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observer à Votre Altesse, que je n'ai pas d'instructions spéciales sur ce point, d'ailleurs complétement étranger à ma mission qui a rapport seulement à l'exécution des hatti-cherifs impériaux.

Pour ce qui regarde la ville de Belgrade, le dernier Mémoire de la Sublime-Porte laisse ce qui la concerne dans le statu quo sans rien modifier dans sa composition et propose seulement la création d'un tribunal mixte pour les causes criminelles. Ainsi se trouverait consacrée l'opinion de la Sublime-Porte, qui fait de Belgrade une partie essentielle de la forteresse, et qui considère l'occupation de cette ville par les troupes impériales comme légale et légitime; ainsi subsisterait l'état irrégulier dont souffre actuellement la ville de Belgrade; ainsi se trouverait conservée dans une même ville une police double, une juridiction civile double, sans que l'institution projetée d'un tribunal criminel mixte pût atténuer les funestes effets d'une telle organisation. Le Gouvernement princier voit une distance trop grande entre sa propre manière de voir et les tendances du Gouvernement impérial dans cette partie de la question, et fidèle au principe qu'en vertu des lois serbes, etc., il regarde comme ajournée la solution qui doit régler définitivement le sort de la ville de Belgrade.

Cependant c'était là le côté le plus important de ma mission.

Votre Altesse n'est pas sans comprendre toute la place que cette question de Belgrade occupe dans l'esprit de mon Prince, suffisamment instruit des regrettables conflits qui ne cessent de se produire par la force des choses entre les autorités ottomanes et serbes; il a désiré arrêter dans sa course cet élément de discorde entre la Serbie et la Sublime-Porte, et j'ai accepté cette mission d'autant plus volontiers que je partage complétement les sentiments et les convictions de mon Prince, et que je crois de toute mon âme aux avantages résultant d'une solution telle qu'il l'aurait désirée ; je me suis laissé aller à la douce idée que le succès ne serait pas impossible et je me suis estimé heureux de servir mon Prince et mon pays, et d'être utile en même temps à l'Empire.

C'est ce désir sincère qui a seul dicté toutes mes démarches et inspiré toutes mes paroles depuis mon arrivée en cette capitale. Mais le but désiré ne saurait être atteint, si Belgrade était laissée dans l'état ou l'a placée arbitrairement le hatti-cherif de 1833. Je me flattais d'avoir surtout par mon dernier Mémoire responsif suffisamment démontré les droits acquis à la Serbie par le hatti-cherif de 1830, et comparé les difficultés résultant de la position actuelle de Belgrade avec les avantages dont jouiraient les parties intéressées si cette posisition venait à changer.

Néanmoins, la Sublime-Porte a cru devoir persister dans sa première opinion: la question de Belgrade est restée la source de diffi

cultés et de dangers auxquels la Sublime-Porte ne trouve d'autres remèdes qu'un spécifique qui ne serait lui-même qu'une consécration légale du désordre actuel dont nul n'est content, et une infraction de plus aux priviléges assurés à la Serbie par le hatti-cherif impérial de 1830. La moitié de ma mission, et, je le crains, la moitié la plus grave, reste ainsi irrésolue, malgré le plus ardent désir de mon Prince d'amener, par une entente sans arrière-pensée entre la Serbie et la Sublime-Porte, cet état des choses qu'il considère comme la seule salutaire, et auquel il aspire de tout son cœur, comme répondant seul aux véritables intérêts de l'Empire et de la Principauté.

Votre Altesse peut juger de la pureté de mes intentions par la franchise de mes paroles. Or, je dois lui avouer que plus je soumets en moi-même cette question à un examen sérieux et impartial, plus il m'est difficile de découvrir les causes qui l'emportent auprès du Gouvernement impérial sur les avantages évidents de ma proposition au point de sacrifier ces avantages réciproques au chaos d'aujourd'hui.

Cette ignorance des motifs qui expliqueraient la persévérance de la Sublime-Porte dans sa première résolution, me permet toutefois d'espérer que le Gouvernement impérial appréciant plus clairement la nécessité des modifications que j'ai eu l'honneur de lui proposer amènera prochainement à Belgrade cet état de choses que nos intérêts communs réclament également. Ce qui me fortifie dans cet espoir, c'est de voir à la tête des affaires de l'Empire des personnages si distingués et si éclairés; je trouve surtout une garantie dans la sagesse, le patriotisme et le dévouement de Votre Altesse aux intérêts bien entendus de l'Empire.

