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1707

Iberville, ne jugeant pas convenable d'aller plus loin pour le moment, redescendit le fleuve en se laissant emporter par le courant jusqu'au bayou Manchac. Là, Iberville et Bienville se séparèrent. Bienville continua de descendre le fleuve jusqu'au golfe. Iberville entra dans le bayou Manchac, et, ayant traversé deux lacs qu'il appela Maurepas et Pontchartrain, il arriva à une baie qu'il nomma St.-Louis. De là, il se rendit à sa flotte où il fut bientôt rejoint par Bienville.

Alors, on tint un grand conseil, dans lequel il fut résolu d'établir le point principal de la colonie à l'extrémité orientale d'une baie qui fut appelée la baie de Biloxi, d'après le nom des Indiens qui demeuraient aux environs. Cette baie est située entre la baie de Pascagoulas et celle de St.-Louis. L'on procéda de suite à la construction d'un fort à quatre bastions qui fut armé de douze pièces d'artillerie. Sauvolle, frère d'Iberville, fut nommé commandant du fort, et Bienville, le plus jeune des trois frères, fut promu au grade de son lieutenant. Les colons s'établirent autour du fort; la bêche creusa la terre et la cognée fit tomber l'arbre an· tique de la forêt. Dès que les premières maisons furent construites et que la colonie eut pris un air de stabilité, Iberville et le comte de Sugères partirent pour France avec les deux frégates et laissèrent le reste de la flotte pour le service de la colonie.

Sauvolle, après le départ de son frère, expédia l'une de ses embarcations pour St.-Domingue, avec l'ordre de s'y procurer des provisions. Ensuite il tourna son attention vers les sauvages et chercha à se mettre en relations d'amitié avec eux. Dans l'espoir d'atteindre ce but désiré, il envoya son jeune frère Bienville, avec quelques Canadiens et un chef des Bayagoulas, vers les Colapissas qui demeuraient sur le rivage Nord du lac Pontchartrain et qui étaient assez nombreux pour mettre sur pied trois cents guerriers. Lorsque les Cola

pissas aperçurent Bienville et sa troupe, ils se rangè- 1699. rent en bataille. Celui-ci s'arrêta, et leur envoya demander ce que signifiaient ces démonstrations d'hostilité. Les Colapissas répondirent que trois jours auparavant, deux hommes blancs, qu'ils supposaient être des Anglais de la Caroline, étaient venus attaquer leur village à la tête de deux cents Chickassas et avaient emmené en esclavage plusieurs de leurs compatriotes; que c'était à cause de cette circonstance qu'ils s'étaient mis en posture de défense, parce qu'ils avaient pris Bienville et ses compagnons pour des Anglais qui revenaient les attaquer. Le chef des Bayagoulas les détrompa et leur apprit que les étrangers qui venaient ainsi leur rendre visite étaient des Français, et, de plus, ennemis des Anglais. Il leur assura que les Français n'avaient d'autre intention que celle de solliciter leur amitié et de contracter alliance avec eux. Alors, les Colapissas mirent bas les armes et chacun se disputa à qui ferait un accueil plus amical aux Français.

Bienville, après avoir cimenté par des présents son union avec les Colapissas, retourna au fort, où il se reposa quelques jours. Ensuite il remonta la rivière Pascagoulas dont les rives étaient habitées par une branche des Biloxi et par la nation des Moélobies, et poussa son voyage jusque chez les Mobiliens. Toutes ces tribus firent un accueil amical aux Français.

Depuis la navigation de Lasalle sur le Mississippi, des chasseurs Canadiens ou coureurs de bois étendaient leurs excursions jusqu'au bord de ce fleuve, et des missionnaires auxquels leur zèle pieux ne permettait pas un instant de repos, tant qu'il y avait des hommes qui ignoraient les bienfaits de la religion du vrai Dieu, s'étaient établis parmi les Indiens sur le Ouabache, les Illinois et d'autres rivières qui versent leurs eaux tributaires dans le Mississippi. Il y en avait même plusieurs qui s'étaient fixés sur les bords du grand fleuve. Le

1699. 1er juillet, Sauvolle eut le plaisir inattendu de recevoir la visite de deux de ces missionnaires qui résidaient chez les Taensas et les Yazous. Ces hommes saints qui étaient venus depuis peu porter la parole de l'Evangile parmi les Oumas, ayant entendu dire qu'il y avait une colonie Française sur le rivage de la mer, s'abandonnèrent au courant du fleuve et arrivèrent au fort de Biloxi, après avoir traversé les lacs. Leurs noms étaient Montigny et Davion. Ce dernier avait son humble cellule sur une éminence située sur la rive orientale du Mississippi, entre les villes actuelles de St.Francisville et des Natchez. Cette circonstance fit que l'on appela ce monticule la roche à Davion. C'est là que fut construit, depuis, le fort Adams. Ainsi la modeste hutte du solitaire fit place à la caserne du soldat. Sur cette éminence, le pasteur des tribus indiennes remplissait ses fonctions sacerdotales. Là, il enseignait les dogmes du christianisme aux sauvages, et lorsqu'il avait dérobé une ame à l'idolâtrie, il puisait l'eau régénératrice du baptême dans le vieux Meschacébé, et lavant la tache originelle, il versait sur le front du néophyte, l'innocence et l'immortalité du chrétien. Telle était la vénération que les Indiens avaient pour cet homme saint, que, même après sa mort, ils portaient leurs nouveau-nés sur la colline sacrée pour attirer sur leurs têtes les bénédictions du ciel.

