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1731. cas, que je voulais bien qu'ils s'établissent à deux lieues de là, où ils demeureraient sans armes, mais que je ne voulais pas qu'ils se missent dans son village, à cause des discussions journalières qui arriveraient entre ses guerriers et les Natchez. Il me promit qu'il exécuterait ponctuellement mes intentions. En conséquence, il alla à son village, où il reçut trente Natchez qu'il désarma. Dans le même temps, quinze Natchez et vingt de leurs femmes se rendaient au baron de Cresnay, à notre fort des Natchez. Pendant que les choses étaient dans cet état, une centaine de Natchez vinrent au village des Tunicas avec leurs femmes et leurs enfants, tandis que cinquante Chickassas, ou Coiras, étaient cachés dans les cannes autour du village. Le chef des Tunicas dit aux Natchez qu'il avait ordre de ne pas les recevoir armés. Sur quoi, ils lui dirent qu'ils lui remettraient leurs armes, qu'ils ne les gardaient que pour rassurer leurs femmes; ce que le Tunicas crut trop légèrement, et, suivant son premier sentiment, il fit donner à manger à toutes les familles natchez. Après quoi, chacun dormit. Ensuite, on dansa jusqu'à une heure avant le jour du 14 de juin. Lorsque tout à coup, les Natchez sautèrent sur leurs armes et sur celles des Tunicas, et commencèrent à tuer leurs hôtes. Ils en tuèrent sur le champ une douzaine, entre lesquels était le grand chef des Tunicas, qui avait déjà tué cinq de ses ennemis, quoiqu'ils l'eussent accablé par le nombre. Le chef de guerre ne s'étonna de cette perte, non plus que de la fuite de la plus grande partie de ses guerriers, que la surprise avait fait fuir. Il en rallia une douzaine, avec lesquels il regagna la cabane de son chef, et, à force de harangues, il fit revenir ceux que la première peur avait fait fuir, avec lesquels il a repris son village, après un combat de cinq jours et de cinq nuits. C'est une des affaires les plus vigoureuses qui se soit jamais passée entre sauvages. Les Tunicas ont eu vingt hommes de tués et autant de

blessés, avec huit femmes prisonnières, mais qu'ils ont 1731. ensuite reprises. Les Natchez ont laissé trente hommes de morts et trois prisonniers qui ont été brûlés. Si nos habitants français, qui n'étaient qu'à sept lieues, eussent été secourir les Tunicas, au lieu de fuir ici, il n'eut échappé que peu de Natchez; mais il leur manquait un homme de tête pour les conduire. Aussitôt que j'appris le combat des Tunicas, j'envoyai M. d'Artaguette, avec un détachement, pour faire marcher les petites nations à la poursuite des Natchez, et je fis passer une lettre en diligence au sieur de Cresnay pour désarmer tous les sauvages qui s'étaient rendus. Ce qu'il fit sur le champ. Mais l'aide-major ne les ayant désarmés que de leurs fusils sans leur ôter leurs couteaux, ils sautèrent sur huit fusils qui étaient en faisceau vis-à-vis de la chambre où on les gardait, avec lesquels ils firent feu jusqu'à ce qu'on les eut tous tués, hommes, femmes et enfants, au nombre de trente-sept. Nous avons perdu dans cette affaire quatre soldats. Le chef de ce parti, qui était descendu ici pour me parler, a eu le même sort avec quinze de ses gens, ayant voulu fuir de la Balise où ils étaient aux fers et ayant trouvé le moyen de forcer leur prison pendant la nuit. Toutes ces pertes ont beaucoup réduit cette nation, qui serait bientôt détruite, si tous les vagabonds de toutes les nations ne se joignaient à elle.

"J'ai eu de la peine à faire donner les Chactas sur les Chickassas. Ils délibéraient depuis trois mois sur le parti à prendre, lorsque j'ai fait faire coup sur eux par un chef chactas de nos amis, et la guerre est maintenant inévitable entre ces deux nations. Mais malheureusement nous sommes dépourvus de tout, de munitions surtout, &c., &c."

Pendant que ces choses se passaient à la Louisiane, le conseil d'Etat en France rendait un arrêt en date du 15 novembre, par lequel il ordonnait aux créanciers de

1731. la compagnie des Indes à la Louisiane (la rétrocession de la colonie ayant été acceptée), de présenter leurs comptes et de les faire viser, pardevant les conseillers délégués à cet effet, Bruslé et Bru. Ces créances devaient être payées sur les lieux, et il était défendu aux dits créanciers de poursuivre à ce sujet la compagnie en Europe.

