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"D'ailleurs le roi ne leur accorde que sa protection, et 1729. non les mêmes avantages qu'à ses sujets.

"Si les enfants qui naissent des Français établis à la Louisiane, élevés dans la religion catholique, ne sont censés regnicoles, et capables de toutes successions, dons, etc., que parce que Sa Majesté a bien voulu leur accorder cette grace, en termes positifs, par l'article 23 des lettres-patentes du mois d'août 1717, à plus forte raison les sauvages, dont il n'est point parlé, ne peuventils prétendre jouir des avantages appartenant aux Français."

Sur cet exposé, le conseil rendit l'arrêt mentionné dans la dépêche de M. de la Chaise.

CHAPITRE XI.

LES FRANÇAIS ET LES CHACTAS RÉUNIS ATTAQUENT LES

NATCHEZ.

1730.

Ce fut seulement dans le courant de 1730 que la compagnie eut des renseignements complets sur le terrible massacre des Natchez, qui avait menacé la colonie d'une perte totale.

Le 18 mars, le gouverneur Périer en envoya la relation suivante :

DEPECHE DE Perier.

"Ils étaient tous armés et accommodés comme s'ils avaient voulu aller à la chasse, et, en passant chez les habitants' qu'ils connaissaient le plus, ils empruntaient leurs fusils, avec promesse de leur apporter du chevreuil en quantité. Pour ôter tout soupçon, ils apportèrent ce qu'ils devaient en grains, en huile, et autres denrées, tandis qu'un parti était allé avec deux calumets chez le sieur d'Etcheparre, qui commandait le poste, et auquel ils portaient des poules, pour le maintenir dans la confiance où il était que les sauvages ne méditaient rien de mauvais contre les Français, comme ils en avaient eu soin de l'en assurer la veille, sur quelques bruits qui s'étaient répandus que les Natchez devaient assassiner les Français. La confiance de cet officier était allée jusqu'à

faire mettre aux fers sept habitants qui avaient de- 1730. mandé à s'assembler pour prévenir le malheur dont ils étaient menacés. Cette même confiance lui avait fait voir sans crainte une trentaine de sauvages dans le fort, autant dans sa maison et dans les environs, tandis que le reste de cette nation était partagé dans toutes les maisons de nos habitants et jusque dans les ateliers de nos ouvriers, qui étaient dans les cyprières au-dessus et au-dessous des Natchez. Cette disposition faite, et l'heure venue, l'assassinat général de nos Français a été le signal de l'affaire, tant elle a été courte ; une seule décharge l'ayant terminée, à l'exception de la maison du sieur la Loire des Ursins, dans laquelle il y avait huit hommes, dont six ont été tués, et dont les deux autres se sont sauvés, la nuit, sans que les sauvages aient pu les forcer pendant le jour. Le sieur la Loire des Ursins était monté à cheval lorsque l'attaque a commencé, et n'ayant pu rentrer dans sa maison, il s'est défendu jusqu'à la mort, ayant tué quatre sauvages; sa maison en a tué huit (1). Ainsi, il n'en a coûté que douze hommes aux Natchez, pour nous en détruire deux cent cinquante, par la faute de l'officier commandant, qui aurait mérité seul le mauvais sort que tous ces malheureux ont partagé avec lui. Il était facile pour lui, avec les armes et le monde qu'il avait, de faire retomber sur nos ennemis une perte qui a mis cette colonie à deux doigts de la sienne, comme on va le voir.

"Ces barbares, avant que d'entreprendre ce massaere, s'étaient assurés de plusieurs nègres, entr'autres de ceux de la Terre-Blanche, à la tête desquels étaient les deux commandeurs, qui firent entendre aux autres nègres qu'ils seraient libres avec les sauvages (ce qui a effectivement été pendant le temps qu'ils ont été avec eux),

(1) Ce malheur ne serait pas arrivé, si ce brave officier n'avait pas été destitué quelque temps auparavant.