Suivant les ordres de mon Prince, je dois prochainement quitter cette capitale en interrompant ces relations dans lesquelles j'ai eu une fois de plus l'heureuse occasion d'éprouver votre caractère affable et généreux; je vous prie de croire que j'emporte un souvenir très-précieux de l'accueil bienveillant dont j'ai eu à me féliciter de la part du Divan impérial, et spécialement des marques d'amitié et d'attention toute particulière que Votre Altesse a daigné me témoigner.

Veuillez agréer ici l'expression de mes sincères remercîments et les assurances de la très-haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Altesse,

Votre très-dévoué serviteur,
Signé: GARACHANINE.

Note envoyée par le ministre des affaires étrangères de la prin. cipauté de Serbie, au chargé d'affaires serbe à Constantinople, sur les travaux de la dernière sckoupsktina, 3 septembre -4 octobre 1861.

Monsieur,

Je me proposais de vous écrire immédiatement après la clôture de l'Assemblée nationale sur la portée des faits qu'elle vient d'accomplir, mais, invité d'accompagner Son Altesse dans le voyage qu'elle s'était proposé de faire à l'intérieur, je n'ai pu réaliser ma proposition avant mon retour à Belgrade. J'ai pourtant lieu de me réjouir de ce retard, parce qu'une tournée à l'intérieur m'a fourni l'occasion de me persuader en personne que la population est pleinement satisfaite de tous les actes de l'Assemblée, ce qui assure aux réformes de Son Altesse, notre gracieux maître, un succès d'autant plus positif qu'il est moral.

Il est inutile de vous rappeler que la tendance invariable de la politique du Prince est de la plus stricte légalité. Comme Son Altesse ne saurait tolérer que l'autonomie nationale soit d'aucune manière violée, elle ne veut non plus permettre que les liens légaux qui unissent notre pays à la cour suzeraine soient relâchés; au contraire, son but principal a été et reste toujours de concilier dans toute la mesure possible notre liberté intérieure avec nos devoirs à l'extérieur.

Contrairement à ce but, la législation et l'administration serbes étaient depuis plus de vingt ans lentement, mais continuellement envahies par des nouveautés qui faussaient de plus en plus la situation légale de la principauté, tantôt par rapport à elle-même, tantôt par rapport à l'extérieur. Cet envahissement, en continuant dans l'un ou dans l'autre sens, et même en restant à l'état dans lequel le prince Michel l'avait trouvé, aurait fini immanquablement par jeter le Gouvernement serbe dans l'alternative de délaisser l'autonomie nationale, ou d'altérer nos rapports de vasselage. L'un ou l'autre, en modifiant profondément un ordre de choses déjà établi et généralement reconnu, aurait occasionné des perturbations également dangereuses au repos de notre pays comme à celui de beaucoup d'autres.

Pour faire tarir tous ces dangers à leur source, Son Altesse a justement jugé qu'il était urgent de convoquer l'Assemblée pour lui proposer des changements devenus indispensables dans l'organisation du Sénat, statuée par lui-même en 1839, et dans la loi sur l'Assemblée nationale publiée en 1859-60.

De la manière dont l'Assemblée et le Sénat ont accepté à l'unanimité les propositions du Prince, il résulte que le Corps législatif se trouve

à présent réintégré dans la possession pleine et exclusive des attributions qui lui avaient été reconnues dès le commencement; mais en même temps qu'on a confirmé la suppression déjà faite de tous les priviléges qui étaient attachés à la personne des sénateurs, contrairement aux principes de l'autonomie nationale, ainsi que la loi fondamentale de l'égalité commune qui régit le pays. Par là, non-seulement le retour des anciens orages que l'opinion publique, aigrie par cette violation de l'égalité et les abus qui s'ensuivaient, soulevait fréquemment et dangereusement sur le Sénat, est devenu impossible; mais encore le Corps législatif, rendu à son ancienne considération, pourra désormais fonctionner plus énergiquement et sans interruption. Il est évident que par cette mesure on a pourvu très-efficacement à la tranquillité non moins qu'au progrès de la principauté.

On a appelé mon attention sur le paragraphe 10 de la nouvelle organisation du Sénat en m'observant que par là même on pourrait supposer au Prince le droit de stipuler directement avec les puissances étrangères des conventions et des traités, ce qui rentre dans la sphère des prérogatives souveraines.

