment, ses émissaires et ses partisans agitent l'Allemagne, lui peignent la France comme prête à l'envahir encore, et la Prusse, comme seule en état de la défendre, demande qu'on la lui livre pour la préserver. Elle aurait voulu avoir la Belgique. Elle veut avoir tout ce qui est entre les frontières actuelles de la France, la Meuse et le Rhin. Elle veut Luxembourg. Tout est perdu si Mayence ne lui est pas donnée; elle ne peut avoir de sécurité si elle ne possède pas la Saxe. »

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Louis XVIII traitait la Prusse avec une certaine colère afin d'empêcher ses convoitises sur la Saxe; « Les ambassadeurs du Roi, continuait-il, défendront en conséquence, de tous leurs moyens, la cause du roi de Saxe, et dans tous les cas feront ce qui est en eux pour que la Saxe ne devienne point une province prussienne. Avec une merveilleuse sagacité, le Roi repoussait l'idée de donner Mayence à la Prusse; mieux valait étendre le royaume des Pays-Bas jusqu'à la Meuse que de voir la Prusse sur le Rhin. Ce qu'il fallait en Allemagne, c'était d'éviter l'oppression des petits États par les grands. Bien que la Restauration dût beaucoup à la Russie, Louis XVIII n'hésitai pas à se prononcer contre ses idées sur la Pologne : « D'abord la Russie ne veut pas le rétablissement de la Pologne pour perdre ce qu'elle a acquis, elle le veut pour acquérir ce qu'elle ne possède pas. Or, rétablir la Pologne pour la donner tout entière à la Russie, pour porter la population de celle-ci en Europe à quarante-quatre millions de sujets et ses frontières jusqu'à l'Oder, ce serait créer pour l'Europe un danger si grand et si imminent que quoiqu'il faille tout faire pour avoir la paix, si l'exécution d'un tel plan ne pouvait être arrêtée que par la force des armes, il ne faudrait pas balancer un seul moment à les prendre. C'était un langage fier et digne pour un vieux Roi dont le trône

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