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livrait pas préalablement en dépôt à la Prusse, les places de Metz, de Thionville, de Maubeuge, de Mézières et de Sarrelouis1»

Effrayés de tant d'exigences, les Plénipotentiaires en rendirent compte à la Commission de gouvernement, qui répondit : « Les premières ouvertures faites à nos Plénipotentiaires sont de nature à effrayer sur celles que pourraient demander les commandants des armées des autres Puissances et à rendre fort problématique la possibilité d'un arrangement. Quelque fâcheuse que soit en ce moment notre position militaire, il est des sacrifices auxquels l'intérêt national ne permet pas de souscrire. »

Toutefois la Commission du gouvernement ne repoussait pas tout à fait l'idée d'une cession de places fortes. « Il est évident que le motif sur lequel Blücher fonde la demande qu'il a faite de six de nos places de guerre que l'on nomme, et de quelques autres encore que l'on ne nomme pas; que ce motif (la sûreté de son armée) est une de ces allégations mises en avant par la force pour porter aussi loin qu'il est possible le bénéfice du succès du moment. Si, pour arriver à un résultat, il fallait se résoudre à la cession d'une place, il est bien entendu que cette cession ne devrait avoir lieu qu'autant qu'elle garantirait un armistice qui se prolongerait jusqu'à la conclusion de la paix. On se dispense d'ajouter que la remise de cette place ne devrait s'effectuer qu'après la ratification de l'armistice par les gouvernements respectifs. Ainsi le principe d'une remise de places fortes à l'ennemi était déjà admis par la Commission du gouvernement.

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Pendant que les armées alliées se développaient autour de la capitale, les Plénipotentiaires chargés de négocier un Traité de paix, M. de la Fayette en tête, arrivaient au quartier général des souverains alliés avec des instructions particulières que le duc d'Otrante leur avait dictées. La Déclaration du 13 et le Traité du 25 mars, disaient ces instructions, ont reçu une importante modification par l'article que le Cabinet britannique a joint à la ratification de ce Traité, article par lequel ce Cabinet annonce qu'il n'entend point poursuivre la guerre dans l'intention d'imposer à la France un gouvernement particulier. Cette modification a été adoptée par les Alliés; elle a été consacrée par la lettre de lord Clancarty du 6 mai, à la rédaction de laquelle tous les autres Plénipotentiaires ont donné leur assentiment; elle a été consacrée par une note du prince de Metternich en date du 9, et enfin par la Déclaration des puissances en date du 12 du même mois. »

1. Dépêche des commissaires datée de Laon, 26 juin 1815, dix heures du soir. C'était Benjamin Constant qui l'avait écrite, comme secrétaire.

2. Ces instructions, œuvres du duc d'Otrante, sont datées du 24 juin 1815.

De ces déclarations, la Commission de gouvernement concluait la possibilité d'un arrangement. « On ne peut se dissimuler qu'il est fort à craindre, continuait le duc d'Otrante, que les Puissances ne se croient pas liées aujourd'hui par les déclarations qu'elles ont faites avant le commencement des hostilités. Elles ne manqueront pas d'objecter que si, avant la guerre, elles ont établi une distinction entre les nations et l'Empereur, cette distinction n'existe plus lorsque la nation, en réunissant toutes ses forces dans les mains de ce prince, a uni de fait sa destinée à la sienne; que si, avant la guerre, elles étaient sincères dans l'intention de ne point se mêler des affaires intérieures de la France, elles sont forcées de s'en mêler aujourd'hui précisément pour prévenir tout retour semblable de guerre et assurer le repos de l'avenir. »

La grande habileté du duc d'Otrante (le rédacteur de ces instructions) était de faire ressortir les objections et d'y répondre avec moins d'art, de manière à se laisser l'honneur d'une double solution. « Si les Puissances demandaient des cessions de territoires, les Plénipotentiaires devaient répondre que toutes les nations de l'Europe s'étaient tellement accrues depuis le Congrès de Vienne, que ce n'était pas trop de laisser à la France les limites posées par le Traité de Paris (30 mai 1814), consacrées par le Congrès de Vienne. Quel prétexte pourrait aujourd'hui justifier, de la part des Puissances, le démembrement du territoire? Tout est changé dans le système de l'Europe, tout au profit de l'Angleterre, de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse, tout au détriment de la France. La nation française n'en est point jalouse; mais elle ne veut ni être assujettie ni démembrée. C'était un langage digne et rationnel, mais il n'était plus dans la situation.

