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1734. taient entières. Aucun même n'a assez de biens pour suffire à la moitié. C'est ce qui décourage la plupart d'entre eux.

"Il s'est présenté en dernier lieu au conseil une affaire qui lui a paru assez importante pour ne point porter de décision jusqu'à nouvel ordre.

"Le sieur Rossard, ci-devant procureur aux biens vacants, qui est poursuivi pour rendre ses comptes, a présenté au conseil une requête, par laquelle il expose qu'il lui est dû considérablement en cette qualité par ceux qui ont eu des effets des successions vacantes, et que les débiteurs demandent la réduction de leurs dettes à moitié, au lieu que ceux à qu'il peut devoir demandent leur paiement entier. Ce qui l'empêche de se libérer. Le conseil supérieur attendra sur le tout une décision, qu'il supplie Votre Grandeur de vouloir bien envoyer par la première occasion.”

La compagnie ayant répondu à la requête du conseil supérieur de la Louisiane par un long mémoire, dans lequel elle cherchait à réfuter toutes les allégations de la requête, M. de Fulvy, intendant des finances et commissaire du roi près de la compagnie des Indes, à qui la requête et la réponse avaient été référées, fit à ce sujet un rapport qui fut soumis au comte de Maurepas, alors ministre.

M. de Fulvy approuva le mémoire de la compagnie dont il soutint les conclusions, et prétendit qu'elle s'opposait avec raison à la réduction de sa dette par moitié. Il termina en ces termes: "Je vous prie de vous ressouvenir, Monsieur, de ce qui s'est passé l'année dernière, au sujet des affaires de la compagnie des Indes à la Louisiane, pour que vous ne doutiez pas que si elle ne se prête pas à la proposition faite par le conseil supérieur, ce n'est pas qu'elle ne desire infiniment de pouvoir contribuer au soulagement de l'habitant, mais parce que le peu de confiance qu'elle peut prendre

dans la plupart des membres qui composent le conseil 1734. supérieur l'empêche de s'en rapporter à ce qu'il pourrait faire. Les conseillers sont ses débiteurs les plus considérables et ont donné en plusieurs occasions des preuves qu'ils agissaient plutôt en parties intéressées qu'en juges, qui étaient établis par le roi pour rendre la justice. C'est ce qui engagea la compagnie l'année dernière à vous supplier de trouver bon que le sieur Salmon fût seul autorisé par arrêt du conseil à régler toutes les affaires qu'elle pourrait avoir, tant en demandant qu'en défendant, à la Louisiane. Vous y avez consenti, et en conséquence elle a adressé au sieur Salmon, avec l'arrêt qui évoquait devant lui toutes les affaires où elle avait intérêt, un pouvoir général de faire tout ce que bon lui semblerait et tout ce qu'il croirait juste. Ce pouvoir suffirait pour autoriser le dit sieur Salmon à réduire, s'il le croit juste, les créances de la compagnie. Cependant, si vous le trouvez convenable, j'engagerai la compagnie à lui envoyer un nouveau pouvoir ad hoc qui l'autorisera à recevoir de l'habitant les trois cinquièmes de son dû et à lui faire remise du surplus. Mais je doute que ce parti convienne au conseil supérieur qui n'a pour but que de se libérer avec la compagnie sans qu'il lui en coûte rien."

Il est à remarquer que la requête du conseil supérieur est signée par Salmon, qui par conséquent approuve sa demande en réduction, mais qui semble reculer devant la responsabilité d'exercer le pouvoir dont il était revêtu pour diminuer les dettes de la colonie, et auquel M. de Fulvy se réfère dans sa réponse.

