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1724. des habitants et autres, qu'ils soient condamnés au carcan et en outre à une pareille amende de cinq cents livres."

Pour récompenser l'ingénieur Pauger des excellents mémoires qu'il avait envoyés sur le pays et sur l'embouchure du Mississippi, il lui fut envoyé des lettres patentes qui lui accordaient séance et voix délibérative dans le conseil supérieur de la Louisiane. Le besoin d'arpenteurs se faisant de plus en plus sentir dans le pays, le gouvernement, au mois de juin de cette année, breveta en cette capacité les frères de Lassus.

Le 6 septembre, les forces militaires de la colonie étaient réduites à dix compagnies. Voici la liste des capitaines qui les commandaient, avec la date de leurs commissions:

1714:

Marigny de Mandeville.

1717:

De la Tour;

D'Artaguette.

1719:

Du Tisné ;

Lamarque.

1720:

Leblanc ;

Desliettes;

Marchand de Courcelles;

Renault d'Hauterive;

Pradel.

La compagnie ne se borna pas à pourvoir à la législation de la colonie, mais elle fit, presque coup sur coup, relativement aux finances, plusieurs réglements, dont il est difficile de préciser au juste la cause ou le but. Ces réglements, qui jetaient la plus grande incertitude dans la valeur des espèces ayant cours dans le pays, ne pouvaient avoir et n'eurent en effet que des résultats dé

plorables. Les monnaies espagnoles étaient presque les 1724.
seules qui circulaient dans le pays. La compagnie,
non contente d'avoir, par un édit du 23 février de l'an-
née précédente, haussé subitement le taux de ces espè-
ces à presque le double de ce qu'il était auparavant, (car
elle avait porté la piastre de 4 livres à 7 livres 10 sous),
jugea convenable de tout changer de nouveau: ainsi,
d'après un décret du 26 février de cette année, la pis-
tole, qu'elle avait fixée un an auparavant à 30 livres, fut
réduite à 28 livres, et la piastre de 7 livres 10 sous à
7 livres. Le 2 mai suivant, tout fut encore bouleversé,
et les colons virent avec étonnement surgir un autre
arrêt qui réduisait la piastre de 7 livres à 5 livres
12 sous, et la pistole de 28 livres à 22 livres 8 sous.
Quant aux pièces de cuivre, les pièces de vingt au marc,
dont le poids était de 18 deniers, ne devaient valoir do-
rénavant que 12 deniers, et ainsi de suite. Les colons

croyaient en être quittes, pour cette fois, mais à peine
étaient-ils revenus de leur étonnement, que, le 30 octo-
bre, on leur lançait une autre ordonnance qui détruisait
ce qui venait d'être fait, et qui réduisait encore la pistole
de 22 livres 8 sous à 18 livres, et la piastre de 5 livres
12 sous à 4 livres 10 s. Ainsi, dans moins de deux ans,
il y avait eu dans la circulation monétaire du pays, et
cela par le fait de décisions arbitraires de la compagnie,
une hausse et une baisse d'environ 80 pour 100. Il est
facile de se faire une idée de la perturbation qu'une pa-
reille fluctuation dans la valeur de l'or et de l'argent
jeta dans toutes les affaires, et surtout dans les relations
de créanciers et de débiteurs. Sous quelque face que
l'on envisage la question, il est hors de doute que toutes
ces ordonnances, si contraires les unes aux autres, ne
pouvaient être d'aucune utilité pour le pays. Il est donc
permis de présumer que la compagnie, qui avait le com-
merce exclusif de la Louisiane, et qui, à cet avantage,
joignait celui de fabriquer de la monnaie de papier ou

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1724. de carton, avait en vue, par cette altération successive des métaux, de faciliter quelque opération, qui lui rapporta probablement de gros bénéfices.

L'année 1724 peut, à bon droit, être appelée l'année aux édits, et son histoire ne peut être que la récapitulation de ces édits. Aux précédents, dont il est déjà fait mention, il en fut ajouté un autre, provoqué par la disposition d'esprit où étaient la plupart des colons, de tuer tous les animaux domestiques pour s'en nourrir, au lieu d'en propager la race. Ils s'étaient tellement habitués

à l'idée qu'ils devaient être nourris par la mère-patrie, que tous les bestiaux envoyés dans la colonie pour peupler, disparaissaient en peu de temps; de sorte que le roi, à la demande du conseil supérieur, rendit un arrêt punissant de mort toute personne qui aurait volontairement tué ou même blessé tout cheval ou bête à corne qui ne lui appartiendrait pas; et toute personne qui, sans permission d'une autorité compétente, tuait sa propre vache, ou brebis, ou leurs petits, s'ils étaient femelles, était passible d'une amende de 300 livres.