Arrivés à Haguenau, les Plénipotentiaires, porteurs de ces instructions, demandèrent immédiatement une audience aux souverains alliés, qui se bornèrent à déléguer pour les entendre le comte Walmoden pour l'Autriche, Capo d'Istria1 pour la Russie, le baron Khesbeck pour la Prusse. Lord Stewart déclara qu'il ne pouvait assister à cette séance que comme témoin, sans y prendre part, car il n'était pas autorisé à négocier; que d'ailleurs les Plénipotentiaires français n'avaient aucun caractère légal, envoyés par une Chambre qui n'était pas convoquée par un pouvoir légitime. M. de la Fayette répondit : « Je m'étonne, milord, qu'un homme d'État anglais ignore que le pouvoir d'une assemblée dérive plutôt de ses électeurs que des ministres qui la convoquent. Lord Stewart, sans s'arrêter à

1. Jean Capo d'Istria, né à Corfou en 1780, était attaché à la diplomatie russe depuis le paix de Bucharest; il avait assisté aux conférences de Prague, et était chargé des affaires suisses au Congrès de Vienne.

l'objection, répliqua : « Que la Chambre des représentants avait été élue par une infinie minorité. » Les Plénipotentiaires ayant avancé qu'il n'y avait rien de préjugé concernant le chef que la nation française se donnerait, lord Stewart fit observer (le Moniteur à la main) que cette assertion n'était pas conforme à la vérité puisqu'une proclamation de la Commission du gouvernement déclarait « que Napoléon II était à la tête de l'empire. » Interpellé en vertu de quel droit la nation française prétendait expulser Louis XVIII et se donner un autre roi, M. de la Fayette répliqua : « Milord, du même droit que l'Angleterre a invoqué pour expulser les Stuarts et élire le prince d'Orange.» Les Plénipotentiaires enfin ajoutèrent que la nation française n'était engagée avec aucun prétendant, et que M. le duc d'Orléans, le roi de Saxe ou même un duc français, pourrait être élu. Quand le nom du duc d'Orléans fut prononcé, lord Stewart dit avec un peu d'ironie: « D'après mon avis, ce ne serait qu'un usurpateur de bonne maison. »

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Les propositions françaises ayant été rapportées aux souverains alliés, les généraux Walmoden, Capo d'Istria, transmirent aux Plénipotentiaires une note déclarant : « Que l'Autriche, la Prusse et la Russie ne pouvaient présentement entrer dans aucunes négociations, et que les Cabinets se réuniraient aussitôt qu'il serait possible; mais que les trois Puissances regardaient comme condition essentielle de la paix et d'une véritable tranquillité que l'empereur Napoléon fût mis hors d'état de troubler à l'avenir le repos de la France et de l'Europe, et que même, d'après les événements survenus au mois de mars dernier, les Puissances exigeaient que Napoléon fût remis à leur garde. Après cette notification, qui ne permettait aucune discussion ultérieure, les Plénipotentiaires français eurent l'ordre de quitter Haguen au sous l'escorte d'un officier; ils rentrèrent à Paris le 5 juillet, au milieu de bien lugubres aspects: la capitale était inondée de troupes étrangères.

Les événements avaient marché si vite! l'ennemi avait fait de tels progrès que Paris n'avait plus que l'alternative ou d'une défense héroïque, ou d'une capitulation fatale. Un conseil de défense s'était réuni à la Villette, composé des maréchaux Masséna, Soult, Lefevre (Carnot lui-même y prit part) pour délibérer sur cette question : Paris pourra-t-il se défendre et se sauver par des efforts couronnés de succès? pourra-t-il soutenir un siége régulier et n'y a-t-il pas des points vulnérables qu'on ne peut défendre? Le procès-verbal de cette délibération existe encore. Les membres de la Commission, après avoir considéré l'état de Paris, sans espoir de secours et enveloppé

1. Dépêche des plénipotentiaires (3 juillet 1815).

de toute part, déclarèrent que la capitale serait ou emportée d'assaut et l'armée forcée de se rendre prisonnière, ou bien dans la nécessité de s'ensevelir sous ses ruines. En conséquence, la Commission décida unanimement que Paris ne serait point défendu, et qu'on devait le remettre entre les mains des Alliés, puisque ceux-ci ne voulaient suspendre les hostilités qu'à ce prix. Le général Guilleminot, le baron Bignon et le comte de Bondy furent chargés par le maréchal Davoust de se rendre à Saint-Cloud, quartier général du maréchal Blücher, pour négocier la capitulation; les Prussiens, ivres de leur victoire, restèrent impitoyables. Les termes de la capitulation sont durs et brefs. « Demain 4 juillet, à midi, on remettra Saint-Denis, Saint-Ouen, Clichy et Neuilly. Après-demain, 5 juillet, à la même heure, on remettra Montmartre. Le troisième jour, 6 juillet, toutes les barrières seront remises. Le service extérieur de Paris continuera à être fait par la garde nationale et par le corps de la gendarmerie municipale. Les commandants en chef des armées anglaises et prussiennes, s'engagent à respecter et à faire respecter par leurs subordonnés les autorités actuelles tant qu'elles existeront. Les propriétés publiques, à l'exception de celles qui ont rapport à la guerre, soit qu'elles appartiennent au gouvernement, soit qu'elles dépendent de l'autorité municipale, seront respectées, et les Puissances alliées n'interviendront en aucune manière dans leur administration ou dans leur gestion. Seront pareillement respectées les personnes et les propriétés particulières; ies habitants, et en général tous ceux qui se trouvent dans la capitale, continueront à jouir de leurs droits, de leurs libertés, sans pouvoir être inquiétés ni recherchés en rien, relativement aux fonctions qu'ils occupent ou auraient occupées, à leurs conduites et à leurs opinions politiques '. »

