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main, le conseil fut assemblé à huit heures du matin, et 1769. on lut les dites représentations tendantes à l'expulsion non-seulement de M. Ulloa, mais encore de tous les Espagnols, officiers et autres. On lut aussi le rapport qu'avaient fait, sur les dites représentations, les conseillers nommés à cet effet. Suivit ensuite le réquisitoire du procureur-général avec ses conclusions. Après quoi, on vint aux opinions. Comme il était d'usage que Messieurs les assesseurs ou conseillers d'office donnâssent leurs avis avant les titulaires, ils commencèrent en effet, et chacun d'eux sortit son avis de sa poche et le lut, à l'exception de M. de Lalande d'Apremont, conseiller titulaire et doyen du conseil, de M. de Laplace, conseiller-assesseur, et de M. de Labarre, l'un des six nommés d'office, qui dirent que, n'ayant point examiné l'affaire, ils n'avaient pu travailler leurs avis, et le firent sur le bureau, où il leur fut fourni de l'encre et du papier. J'atteste en outre que le conseil finit vers midi, et qu'on me chargea de travailler à rediger l'arrêt, sans perdre de temps comme la veille. Messieurs les rapporteurs m'avaient déposé leur rapport avec les dites représentations, et sur la connaissance que je pris de l'importance de l'affaire, n'ayant coutume, pour former les dispositifs des arrêts, que de prendre la substance des requêtes, mémoires ou représentations, et autres pièces de procès, je me trouvai embarrassé par la crainte qu'on ne m'imputât quelque faute; et, pour éviter cette imputation, je pris le parti de copier, mot pour mot, les dites représentations, et, le conseil fini, j'entrai avec mon commis dans la chambre de M. Foucault, où nous achevâmes le dit arrêt.

"J'atteste en outre que M. Foucault nous retint tous à dîner, qu'on se mit à table vers les deux heures, qu'on en sortit à cinq, que pendant que l'on était au dessert, M. de Noyan et quelques autres vinrent prier le conseil, en s'adressant à M. Foucault et à M. de Lafrénière de

1769. passer au Quartier où étaient assemblés les habitants, colons et négociants; qu'en effet, après le café, ces deux Messieurs nous sollicitèrent d'y passer en corps, en disant qu'ensuite nous irions chez M. Aubry. Nous les suivimes tous, à l'exception de Messieurs de Lalande d'Apremont et de Kernion, qui s'étaient retirés pour cause de maladie; qu'à peine fut-on arrivé au dit Quartier, et près du pavillon qu'on avait arboré depuis que l'expulsion de M. de Ulloa avait été décidée, c'est-à-dire depuis midi, que l'air retentit de mille acclamations de "Vive le roi! qui furent souvent répétées et rendues par le conseil en corps; qu'ensuite on se rendit chez M. Aus bry, d'où on s'était écarté pour se rendre au dit Quartier; que le conseil fut suivi de plusieurs notables, et, qu'arrivés chez M. Aubry, Messieurs Foucault et Lafrénière furent les porteurs de parole et prièrent instamment M. Aubry, de la part de la colonie, de prendre les rênes du gouvernement.

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Il est curieux de remarquer la maladie épidémique qui s'empara, lorsqu'il fut question de l'expulsion d'Ulloa, de la moitié des membres du conseil, et qui nécessita la nomination de six conseillers surnuméraires.

CHAPITRE XXVII.

PROCÈS DES CHEFS DE LA RÉVOLUTION.-LEUR CONDAMNATION.
EXÉCUTION DE LA SENTENCE.-LETTRE D'OREILLY AU MAR-
QUIS DE GRIMALDI SUR CE SUJET.

BRAUD avait été arrêté pour avoir imprimé le mémoire des habitants, négociants et artisans de la Louisiane sur l'évènement du 29 octobre. Il plaida, en justification, qu'il était imprimeur du roi, qu'en vertu de son brevet, il était obligé d'imprimer tout ce que le commissaire-ordonnateur lui envoyait, et il montra la signature de Foucault au bas du mémoire manuscrit qui lui avait été livré pour l'impression. On trouva sa défense bonne, et il fut relâché.

Le procès des autres accusés fut instruit jusqu'au bout. Voici un résumé de l'acte d'accusation rédigé au nom du roi par procureur fiscal:

le

Acte d'Accusation (1).

