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1746. quantité de farine. Les bateaux des Illinois arrivaient vers la fin de décembre et repartaient en février. Il paraît qu'autrefois les ouragans étaient beaucoup plus fréquents que de nos jours. On dirait que la marche de la civilisation, que les progrès de l'agriculture, en modifiant l'aspect d'un pays, détruisent les causes de ces fléaux dévastateurs. On dirait que la nature se dépouille de sa rudesse primitive, et que les éléments mêmes adoucissent leur lutte devant le courage persévérant et le labeur patient de l'homme!

Le budget des dépenses courantes de la colonie se monta cette année à 444,904 livres.

CHAPITRE XVIII.

RAPPORT DE M. LENORMANT SUR LA MONNAIE DE PAPIER.-GUERRE
CIVILE ENTRE LES CHACTAS.-MORT DE SOULIER ROUGE.-LES
FRANÇAIS SONT HARCELÉS PAR LES INDIENS.-NOUVELLE ÉMIS-
SION DE PAPIER MONNAIE PAR VAUDREUIL ET MICHEL.-ILS SONT

BLAMÉS PAR LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS.-RÉGLEMENTS DE
POLICE.-ÉTAT DES FORCES DE LA COLONIE EN 1751.

LE 27 mars 1747, M. Lenormant qui, en sa qualité de 1747. commissaire-ordonnateur, devait accorder une attention toute particulière à l'état financier de la colonie, fit, à ce sujet, un rapport dont voici un extrait: "Dès que le papier-monnaie a commencé à perdre, on s'est jeté sur les piastres, que l'on a achetées plus ou moins dans les commencements, suivant le plus ou moins de besoin, de cupidité ou d'industrie de ceux qui les achetaient ou les vendaient. Voilà la source de tout l'agio qui s'est fait dans la colonie sur les lettres de change et sur les piastres. Il a considérablement augmenté pendant les années 1741, 1742 et 1743, mais il serait bien difficile de vous dire la fermentation qui a eu lieu à cet égard dans la colonie, à combien de virements cela a donné lieu, ni avec combien d'adresse plusieurs particuliers ont su profiter de ces circonstances à leur avantage, et au préjudice des intérêts du roi et du bien général de la colonie.

"Sur la question de savoir s'il convient de hasarder de nouveau de la monnaie de papier, j'y trouve de grandes difficultés, parce que la quantité à émettre ne

1717. peut pas être connue d'avance, pas plus que les dépenses de la colonie, sur lesquelles doit être fondée l'émission de ce papier monnaie.

"On a tout à craindre encore de l'avidité et du goût décidé des particuliers de cette colonie pour l'agio. Leur industrie, dont on aurait pu faire un meilleur usage, a été de tout temps uniquement tournée de ce côté là. Car, quoique l'agio sur la monnaie de la colonie, sur les piastres et sur les lettres de change, n'eût commencé qu'en 1737, l'agio sur les marchandises de magasin, et sur tout ce qui en était d'ailleurs susceptible, a toujours eu lieu dans la colonie. C'est pour ainsi dire le seul objet auquel ceux qui demeurent dans le pays se sont attachés, au préjudice de l'établissement des terres et des autres moyens qui peuvent faire fleurir la colonie.

"Je conviens qu'une nouvelle monnaie de carte ou de papier procurera un soulagement actuel à la caisse de la marine en France; mais ce soulagement, qui ne peut avoir lieu que pour la première année, ne peut balancer les risques inséparables de l'établissement et de l'existence de cette monnaie dans le pays."

On voit que M. Lenormant, il y a juste un siècle, écrivait, en quelque sorte par anticipation, l'histoire du papier monnaie contemporain dont nous avons vu tous les tripotages; on voit que les mêmes causes ont produit, en 1842, les mêmes effets qu'en 1742. Ce rapprochement est par lui-même une leçon pour l'avenir et n'a pas besoin de commentaires.

A cette époque, quelques doutes s'étant élevés sur l'étendue des terres qui dépendaient de la juridiction de la Nouvelle-Orléans comme chef-lieu, le marquis de Vaudreuil décréta, en date du 11 mai, que cette juridiction s'étendait depuis le bas du fleuve, des deux côtés, jusques aux quartiers des Allemands exclusivement, et qu'elle devait comprendre aussi le quartier du bayou

St.-Jean, ainsi que le quartier de Chantilly, appelé 1747. maintenant Gentilly, par corruption.