A la suite de cette convention, les Prussiens et les Anglais avaient occupé Paris consterné de cette fatalité de la guerre. Un message de la Commission du gouvernement déclara : Que les circonstances étaient telles qu'elle ne pouvait plus gouverner avec liberté. » La Commission cessait ses fonctions et les représentants dominés par un esprit de vertige, sans s'inquiéter de la présence de l'ennemi, s'occupaient à formuler une constitution, au lieu de prendre des mesures de salut il n'y avait plus l'ombre d'un gouvernement!

Le roi Louis XVIII était resté étranger à tous ces actes et à tous les événements qui s'étaient accomplis en dehors de son pouvoir. La bataille de Waterloo avait conduit l'ennemi sur le territoire français, et ce n'était pas le roi qui signait la capitulation de Paris: il ne pouvait

1. On donna à cet acte le nom de convention; le mot capitulation blessait.

2. La capitulation fut mal tenue et, pour ainsi dire, violée par les Alliés en ce qui touche les propriétés publiques.

en porter la responsabilité. A Gand, le ministère présidé par M. de Talleyrand aurait voulu préparer un arrangement avec les corps. politiques, de manière à faire proclamer Louis XVIII, avant que l'ennemi ne fût maître de la capitale : De cette manière le roi aurait dit à l'étranger: « Que voulez-vous de plus? Je suis sur mon trône les actes du Congrès de Vienne doivent recevoir leur pleine exécution.»> Mais la Chambre des représentants avait repoussé ces idées par une répugnance particulière, elle avait cru qu'elle resterait libre de délibérer, de gouverner quand les Prussiens, et les Anglais seraient maîtres de Paris! et qu'à côté des armées coalisées, l'Europe souffrirait un gouvernement né des Cent-Jours.

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M. de Talleyrand, en s'avançant vers Paris, à la suite du roi, ne désespérait pas de sauver encore la situation; il avait décidé Louis XVIII à promulguer une série d'actes, de proclamations qui devaient rassurer les esprits les plus alarmés; le roi promettait des concessions, des garanties, il allait jusqu'à avouer qu'il s'était trompé en 1814 : « Mon gouvernement a fait des fautes, disait-il dans sa proclamation de Cambrai. Si donc à la suite de ces garanties, Louis XVIII avait été proclamé et reconnu par la Chambre, ies négociations avec l'étranger devenaient plus faciles; le roi rentrant à Paris avant la capitulation, l'invasion n'avait plus de but, la suspension d'armes se faisait de plein droit, et des négociations pouvaient s'ouvrir sur les bases arrêtées au Congrès de Vienne. Mais aucune des démarches n'avaient abouti; la capitulation était signée par les hommes des Cent-Jours. Louis XVIII rentrait presque furtivement et malgré eux dans les Tuileries déjà occupées par les Prussiens'. Il y avait un roi de France et pas de gouvernement; on pût s'en convaincre, car la police militaire de Paris fut confiée à un général prussien, le baron de Mufling; les ennemis, maîtres de la capitale, abusèrent de leur force. L'Allemagne apparaissait avec toutes les haines des sociétés secrètes de 1813; elle n'épargnait rien, parce qu'elle considérait sa victoire comme une représaille.

La situation diplomatique devenait encore plus mauvaise que la position de Paris. En partant de l'idée que Louis XVIII n'était accepté qu'avec répugnance par la nation française, les Alliés en concluaient que son gouvernement n'était pas une garantie pour le repos de l'Europe: il fallait donc demander à la France (je parle le langage de l'ennemi) enivrée de l'esprit révolutionnaire, des garanties, des cessions de territoire, des contributions de guerre, et ce n'était pas trop pour la surveiller et la contenir; que pourrait un roi vieillard contre cette fermentation de l'esprit novateur? « Après les Anglais et

1. Le 8 juillet 1815.

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