Quelque nécessité qu'il y eût de préserver des animaux utiles, qui étaient extrêmement rares, on ne peut qu'être étonné de la sévérité draconienne de cet édit. Il est d'ailleurs évident que les hommes étaient pour le moins tout aussi nécessaires à la prospérité de la colonie que les chevaux et les bœufs, et qu'ils étaient en assez petit nombre pour qu'on veillât encore plus soigneusement sur leur existence que sur celle de tout animal domestique, quelque précieux qu'il fût. Cependant, on voit qu'après la promulgation de cet édit, il n'en aurait pas coûté davantage pour tuer un homme que pour tuer un bœuf. On ne peut comprendre l'application de la même peine, là où il y avait si peu de parité dans les causes qui avaient provoqué le châtiment.

CHAPITRE X.

M. PÉRIER EST NOMMÉ GOUVERNEUR.-ARRIVÉE DES URSULINES ET
DES JÉSUITES À LA LOUISIANE.-M. DE LA CHAISE, COMMISSAIRE
ORDONNATEUR.—MASSACRE DES FRANÇAIS PAR LES NATCHEZ.

En 1725, le conseil supérieur était présidé par de la Chaise, qui avait succédé à Duvergier comme commissaire-ordonnateur. Il était neveu du fameux père la Chaise, confesseur de Louis XIV. Bruslé, Perry, Fazende, Fleuriau qui avait remplacé Cartier de Baune, comme procureur général, faisaient partie du conseil, dont Rossart était le secrétaire. Le conseil était tenu de siéger une fois par mois, mais indépendamment de ces sessions mensuelles, il avait été autorisé par un édit récent à désigner deux de ses membres qui siégeraient une ou deux fois par semaine afin de prendre connaissance des petites affaires dont le montant n'excéderait pas cent livres.

Appelé en France pour se justifier, Bienville présenta un mémoire dont voici quelques extraits:

"Il y a trente-quatre ans que le sieur de Bienville a l'honneur de servir le roi, dont vingt-sept en qualité de lieutenant de roi et de commandant de la colonie.

"En 1692, il fut reçu garde de la marine; il l'a été sept ans et a fait sept campagnes de long cours, en qualité d'officier, sur les frégates du roi armées en course.

1725.

1725.

"Pendant ces sept campagnes il s'est trouvé à tous les combats que le feu sieur d'Iberville, son frère, à livrés sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre, l'île de Terre-Neuve et baie d'Hudson, et entr'autres, à l'action du Nord contre trois vaisseaux anglais, dont un de 54 canons et deux de 42, qui attaquèrent le dit sieur d'Iberville, commandant une frégate de 42 canons, avec laquelle, dans un combat de cinq heures, il coula à fond le vaisseau de 54 canons, prit l'un des deux autres, et l'autre, dématé, se sauva à la faveur de la nuit. Le sieur de Bienville fut dangereusement blessé à la tête.

"En 1698, il s'embarqua avec le sieur d'Iberville qui commandait deux frégates du roi pour la découverte de l'embouchure du fleuve Mississippi que feu M. de Lasalle avait manquée. Etant arrivé à la côte, il fut détaché avec son frère dans deux chaloupes, avec lesquelles, après des risques infinis, il découvrit le fleuve." Ici, M. de Bienville passe en revue tout ce qu'il a fait à la Louisiane, puis il termine ainsi son mémoire:

"Le sieur de Bienville ose dire que l'établissement de la colonie est dû à la constance avec laquelle il s'y est attaché pendant vingt-sept ans sans en sortir, après en avoir fait la découverte avec son frère d'Iberville. Cet attachement lui a fait discontinuer son service dans la marine, où sa famille est bien connue, son père ayant été tué par les sauvages du Canada, et sept de ses frères étant morts aussi dans le service de la marine, où il reste encore le sieur de Longueil, gouverneur de Montréal au Canada, le sieur de Sérigny, capitaine de vaisseau, et le sieur de Chateaugné, enseigne de vaisseau, lieutenant de roi à la Louisiane."

Pendant l'absence de Bienville, les choses n'en allaient pas mieux à la Louisiane, et Boisbriant qui le remplaçait par intérim, écrivit au ministre, en date du 24 d'octobre, pour se plaindre de l'esprit de coterie, d'injustice et d'insubordination dont était animé le conseil

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