J'ai écarté très-décidément de Son Altesse, ainsi que de son Gouvernement, toute intention de faire pour la Serbie des conventions tendant à entamer les prérogatives du suzerain, et je vous invite à faire la même déclaration à quiconque interpréterait le paragraphe susmentionné d'une manière si peu conforme au véritable sens qu'il renferme. Après avoir lu attentivement ce paragraphe ainsi que le troisième sub. 9, qui s'y rapporte, vous relèverez facilement que l'observation qu'on m'a faite ne saurait venir que d'une interprétation inexacte, et qu'il n'est question dans ce paragraphe que des conventions qui peuvent émaner de notre liberté intérieure, mais nullement de celles qu'ont droit de conclure les princes tout à fait indépendants. Le Gouvernement serbe n'a jamais songé à ces dernières, mais il a de tout temps et sans aucune hésitation pratiqué les premières. Puisque la Sublime-Porte n'a pu voir jusqu'à présent en cela aucune violation des droits souverains, mais qu'elle y voyait très-justement une conséquence logique de notre autonomie, je ne conçois pas pourquoi elle changerait d'opinion maintenant qu'une pratique ancienne et légitime vient d'être réglée par une loi expresse dans le but unique de porter même dans cette catégorie de nos rapports extérieurs cette précision et cette clarté dont nous avons un besoin indispensable pour savoir dûment régler notre conduite, et que tout le monde ne peut qu'approuver comme un moyen efficace d'éviter toute contestation désagréable. Uniquement dans le cas où le Gouvernement serbe outrepasserait les limites qu'il désigne lui-même en toute loyauté dès à présent, il y aurait lieu de le condamner; mais tant qu'il n'y a pas

de faits répréhensibles de sa part, vouloir le condamner sur la base unique d'accidents hypothétiques dont il écarte même la possibilité, ce serait, à mon avis, créer des embarras inutiles au perfectionnement de notre organisation intérieure, intention que nous sommes loin de supposer à la cour suzeraine et aux hautes puissances ga

rantes.

Il y a à peu près trois ans que l'Assemblée de la Saint-André avait reporté sur elle-même plusieurs attributions du pouvoir législatif contrairement à l'ordre primitif des choses d'après lequel ce pouvoir appartenait exclusivement au Prince et au Sénat. A présent que les priviléges personnels des sénateurs sont tombés, les causes pour lesquelles l'Assemblée nationale s'était fait une situation exceptionnelle sont tombées aussi, de sorte que chaque autorité rentre dans la sphère primitive de ses attributions, et une époque tout à fait normale recommence pour la principauté.

La modification du système de l'impôt jusqu'à présent en vigueur et si contraire aux lois de la justice et d'une égalité bien entendue, repose sur la base logique, que ceux qui possèdent davantage doivent fournir au Gouvernement plus de moyens. Par cette réforme on a soulagé les classes pauvres pour n'imposer que raisonnablement les plus aisées.

Vous n'ignorez pas l'esprit belliqueux du peuple serbe. Il est armé tout entier, et dans certaines circonstances il forme de lui-même une espèce de milice nationale. Vous n'ignorez non plus que ce même peuple abhorre le service régulier lié à la vie de caserne. Le Gouvernement serbe a toujours été d'avis, que même par rapport à l'ordre intérieur il était imprudent de livrer de pareils éléments à eux-mêmes, sans aucune subordination ni discipline. D'un autre côté, le Gouvernement, tout en sentant que sa troupe régulière actuelle est insuffisante déjà pour le simple service de garnison, pourrait d'autant moins suffire à la défense des frontières dans les cas d'un danger sérieux, parce qu'il prévoit en même temps les mille inconvénients que ferait naître l'augmentation de l'armée. Parmi ceux-ci il faut citer le mécontentement général, qui serait causé par l'enlèvement à l'agriculture d'un grand nombre de bras indispensables au travail et fort sensible surtout dans un pays si peu peuplé et par l'engloutissement de la plus grande partie de revenus publics au détriment du développement national, etc., etc. Mù par ces considérations non moins que par la circonstance que le peuple même demandait déjà qu'on réalisât l'organisation de la milice nationale que feu le prince Miloch lui avait mise en perspective l'année dernière, à l'occasion de la réorganisation de la troupe régulière, Son Altesse le Prince régnant ne pouvait plus ajourner la réalisation de cette institution généralement demandée et attendue. Elle est organi

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