Le gouvernement français, ayant retiré tout le papier-monnaie de la compagnie, désirait le remplacer par une monnaie de carte, sur laquelle il demanda l'avis de Bienville et de Salmon, qui n'osèrent pas s'opposer ouvertement à ce qu'ils reconnaissaient être le désir du gouvernement. Ils admirent donc que cette

1734. émission de papier de cartes était nécessaire, mais ils ajoutèrent:

"Cependant, toutes réflexions faites, il nous paraît qu'il conviendrait d'attendre encore deux années. Il est vrai que cette monnaie ne paraîtra pas nouvelle aux colons, qui sont déjà accoutumés à cette sorte de papier, parce que la compagnie avait introduit ici des billets de caisse, et c'est justement le principal obstacle à surmonter. La compagnie n'a point soutenu le crédit de son papier. Au contraire, elle a fait, ici et à Paris, tout ce qu'il fallait pour le faire tomber. Ses billets, lors de la rétrocession du pays au roi, perdaient moitié et plus. Nous sentons parfaitement qu'il n'en serait pas de même des cartes, mais c'est de quoi il est nécessaire que le marchand et l'habitant soient bien convaincus, et pour cela, il faut un peu de temps, et que le souvenir du papier de la compagnie soit un peu effacé Le cours favorable que les ordonnances ont ici, par l'exactitude avec laquelle elles sont reçues dans les magasins et à la caisse, et ensuite converties en lettres de change qui sont acquittées en France, fera naître peu à peu cette confiance. Nous ferons de notre part tout ce que nous pourrons pour l'augmenter. D'un autre côté, si la monnaie de cartes était incessamment substituée aux espèces, de sorte qu'il ne fut plus envoyé d'argent ici, l'habitant n'aurait plus de ressource que dans le peu d'argent d'Espagne qui nous vient de Pensacola, par la Mobile. Alors la rareté le ferait rechercher, parce qu'il y a des cas où il faut payer en argent, par exemple, les pacotilles des particuliers. L'agio qui s'est fait ici sur les espèces, du temps de la compagnie, lorsque la piastre valait jusqu'à quarante livres, nous fait peur, et il n'en faudrait pas davantage pour causer la désertion et la perte totale du pays.”

Au sujet du papier-monnaie, par lequel on cherchait à remplacer les espèces métalliques à la Louisiane, le

XIII

quel papier-monnaie consistait en cartes qui n'étaient 1734. payables qu'à Paris sur lettres de change, pour lesquelles elles devaient être échangées, M. de Bienville continue de faire les observations les plus justes et les plus sagaces. Un démocrate de nos jours, après la dure expérience que nous en avons faite, ne décrirait pas avec plus de force la démoralisation produite par les effets de ce système de papier-monnaie, qui est partout accompagné d'un esprit d'agio et de spéculation, dont la maligne influence ne manque jamais de s'infiltrer comme un poison subtil dans tout le corps social. Ainsi il dit : "Nous nous apercevons, et cela est tout naturel, que tel qui a du papier fait plus de dépense que s'il avait de l'argent comptant, et que chacun dépense ce qu'il gagne sans penser au lendemain." Bienville écrivait ces lignes en 1734; elles n'ont été que trop applicables à la Louisiane de 1836!

On ne concevra que trop, du reste, l'impatience qu'éprouvait le gouvernement de payer ses dépenses à la Louisiane avec des cartes, quand on saura que son budget s'y monta, cette année, à 898,245 livres.

CHAPITRE XIV.

MALHEUREUSE EXPÉDITION DE M. DE BIENVILLE CONTRE LES CHIC-
KASSAS.-DÉFAITE DE M. D'ARTAGUETTE PAR LES CHICKASSAS.
-IL EST PRIS ET BRULÉ.

1735.

LE 15 avril 1735, M. de Bienville écrivait ainsi que suit, relativement à l'état de la colonie: "On fait cent milliers de tabac à la Pointe-Coupée. Deux femmes élèvent des vers à soie par amusement et réussissent très bien. Il faudra envoyer des œufs pour les Ursulines, qui enseigneront cette culture aux orphelins don l'éducation leur est confiée. La culture du coton est avantageuse, mais les colons éprouvent une grande difficulté à le nettoyer de ses grains.

"On fait assez de bray et de goudron pour payer les dettes de la compagnie.

"Je ne néglige rien pour porter les habitants à la culture des terres, mais en général ces habitants sont paresseux, fainéants, libertins, et la plupart se rebutent aisément des travaux qu'il y a à faire pour les terres."

Pour ces habitants que l'on représentait comme fainéants et libertins, l'année ne fut pas heureuse, car dans une dépêche conjointe de Bienville et Salmon, en date du 31 août, il est dit: "La mortalité des bestiaux est effrayante, la sécheresse est très grande, la

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