Le même jour que cet arrêt du conseil d'Etat était signé en France, c'est-à-dire le 15 novembre, le gouverneur Périer et Edme Gatien Salmon, commissaire de la marine, rendaient à la Louisiane cette ordonnance:

"Etant informés qu'il reste dans le public une certaine quantité de billets de caisse de la compagnie des Indes, qui ont été fabriqués pour le paiement des dettes de la dite compagnie, et attendu que ces billets de caisse, faits de particulier à particulier, ne doivent pas continuer à être reçus dans le public comme monnaie courante, attendu le dérangement qu'ils causent dans la valeur intrinsèque des monnaies du roi'; cependant, voulant donner aux particuliers qui sont porteurs des dits billets, la faculté d'acquitter les dettes qu'ils ont contractées pour la valeur d'iceux, nous, sous le bon plaisir de Sa Majesté, en avons permis le cours dans la colonie pendant quinze jours, à compter du jour de la publication de la présente ordonnance, passé lequel temps ils ne pourront être admis dans le public, sous peine de vingt livres d'amende pour la première fois et de punition corporelle en cas de récidive."

Cette ordonnance causa une grande gêne dans le pays. Car les billets de caisse de la compagnie constituaient depuis long-temps la monnaie courante de la province. Cette ordonnance les faisait disparaître ou du moins les frappait de nullité, sans prendre en considération l'injustice d'une pareille mesure et sans avoir pourvu préalablement à combler le déficit que l'on créait dans ce qui formait les moyens d'achat et de

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paiement dans la colonie. Il en résulta une forte turbation dans les affaires.

per- 1731

Ainsi finit la compagnie, après une laborieuse existence de près de quatorze années. Cependant la colonie avait un peu prospéré sous son administration. La Nouvelle-Orléans avait été fondée, des établissements importants avaient été faits aux Tchoupitoulas, aux Cannes Brûlées, à la côte des Allemands, au bayou Manchac, à Bâton Rouge et à la Pointe-Coupée. Enfin, l'on doit se rappeler que, lors de la formation de la compagnie, en 1717, la population blanche à la Louisiane n'était que de cinq à six cents ames et que l'on n'y comptait pas plus de vingt nègres. Lorsque la compagnie fut dissoute, cette même population blanche se montait à cinq mille ames et le nombre des nègres dépassait deux mille. Il est à remarquer néanmoins que, depuis 1721, la population blanche ne s'était pas accrue. La population noire était la seule qui eût fait des progrès; car de six cents ames elle s'était élevée à deux mille.

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CHAPITRE XIII.

LE GOUVERNEUR PÉRIER EST RAPPELÉ EN FRANCE. - BIENVILLE
EST RENOMMÉ AU GOUVERNEMENT DE LA LOUISIANE.— SALMON,
COMMISSAIRE-ORDONNATEUR. -DÉMORALISATION ET DÉSASTRES
QUI SONT LE RESULTAT DE L'INTRODUCTION DU SYSTÈME DE
PAPIER - MONNAIE DANS LA COLONIE. — QUEL FUT LE PREMIER
CRÉOLE.

1732.

Le roi était convenu de prendre pour son compte toutes les propriétés de la compagnie à la Louisiane. L'inventaire en fut fait sous les yeux de Salmon, le commissaire-ordonnateur, et se monta à la valeur de deux cent soixante trois mille livres. Ces propriétés consistaient en quelques marchandises dans les magasins, en une briqueterie en face de la ville, sur laquelle il y avait deux cent soixante nègres, quatorze chevaux et huit mille barrils de riz. Les nègres furent évalués, les uns dans les autres, à 700 livres, les chevaux à 57 livres, et le riz à 3 livres le cent.

Le conseil supérieur de la Louisiane fut réorganisé par lettres-patentes du 7 mai, et fut ainsi composé : Périer, gouverneur; Salmon, commissaire-ordonnateur; Loubois et d'Artaguette, lieutenants de roi; Bénac, major de la Nouvelle-Orléans; Fazende, Bruslé, Bru, Lafrénière, Prat et Raguet, conseillers; Fleuriau, procureur-général. C'était le même qui s'était démis de sa

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