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1717. commerce exclusif de la Louisiane. On voit que Crozat craignait que le gouverneur lui-même ne se prétât à la violation de ces lois qui étaient prohibitives de tout commerce étranger dans la colonie ; il prenait donc ses précautions en conséquence. Mais payer un homme pour qu'il ne soit pas infidèle à son mandat, ne constitue qu'une triste et qu'une bien faible garantie.

En acceptant la charte qui le faisait seigneur suzerain de la Louisiane, Crozat avait eu pour but principal de faire, sur une grande échelle, un commerce de contrebande avec les possessions Espagnoles, s'il n'obtenait pas l'autorisation d'en faire un plus légitime. Il ne réussit ni dans l'un ni dans l'autre de ces projets. Le littoral du Mexique était trop bien surveillé et la distance par terre se trouvait trop grande, pour qu'il pût écouler ses marchandises en échappant au fisc Espagnol. Ses agents à la Louisiane s'étant avisés d'envoyer directement à la Vera-Cruz des marchandises de la valeur d'un million de livres, choisies pour le marché Mexicain, le vice-roi n'en permit pas l'entrée et fut sourd à toutes les représentations. Ce qui, du reste, n'était pas étonnant, l'Espagne aimant, à cette époque, autant qu'aucune nation et peut-être plus que toute autre, à se réserver le commerce exclusif de ses colonies. Cette riche cargaison revint à la Louisiane, où il n'y avait pas de débouché pour elle, et fut presque entièrement perdue.

Il ne restait donc à Crozat, pour toute ressource, que le commerce avec les Indiens, lequel était beaucoup trop insignifiant pour le dédommager des dépenses qu'il s'était imposées par l'acceptation de la charte qui lui avait été accordée. D'ailleurs, ses agents avaient rencontré partout dans le pays une opposition sourde, mais qui n'en était pas moins active. En effet, les chefs de la colonie avaient jusqu'alors fait pour leur compte un petit commerce assez avantageux, qu'on appelait in

terlope, avec la Vera-Cruz, la Havane et Pensacola. Il 1717. ne leur fut pas facile de le continuer sous les yeux vigilants des agents de Crozat qui voulait que son monopole fut une vérité.

Ne rencontrant que des obstacles et ne faisant que des pertes dans la gigantesque entreprise à laquelle il s'était livré, Crozat se dégoûta de sa charte et offrit humblement de la remettre au roi, en lui représentant qu'il s'était chargé d'un fardeau au-dessus de ses forces. Cette proposition, faite au mois d'août, fut acceptée, et le 27 d'octobre, le conseil d'état envoya à M. de l'Epinay l'ordre de remettre le gouvernement de la colonie à M. de Bienville et de repasser en France. M. de l'Epinay était arrivé au mois de mars, et lorsqu'il fut rappelé, ce qu'il avait fait de plus remarquable était d'avoir publié une ordonnance, par laquelle il défendait aux habitants de vendre de l'eau de vie aux sauvages. Il est facile de deviner l'impopularité que lui valut cette ordonnance, puisque cette liqueur était l'un des articles. de commerce qui rapportait le plus d'argent aux colons et était un puissant moyen de séduction pour tout obtenir des sauvages.

La proposition de Crozat avait été faite dans les premiers jours d'août, ainsi qu'il est dit plus haut, et avait été acceptée, sur la délibération suivante du conseil de marine, en date du 13 du même mois :

"Le conseil, ayant examiné avec attention les mémoires de M. Crozat, au sujet de la Louisiane, est persuadé qu'il est très avantageux au bien de l'Etat de soutenir cet établissement, par beaucoup de raisons essentielles, que l'on ne détaille point, étant connues de tout le monde. Le conseil croit aussi que c'est une entreprise trop considérable pour qu'un seul particulier en demeure chargé ; qu'il ne convient point au roi de s'en charger luimême, attendu que Sa Majesté ne peut entrer dans tous les détails de commerce qui en sont inséparables; qu'ainsi,

1717. ce qu'on peut faire de mieux, c'est de choisir une compagnie assez forte pour soutenir cette entreprise.

"A l'égard des dédommagements que Sa Majesté accordera à M. Crozat, le conseil de marine n'en parle point, ce détail regardant le conseil des finances." (Signé) L. A. DE BOURBON.

Le Maréchal D'ESTREES.

En vertu de cette délibération du conseil de la marine, la compagnie d'Occident fut créée, et la charte en fut enregistrée au parlement de Paris, le 6 septembre 1717.

Pendant les cinq années d'existence qu'avait eue la charte de Crozat, l'agriculture et le commerce de la colonie n'avaient nullement prospéré. Sa population seule s'était faiblement augmentée; car, en comptant les troupes, elle ne dépassait pas sept cents ames.

Le monopole de Crozat ne cessait que pour être transféré à une compagnie. La France n'imaginait pas d'autre moyen pour faire prospérer cette colonie naissante. Le sens commun et l'expérience indiquaient cependant une autre route à suivre. L'histoire nous apprend que plus d'un souverain d'Europe, lorsqu'il avait voulu fonder une ville ou en rebâtir une détruite, avait promis et accordé toute espèce de franchises, immunités et dispenses sations d'impôts à la population qui viendrait s'y établir. Ce moyen avait toujours été infaillible. Mais aussitôt que la ville devenait florissante, aussitôt que l'enfant, devenu homme, pouvait porter tous les fardeaux que le maître jugeait convenable de lui jeter sur les épaules, la factice libéralité que l'on avait employée comme moyen de séduction disparaissait, et ceux qui en avaient été les dupes s'apercevaient que ce n'était pas dans leur intérêt particulier qu'ils avaient été si paternellement traités. Voilà la politique toute simple que la France avait à appliquer à sa colonie de la Louisiane. Il fallait donner à ses jeunes poumons tout l'air dont ils avaient besoin; il fallait donner au pays toutes les libertés possibles, li

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CHAPITRE VIII.

CRÉATION DE LA COMPAGNIE DES INDES OU DU MISSISSIPPI.-BIEN-
VILLE EST RENOMMÉ GOUVERNEUR DE LA LOUISIANE.—IL FONDE
LA NOUVELLE-ORLÉANS.

1717.

LA compagnie Occidentale, ou compagnie des Indes devait être composée d'actionnaires, à cinq cents livres par action, et ces actionnaires pouvaient être non seulement des sujets du roi de France, mais des étrangers. Le capital était de cent millions. Les articles suivants étaient les principaux de la charte.

La compagnie avait le privilège exclusif de faire le commerce avec la Louisiane pendant vingt-cinq ans ; elle avait aussi le privilège exclusif d'acheter les peaux de castor du Canada, et ce privilège devait durer depuis le premier janvier 1718 jusqu'au 31 décembre 1742. Le roi se réservait le droit, après avoir pris tous les renseignements nécessaires, de fixer la quantité de peaux que la compagnie serait tenue d'acheter des Canadiens, et le prix que les Canadiens en pourraient demander.

Elle avait le pouvoir de faire la guerre ou la paix avec les Indiens. On lui accordait la propriété absolue de toutes les mines qu'elle pourrait découvrir et exploiter.

Elle avait la faculté de faire des concessions de terres, de construire des forts, de lever des troupes, de nom

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