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Dubouchage voulait faire comprendre les cultes auxquels la charte accorde protection, et les ministres de ces cultes « qu'il importe tant de défendre, dit-il, contre les attaques grossières dont ils sont chaque jour l'objet...

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A cette proposition, le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur répondirent que la charte n'attribuant aux ministres des cultes aucun caractère public, il était impossible d'insérer à leur égard, dans la loi, une disposition spéciale... « Quant aux outrages dirigés contre les cultes, dit le ministre de l'intérieur, la conscience des jurés appréciera mieux que ne pourrait faire le législateur quelle étendue doit être donnée aux expressions de la loi. En trouverait-on aucun qui voulût absoudre le blasphémateur impie dont l'audace irait jusqu'à traiter d'imposteur le fils du Dieu vivant...?.

« Quant aux ministres des cultes, quant au clergé qui ne forme plus en France un corps constitué, le caractère sacré dont ses membres sont revêtus, l'espèce de magistrature divine qu'ils exercent, armera sans doute les juges d'une juste sévérité contre ceux qui les outrageraient. Mais le législateur n'a pas pu, n'a pas dû créer une distinction la charte n'avait que établie. »

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Les explications que les ministres venaient de donner sur le sens de l'article 8, relatif aux blasphémateurs, parurent assez importantes à M. le marquis de Lally-Tollendal pour qu'il demandât à la chambre de les faire imprimer, afin qu'elles servissent à éclairer la conscience des magistrats et des jurés, et la chambre y accéda sans difficulté.

Cette question décidée, la chambre s'occupa de celle qui avait été discutée dans l'autre avec tant de détails, c'est-à-dire, de l'article 21, relatif au mode des poursuites qui pourraient être dirigées contre un pair ou un député, à raison des discours tenus par eux dans le sein des deux chambres... M. le garde des sceaux, répondant à une objection grave, déjà faite dans la séance du 13 par M. le comte de Pontécoulant, déclara « que la disposition que contient le 21° article n'a eu dans l'esprit de ses rédacteurs, ne peut avoir, pour quiconque l'examinera avec attention, d'autre but,

d'autres effets que de constater, en faveur des pairs et des députés, le privilége incontestable qui leur appartient, de n'être soumis qu'à la seule censure de la chambre dont ils font partie, pour raison des discours par eux prononcés dans son sein sur quelque sujet que ce puisse être. Mais ce privilége qu'il était nécessaire de proclamer solennellement, ajoute S. Exc., pour garantir d'autant mieux l'indépendance des chambres et la liberté des débats législatifs, ce privilége n'est pas le seul qui appartienne aux membres de l'une et l'autre chambre. Aux termes de la charte, les pairs et les députés jouissent de la prérogative commune de ne pouvoir être arrêtés que de l'autorité de la chambre dont ils sont membres; mais cette prérogative accordée aux pairs pour tous les instans, n'appartient aux députés que pendant le temps nécessaire pour l'exercice de leurs fonctions législatives; cet utile privilége ne peut être ni détruit, ni modifié, et il n'avait pas besoin d'être consacré par l'article 21.

M. le comte de Pontécoulant et M. le comte Boissy-d'Anglas demandèrent alors des explications plus positives; le premier, sur la question de savoir si la juridiction de la chambre des pairs sur ses membres comprend les matières correctionnelles comme les matières du grand criminel... Le second, si toute opinion émise soit par écrit, soit à la tribune par un membre de l'une ou de l'autre chambre sur des objets qui rentrent dans sa compétence, doivent être également affranchies de toute juridiction étrangère, etc...

Le pair de France, ministre de l'intérieur, répondant à cette interpellation, pense que la plus belle des prérogatives de la pairie, placée à la tête de nos institutions politiques, celle qu'il importe le plus de voir conserver intacte, parce que sans elle toutes les autres seraient inutiles, c'est la juridiction qui lui est attribuée sur tous ses membres. Cette juridiction, le ministre ne balance pas à le déclarer, doit s'étendre indistinctement au dehors comme au dedans de son enceinte, à tous les actes qui peuvent donner matière contre ses membres à la poursuite d'un autre genre que les actions civiles; la charte n'admet aucune distinc

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tion. Qu'un pair ait donc prononcé un discours, ou qu'il ait imprimé un écrit, c'est devant la chambre seule qu'il sera responsable de ce que cette publication pourrait avoir de contraire aux lois. « Mais, ajoute le garde des sceaux à des interpellations nouvelles plus pressantes, dès qu'un membre de l'une ou de l'autre chambre sort du cercle de ses fonctions législatives, en publiant par une autre voie des opinions auxquelles la tribune était ouverte, il doit rentrer, aux yeux de la loi, dans la classe des écrivains ordinaires, et rester soumis à l'action ouverte contre eux. Ici naît encore la question de savoir à quelle juridiction cette action doit être soumise. La loi n'a pas eu besoin de traiter cette question. >>

Toute importante que fut cette discussion, elle n'arrêta pas long-temps l'attention de la chambre, fatiguée des débats précédens. Les derniers articles ne souffrirent aucune opposition; et l'ensemble de la loi, soumis à l'épreuve du scrutin, fut adopté à une majorité de voix bien supérieure à celle qui avait décidé de l'article 8.