Iberville, en remontant le fleuve, avait remarqué trois issues, l'une sur le côté oriental, et deux autres sur le côté occidental, qui furent appelés le bayou des Chétimachas et le bayou Plaquemines. A son départ, il avait recommandé à Sauvolle de les faire explorer. En conséquence, celui-ci ordonna à Bienville et à des Canadiens de partir pour cette expédition.

A son retour, Bienville rencontra un bâtiment de guerre anglais, de seize canons, commandé par le capitaine Bar, qui lui apprit qu'il avait laissé au bas du

fleuve un autre bâtiment de guerre de la même force, et 1699. que le but de son voyage était de sonder le lit du Mississippi, afin de s'assurer des facilités et des avantages qu'il y aurait à établir des colonies anglaises sur le bord de ce fleuve. Le capitaine anglais demanda à Bienville si le fleuve dans lequel il se trouvait était celui qu'il cherchait. Celui-ci lui répondit que le Mississippi était beaucoup plus à l'ouest, que l'erreur dans laquelle il était tombé l'avait conduit dans une dépendance des colonies françaises du Canada, et que les Français avaient déjà un fort considérable et plusieurs autres établissements très étendus sur les bords du fleuve dans lequel il naviguait. Le trop crédule Anglais ajouta foi à ce que lui = dit Bienville, et rebroussa chemin. L'endroit où Bienville fit cette rencontre était une pointe très avancée qui avait forcé le bâtiment anglais à s'arrêter, parce que le vent avait cessé d'être favorable pour la contourner. Telle fut l'origine du nom de Détour des Anglais, que porte aujourd'hui cette partie du fleuve, à cause du détour que les Anglais auraient eu à faire pour continuer de le remonter. Bienville réussit ainsi à déjouer les projets du capitaine Bar, qui fut la dupe d'un men-songe heureux.

Lorsque Bienville était à bord du bâtiment anglais, un ingénieur français, qui y était employé, lui remit un mémoire qu'il le pria d'envoyer à la cour de France. Ce mémoire était signé par quatre cents familles protestantes, qui s'étaient réfugiées dans la Caroline après la révocation de l'édit de Nantes. Elles demandaient au gouvernement la permission de s'établir à la Louisiane, à condition que la liberté de conscience leur serait accordée. Le comte de Pontchartrain leur répondit, au nom du roi, son maître, que son souverain n'avait pas chassé les protestants de son royaume en Europe, pour qu'ils formassent une république dans ses domaines américains. C'est sous ces tristes auspices de l'intolérance

1699. religieuse et du despotisme, que la colonie de la Louisiane fut fondée, et c'est leur maligne influence qui l'a fait languir si long-temps dans une douloureuse enfance. Le 7 décembre 1699, on entendit des coups de canon en mer qui annonçaient l'approche d'une flotte. Cette flotte était française, et apportait la nouvelle que le roi avait nommé Sauvolle gouverneur de la Louisiane, Bienville lieutenant-gouverneur, et Boisbriant major du fort Biloxi.

1700.

Iberville, qui était revenu avec cette flotte, ayant appris que les Anglais méditaient un établissement sur le Mississippi, résolut de les prévenir, et partit dans ce dessein le 17 janvier 1700. Sauvolle, donnant au ministre connaissance de cette expédition d'Iberville, s'exprime ainsi dans une dépêche du 1er avril :

"Je souhaite que son bonheur l'accompagne en cette occasion, pour le bien du roi, et qu'il trouve de quoi le dédommager des dépenses qu'il a faites. Je suis sûr que personne ne peut se donner plus de peine qu'il ne fait. Rien ne lui est difficile. S'il y a quelque possibilité d'exécution dans ce qu'il entreprend, on peut y compter sûrement. Je suis outré de n'être point de ce voyage, pour les lumières que j'en eusse pu tirer. J'espère que la cour me mettra à portée, l'année prochaine, si l'on s'établit dans la rivière, de faire quelques découvertes. Ce que je ne saurais faire ici, Biloxi, tant les environs sont peu de chose !"

Sauvolle, en effet, devait être mécontent de l'endroit que l'on avait si maladroitement choisi pour fonder un établissement, car, outre que le pays ne pouvait offrir aucune ressource, il y faisait si chaud au ler d'avril, que les Français ne pouvaient travailler que deux heures le matin et deux heures le soir pour défricher autour du fort. D'ailleurs, tout le monde était malade de dyssenterie; si le printemps se montrait sous un aspect aussi peu favorable, l'hiver n'en avait pas été moins rigou

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