1730. et que nos femmes et nos enfants seraient leurs esclaves. Ils leur firent aussi accroire que le même jour qu'ils nous détruiraient aux Natchez, les autres nations frapperaient dans tous les quartiers des Français. Ce qui se serait exécuté, si je n'avais détourné l'orage en appelant ici, au mois d'octobre dernier, les chefs Chactas que je savais être en pourparler avec nos voisins de l'Est, qui devaient entrer chez cette nation avec cent vingt chevaux chargés de marchandises, lesquelles devaient être la récompense de notre destruction. Ce dont il y a longtemps que nous sommes menacés dans cette province. On n'en regardait pas moins ceci comme un bruit de sauvages, qui sont ordinairement menteurs.

"Le même jour que j'appris la destruction du poste des Natchez, j'envoyai le sieur de Merveilleux, capitaine d'infanterie, dans une pirogue, avec un détachement, pour avertir tous nos habitants, des deux côtés du fleuve, de se tenir sur leurs gardes, et de se faire des redoutes de distance en distance, pour mettre leurs esclaves et leurs bestiaux à l'abri, en cas d'attaque.

"Ce qui a été promptement exécuté tant d'un côté que de l'autre côté du fleuve, de sorte qu'il ne manquerait plus que des hommes pour être en sûreté, les forts étant faits et en état de défense. J'ordonnai aussi au sieur de Merveilleux d'examiner de près les petites nations qui sont sur le fleuve, et de ne pas leur donner d'armes que je ne fusse sûr de leur fidélité. Je fis partir le même jour un courrier pour me porter une lettre aux Chactas, et avertir deux chefs de cette nation, qui étaient en chasse sur le lac Pontchartrain, de me venir parler.

"Le 3 décembre, il arriva une pirogue venant des Illinois, dans laquelle il y avait un Chactas qui demanda à l'interprète de me parler en particulier. Je le fis venir sur le champ. Après m'avoir fait son compliment, il me dit: Je suis bien fâché de la mort de nos frères; je l'aurais même pu empêcher, si je n'avais regardé comme un

mensonge ce que m'ont dit les Chickassas, lorsque j'étais 1730. en haut; mais présentement je vois qu'ils ne m'ont pas menti; c'est pourquoi, tiens-toi bien sur tes gardes. Ils m'ont donc dit, que les sauvages devaient donner sur tous les quartiers français et les assassiner tous; que notre nation même était du complot. Ce qui m'avait fait regarder la chose comme fausse, par l'amitié que nous avons pour nos frères les Français. Ainsi, laisse-moi aller dans ma nation, que je voie ce qui s'y passe. Je porterai une lettre à l'officier français qui y est, et je rapporterai des nouvelles à la Mobile. Ce qu'il a fait. Je n'eus pas plutôt quitté ce sauvage, que d'autres, des petites nations voisines, vinrent nous avertir que nous avions à craindre les Chactas, que l'on disait même avoir donné à la Mobile. Effectivement, nous avions eu un homme de tué et un de blessé dans la rivière de la Mobile, sans qu'on ait pu savoir par qui. Ces mauvaises nouvelles, que je cherchais à cacher, se répandirent aussi vite que la terreur. Ce fut alors que je vis avec grand chagrin qu'on était moins Français à la Louisiane qu'autre part. La peur avait si fort pris le dessus, que jusqu'aux Chaouachas, qui étaient une nation de trente hommes, au-dessous de la Nouvelle-Orléans, faisaient trembler nos habitants. Ce qui me fit prendre le parti de les faire détruire par nos nègres, ce qu'ils exécutèrent avec autant de promptitude que de secret. Cet exemple, fait. par nos nègres, a tenu dans le respect les autres petites nations de dessus le fleuve. Si j'avais voulu me servir de nos nègres de bonne volonté, j'aurais détruit toutes ces petites nations qui ne nous sont d'aucune utilité, et qui peuvent au contraire porter nos nègres à la révolte, comme nous le voyons par l'exemple des Natchez. Mais j'avais des ménagements à garder, et, dans l'état où j'étais, je ne devais me fier qu'au peu de Français que j'avais. Ce qui me les fit tous assembler, pour armer ceux qui ne l'étaient pas. J'ai divisé ceux de la ville en

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