(Nombre des votans, 180.- Pour la loi, 130. Contre, 50.) Cependant l'opposition, les doutes, les inquiétudes, les scrupules religieux que cet article avait excités, ne cessèrent pas après l'adoption de la loi. On ne pouvait guère l'espérer d'après la déclaration signée de quatre membres ecclésiastiques de la chambre des pairs, distribuée dès le 13 mai dans la chambre des pairs, déclaration dont nous n'avons pas dû parler dans la discussion, parce qu'elle était bien moins une opinion soumise aux débats, qu'une protestation anticipée contre la loi. (Voy. l'Appendice.)

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

(17 avril.) DEUXIÈME LOI. Poursuite et jugement des crimes et délits de la presse. On discutait encore à la chambre des députés le premier projet de loi répressive des délits de la presse, lorsque M. de Cassaignoles vint y faire un rapport au nom de la commission chargée d'examiner le second projet relatif à la poursuite et au jugement des délits de la presse. Ce rapport offrait beaucoup

d'observations déjà faites dans le discours de M. le garde des sceaux. La commission en adoptait les principes fondamentaux; elle voulait que les chambres eussent le droit de poursuivre les offenses ou injures dirigées contre elles, sans s'adresser au Roi, et hors même du temps de leur session. Elle confirmait le droit de saisie, en considérant que la justice s'assure aussi des prévenus. qui peuvent être ensuite reconnus innocens par le jury, et que la liberté des personnes n'est pas moins précieuse que celle de la presse.

Sur la question si importante du jury, doit-on effectuer de suite les réformes nécessaires dans son organisation actuelle avant de l'investir du droit de juger des crimes et délits de la presse...? A cet égard, la commission avait pensé aussi, en exprimant le désir de l'amélioration annoncée, que tel que se composait aujourd'hui le jury, il était préférable aux tribunaux correctionnels auxquels elle approuvait pourtant qu'on remît les causes des délits d'injures. Elle n'admettait pas, non plus que les ministres, la preuve en diffamation quant aux particuliers, mais bien quant aux fonctionnaires, << dont la vie publique appartient au public. L'admission de la preuve en ce qui les concerne a paru la plus sûre de toutes les garanties, la garantie de toutes les libertés. »

«

Ainsi la commission proposait l'adoption du projet, sauf quelques changemens de rédaction.

La discussion générale, ouverte dès le 22 avril, fut courte. Il ne s'y présenta que deux orateurs. M. le Graverend proposa un amendement sur les difficultés qui pouvaient s'élever à l'égard de la réalité de la publication; il demanda encore qu'on ne laissât aux tribunaux correctionnels que le jugement des actions privées. M. Favart de Langlade combattit l'admission de la preuve à l'égard des fonctionnaires publics, comme mettant ceux-ci dans une exception injurieuse, et pouvant compromettre l'intérêt public. Ces considérations furent développées dans la discussion particulière des articles, qui s'ouvrit immédiatement.

M. de la Bourdonnaye regarde l'article 2 et l'amendement de la commission, comme également contraires à la dignité et à l'indé-.

pendance des deux chambres. « Il semblerait étrange qu'oubliant ce qu'elles se doivent à elles-mêmes, ce qu'elles doivent de garantie aux droits privés et aux libertés publiques, les chambres conspirassent contre leur propre dignité, contre leur indépendance, et consentissent à.en faire hommage aux pieds de ceux qui ont un si puissant intérêt à les détruire...

« Du moment où l'intérêt de la société exige qu'il y ait des pouvoirs indépendans, elle doit les armer du pouvoir de se faire respecter, autrement, ils sont attaqués, et bientôt attaqués, ils sont détruits.

« Un pouvoir qui ne pourrait se défendre par lui-même, dépendrait nécessairement de celui qui devrait le protéger; il ne serait plus indépendant, ou plutôt il ne serait plus un pouvoir. Dans le gouvernement représentatif, les chambres ne peuvent exister que comme pouvoirs indépendans ; car si elles dépendaient du pouvoir royal qu'elles doivent contenir dans ses limites constitutionnelles, elles ne subsisteraient plus que par elles. Comme il n'a aucun intérêt à les défendre et à ce qu'elles subsistent, elles cesseraient bientôt d'exister, et elles périraient pour n'avoir pas eu en elles les conditions de leur existence, le pouvoir de l'indépendance. »

En conséquence, l'honorable orateur vote pour que l'article 2 soit renvoyé à la commission et rédigé dans le sens de constituer les chambres juges des offenses qui leur seraient faites par la voie de la publication.

L'amendement de M. de la Bourdonnaye, combattu par M. le comte Beugnot, faiblement appuyé par deux ou trois députés du côté droit, fut rejeté. Il n'en était pas moins à remarquer dans cette histoire... Les articles 12, 13 et 14 furent plus contestés.

(23 et 24 avril.) Il s'agissait d'abord de savoir devant quel tribunal les poursuites à la requête du ministère public ou de la partie plaignante pourraient être faites, au lieu du dépôt, ou de la publication, ou de la saisie, ou de la résidence du prévenu, ou de celle de la partie plaignante. L'exemple d'une cause (affaire de MM. Comte et Dunoyer) dont nous avons parlé l'année dernière, avait mise au grand jour l'intérêt de cette question. M. Royer

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