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pendant la nuit, ils se rembarquèrent, et se réfugièrent 1543. dans une île déserte, non loin du lieu qu'ils avaient occupé. Le lendemain, à trois heures de l'après-midi, ils mirent à la voile, et entreprirent leur grand voyage. Ils longèrent la côte en tâtonnant et en s'arrêtant fréquemment, pour faire de l'eau et des vivres et pour réparer leurs embarcations. Enfin, après trois mois de navigation, et après beaucoup d'aventures périlleuses, ils entrèrent dans le port de Panuco, environ à soixante lieues de Mexico, où ils furent bientôt appelés par le vice-roi, don Antonio de Mendoça, qui écouta le récit de leurs aventures avec un extrême intérêt. C'était à qui, dans la ville, ferait un meilleur accueil aux conquérants de la Floride. Parmi ceux qui s'informaient avec le plus d'avidité des détails de cette longue et pénible campagne de la Floride et de la Louisiane, on remarquait don Francisco Mendoça, fils du vice-roi. Lorsqu'on lui raconta tout ce qu'avait fait Quigualtanqui contre les Espagnols, il ne put s'empêcher d'interrompre le narrateur, et se tournant vers ceux qui l'entouraient : "Vraiment, messieurs, ditil, il faut avouer que ce barbare était un homme de bien et un patriote."

Telle fut la fin de cette expédition, magnifique dans sa conception, glorieuse dans son exécution, mais désastreuse dans ses conséquences. Si je la racontais dans tous ses détails, si je disais tous les hauts faits de cette petite troupe de héros, tels qu'ils sont rapportés par des historiens contemporains qui en faisaient partie, ce récit ressemblerait plutôt à un roman de chevalerie qu'à de l'histoire. En effet, quelle audace ne fallût-il pas pour s'aventurer dans ces régions inconnues, et pour ne pas reculer devant les difficultés et les dangers sans nombre présentés par la nature du pays! que de marais ! que de lacs! que de fondrières, que de cyprières, que de forêts impénétrables, que de rivières, que de fleuves à traverser! que de nations féroces à combattre, et le jour et la

1543. nuit que de veilles ! que de privations! que de fatigues! que de maladies! que de souffrances de tous genres! Comment n'être pas frappé d'admiration en jetant les yeux sur la carte, et en voyant l'étendue de terrain parcourue par Soto et ses intrépides compagnons!

Soto perdit la vie dans cette entreprise ainsi que des sommes considérables qu'il y avait consacrées. L'Espagne, sa patrie, n'en retira aucun avantage, et, dans cette circonstance, le sang de ses enfans fut stérilement versé. Mais si cette expédition n'eut pour l'Espagne aucun résultat matériel, elle ajouta une page glorieuse aux pages déjà si héroïques et en quelque sorte si romanesques de ses annales. Quant à Hernando de Soto, il est probable qu'il y gagna tout ce qu'il désirait.... L'immortalité ! S'il eût vécu, il est à croire, d'après le grand courage et l'esprit de persévérance qui le caractérisaient, qu'il serait revenu à la Floride et à la Louisiane, et qu'il aurait essayé d'y fonder des colonies. Néanmoins il n'est pas présumable qu'elles y auraient pris racine. Le génie guerroyant et poétique de l'Espagnol n'est point propre aux pénibles défrichements, aux combinaisons pratiques, aux lentes et laborieuses opérations qu'exige toute colonisation dans des terres vierges et incultes. Il n'y avait dans ces fertiles contrées ni mines d'or ni mines d'argent à exploiter, et nous savons, par expérience, que les Indiens de l'Amérique du Nord sont d'une nature trop fière et trop énergique pour se résigner aux travaux de l'esclavage, comme les Péruviens et les Mexicains. Pour dépouiller cet immense pays de sa physionomie sauvage, pour en tirer tout le parti possible, et pour y naturaliser la civilisation, il fallait ce qui est arrivé plus tard, l'invasion de la race anglo-saxonne, avec son esprit de froid calcul, son labeur patient, sa hache de pionnier, sa bêche infatigable et son impitoyable carabine.

CHAPITRE II.

ÉTABLISSEMENTS AU CANADA.-EXPÉDITION DE MARQUETTE ET
DE JOLIET À LA LOUISIANE.-DESCENTE DU MISSISSIPPI PAR
LASALLE, JUSQU'À SON EMBOUCHURE.