"M. le licencié don Félix del Rey, avocat aux audiences royales de St.-Domingue et du Mexique et à leurs illustres colléges royaux, nommé procureur fiscal dans la cause qui s'instruit par ordre de Sa Majesté contre les chefs, moteurs et principaux complices de la conspi

(1) J'ai conservé dans tous les documents espagnols, transcrits dans ce volume, la traduction de l'époque.

1769.

1769. ration de cette colonie, effectuée le 29 octobre de l'année dernière contre don Antonio de Ulloa et les autres Espagnols qui se trouvaient dans la dite colonie, expose que les actes présents ont été dressés sur les réponses que les coupables ont faites respectivement aux chefs de l'accusation intentée contre eux, afin qu'en conséquence d'iceux et de ce qui a été fait dans le procès, il forme son réquisitoire. Cependant pour appuyer ses conclusions, il croit qu'il est nécessaire d'établir les faits qui ont donné lieu à ce criminel attentat, en faisant le détail des évènements arrivés depuis la cession que Sa Majesté Très-Chrétienne a faite de la colonie à Sa Majesté Catholique jusqu'à l'époque de la conjuration, et des effets dont elle a été suivie, en se réglant sur ce qui a été prouvé et constaté dans le procès.

"La colonie ayant été cédée à Sa Majesté Catholique, la cour de France expédia des lettres patentes adressées au gouverneur français de cette province, par lesquelles la dite cession lui était annoncée, en le prévenant de remettre la colonie à la personne que Sa Majesté Catholique nommerait à cet effet. En conséquence de ces ordres, la cession fut enrégistrée et publiée par le conseil suprême de la colonie, et tous les habitants parurent se soumettre à la nouvelle domination qu'on leur annonçait et en être contents, en attendant l'arrivée de celui que Sa Majesté Catholique aurait nommé pour prendre possession de la colonie et de son gou

vernement.

"Don Antonio de Ulloa fut nommé à cet effet par Sa Majesté. Il arriva à la Nouvelle-Orléans au mois de mars de l'année 1766. Tous les corps de la colonie le reçurent avec les démonstrations les plus marquées de respect, reconnaissant le caractère dont il était révêtu et qui n'avait d'autre objet que de prendre, au nom de Sa Majesté Catholique, possession de ce pays en vertu

de la cession que Sa Majesté Très-Chrétienne en avait 1769. faite et de se charger ensuite du gouvernement.

"Mais comme cet envoyé n'avait point le nombre de troupes nécessaires pour prendre effectivement possession pour Sa Majesté Catholique, il résolut de suspen dre cet acte jusqu'à l'arrivée du bataillon qui était destiné pour la garnison de la colonie, afin d'en pouvoir occuper les forts et les postes.

"Pendant ce temps, Charles Philippe Aubry, qui se trouvait chargé du gouvernement pour Sa Majesté TrèsChrétienne, ne fit aucune difficulté d'agir de concert avec don Antonio Ulloa, pour travailler ensemble à tout ce qui intéressait l'utilité et le service de Sa Majesté Ca, tholique, en administrant les affaires de la colonie comme si elle eût appartenu à Sa Majesté autant par la possession que par la propriété.

"Dans cet état de bonne harmonie, comme il se présenta quelques mois après une occasion favorable, Charles Aubry remit personnellement à don Antonio de Ulloa, le fort de la Balise, et tous les autres postes de la province, en le faisant connaître aux commandants et aux officiers pour gouverneur de la colonie, et nommé par Sa Majesté le roi d'Espagne, nouveau maître de ce pays. Depuis ce moment, l'étendard royal d'Espagne resta arboré dans tous les lieux. Don Antonio de Ulloa a aussi été reconnu en cette qualité par les milices de cette ville, en vertu des ordres que le gouverneur français communiqua aux officiers de cette troupe, ainsi qu'il est constaté par la lettre que ce gouverneur leur a écrite et qui est portée dans les pièces justificatives, sous la côte A.

"Tous les corps de la colonie, ecclésiastique, militaire et politique avaient donc déjà reconnu d'une manière incontestable le caractère de don Antonio de Ulloa, et cette reconnaissance était établie sur les fondements les plus solides, non-seulement par la déclaration du gou

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