Le 10 mai, le marquis de Vaudreuil avait écrit au ministre, relativement aux Chactas: "Je comptais pouvoir vous apprendre, Monseigneur, que la nation chactas nous avait fait satisfaction de l'attentat commis sur nos français, l'été dernier. (L'assassinat du chevalier de Verbois et de deux traiteurs.) Tout ce qui m'en est revenu, depuis mes précédentes, est qu'il s'est tenu à Tombekbé une assemblée presque générale de tous les chefs et principaux guerriers, dans laquelle il a été résolu de ne point perdre de temps à nous faire satisfaction, et le commandant de ce poste me marque précisément qu'il est persuadé que l'exécution n'en ira pas loin, et que c'est la tête du Soulier Rouge et celles de ses adhérents qu'ils comptent livrer incessamment, et que, pour preuve des dispositions où sont la plupart de ces chefs et principaux guerriers à notre égard, ils lui ont promis qu'à leur retour dans la nation, ils allaient dépêcher un courrier aux Chickassas, pour avertir les Anglais de ne point venir chez eux, sans quoi, ils courraient les risques d'être pillés, et peut-être pis.

"Voilà, Monseigneur, dans quelle disposition est aujourd'hui cette nation; soit que ce soit la misère où elle est réduite qui l'engage à revenir à nous, soit par un pur attachement à la domination française. J'espère qu'elle en viendra à nous faire satisfaction, et, telle chose qui puisse l'y contraindre, nous tirons toujours un grand avantage des différends que nous avons aujourd'hui avec elle. Nous n'avions ci-devant que de faibles assurances de sa fidélité, au lieu que si elle en vient à nous livrer les têtes des coupables, nous serons plus assurés que jamais qu'elle ne peut se passer de nous, et que l'Anglais ne peut lui faire les mêmes avantages qu'elle est accoutumée à recevoir des Français. En ce cas, elle perdra tout espoir de lier aucun commerce

1747. avec les Anglais, et par là, elle nous deviendra plus attachée qu'elle ne nous l'était ci-devant.

"Il n'est point surprenant que cette nation ait tant tardé à nous faire satisfaction.Elle est nombreuse, il y a différents partis, et celui de Soulier Rouge n'est pas le moindre; mais comme celui-ci, jusqu'à présent, n'a pu lui faire voir l'exécution de ses belles promesses, il commence à perdre de son crédit, et il n'est pas douteux qu'à la fin ses partisans ne l'abandonnent, comme il y en a déjà plusieurs, qui sont revenus dans nos intérêts, et qui font aujourd'hui partie de ceux qui ont juré sa perte."

Le 15, dans une autre dépêche, il revient sur les mesures de défense qu'il avait prises contre l'attaque projetée des Anglais, et il dit:

"Bien qu'il n'y ait pas autant d'eau à la passe de la Balise qu'à celle de l'Est, j'avais laissé le fort intact pour ne pas donner à penser aux Anglais qu'il y avait une passe meilleure, les changements sur la barre étant trop récents pour qu'ils en eussent connaissance. Mais à présent qu'il n'y a plus que sept à huit pieds d'eau et qu'on avait lieu de croire qu'elle se comblerait en peu de temps, à en juger par les rapports de terre qui s'y sont faits depuis huit mois, étant d'ailleurs assuré que les Anglais sont informés de ces changements par voie de la Havane, j'ai pris le parti de désarmer les batteries du fort et de retirer les deux tiers de la garnison. Ne voulant pas exposer cette partie de nos forces aux hasards d'une attaque qui nous en priverait immanquablement, sans espoir d'en tirer aucun avantage pour la défense du pays, je n'y ai laissé qu'une pièce de canon de 8 et deux de 4, pour faire et rendre les signaux à nos vaisseaux, et un détachement de quinze hommes avec le pilote, sous le commandement d'un officier chargé de surveiller la côte, afin de m'assurer de tout ce qui pourrait survenir d'extraordinaire, avec l'ordre de quit

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