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Les Français, n'ayant pas réussi dans les tentatives qu'ils avaient faites pour coloniser le Canada, paraissaient avoir renoncé à toute entreprise de ce genre, lorsque François de La Roque, seigneur de Robertval, en Picardie, qui jouissait de la plus haute considération dans cette province, sollicita de François Ier la permission d'aller faire des découvertes en Amérique. Le roi de France accueillit sa demande, et, le 15 janvier 1540, La Roque fut créé vice-roi du Canada. Il 1540. partit l'année suivante avec cinq navires, pour prendre possession de son gouvernement, dont il fallait arracher le territoire aux Indiens. Cartier, qui avait déjà fait ces voyages, lui servait de pilote en chef. La traversée fut heureuse, et La Roque, après avoir construit sur le bord du fleuve St.-Laurent un fort, dont il confia le commandement à Cartier, et après avoir ordonné à l'un de ses autres pilotes de chercher au Nord Ouest un passage à la Chine, retourna avec empressement au beau pays qu'il avait quitté pour cette expédition aventu

reuse.

La colonie que La Roque établit ainsi au Canada fut la première qui présentât une apparence de stabilité, et qui offrit quelque espoir de succès. Cependant le gouvernement français ne s'en occupa nullement, et ce ne

1540. fut que dans la neuvième année du règne de Henri III, que le marquis de La Roche, ayant obtenu les mêmes pouvoirs que ceux qui avaient été accordés quarantetrois ans auparavant au seigneur de Robertval, passa la 1583. mer, en 1583, pour tenter aussi la fortune, qui jusqu'alors avait peu favorisé ses prédécesseurs. Arrivé à l'île connue maintenant sous le nom de Sable Island, que le baron de Lévy avait visitée avant lui, il y laissa quelques misérables qu'il avait tirés des prisons de Paris, et parcourut ensuite cette partie de l'Amérique du Nord qui est connue aujourd'hui sous le nom d'Acadie ou de Nouvelle Ecosse. Après ces explorations, il retourna en France, où une mort prématurée mit fin à ses desseins de colonisation.

1562.

Le sud de l'Amérique du Nord avait aussi attiré les regards des Français, car en 1562, l'amiral Coligny, que persécutait la jalousie ou la haine d'une cour corrompue, avait pensé à se ménager un asile en Amérique, ainsi qu'aux protestants qui voudraient partager son sort. Il fit équiper à Dieppe deux navires, sur lesquels s'embarqua un nombre assez considérable de colons. Il en confia le commandement à Ribaud. Parti au mois de février, Ribaud fit terre à l'embouchure de la rivière Ste. Marie, qui sépare la Georgie de la Floride, et qu'il appela la rivière de Mai, parce qu'il y était arrivé pendant le mois qui porte ce nom. Les Indiens lui firent l'accueil le plus hospitalier. Profitant de leur bonne disposition, il éleva sur le bord de la rivière une colonne sur laquelle il grava les armes de France, en signe de prise de possession. Après un court séjour au lieu de son débarquement, il s'avança vers le Nord, jusqu'à l'embouchure de la rivière Edisto, dans l'Etat actuel de la Caroline du Sud. Là, ayant fondé la colonie qu'il était chargé d'établir, et en ayant remis le commandement à l'un de ses compagnons, nommé Albert, il retourna en France. Coligny, qui depuis long-temps était en disgrace auprès de son

souverain, profita, en 1564, de la faveur qui lui était re- 1564. venue en apparence, pour faire partir une seconde expédition destinée à secourir la colonie qu'il avait fondée, et dont il conféra le commandement à Laudonnière. Ces généreux efforts de Coligny n'eurent point un heureux résultat. Car les Espagnols s'étant emparés de cette colonie naissante, en 1565, et ayant fait la plupart des 1565. Français prisonniers, les pendirent aux arbres avec cette inscription: "Pendus comme hérétiques et non comme Français."

Il est à remarquer que cet évènement fût le premier acte d'hostilité commis entre deux nations européennes dans le Nouveau Monde.

Dès que cette nouvelle parvint en France, elle excita la plus vive indignation. Dominique de Gourgues, de la province de Gascogne, en éprouva une patriotique colère et jura de tirer de cet outrage une vengeance exemplaire. Il vendit son patrimoine, et, aidé de deux de ses amis, il équipa trois navires dans le port de Bordeaux, enrôla deux cents hommes, et partit des bords de la Garonne, le 2 d'août 1567. De Gourgues arriva heureu- 1567. sement au lieu de sa destination, et ayant gagné par des présents les bonnes grâces des Indiens, il les détermina à se réunir à lui contre les Espagnols, qu'il attaqua immédiatement, et dont il fit un grand carnage. Ceux qu'il fit prisonniers furent attachés au gibet vengeur avec cette inscription : "Pendus comme assassins et non comme Espagnols." Après avoir accompli cet acte de justice, de Gourgues retourna en France, où, au lieu de recevoir une récompense pour avoir vengé la mort de ses concitoyens, il apprit que sa tête avait été mise à prix par le roi catholique Philippe II, avec la courtoise permission du roi très-chrétien Charles IX, et il fut longtemps obligé de cacher cette tête proscrite, qui, si elle eût été découverte, eût roulé sur l'échafaud, pour le bon plaisir d'un despote orgueilleux et féroce.

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