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S. II. SCIENCES PHYSIQUES.

Analyse d'un second mémoire sur la distribution de l'électricité à la surface des corps conducteurs ; par M. Poisson (*). POISSON

corps

Les expériences de Coulomb ont démontré que dans les parfaitement conducteurs, le fluide électrique se porte en entier à la surface, où il forme une couche très-mince qui ne s'étend pas sensiblement dans leur intérieur. L'épaisseur de cette couche, sur un corps de forme donnée, ou sur plusieurs corps soumis à leur influence mutuelle, varie d'un point à un autre suivant une loi que l'analyse mathématique peut seule déterminer. Son application à ce genre de questions est fondée sur un principe général que j'ai etabli dans mon premier Mémoire, et qui a également lieu, soit que chacun des corps que l'on considère soit recouvert, dans toute son étendue, par un même fluide, soit qu'au contraire, par suite de leur influence mutuelle, un ou plusieurs d'entre eux soient recouverts en partie par le fluide vitreux, et en partie par le fluide résineux. Voici l'énoncé le plus général de ce principe:

» Si plusieurs corps conducteurs électrisés sont mis en pré<<< sence les uns des autres, et qu'ils parviennent à un état élec<< trique permanent, il faudra, dans cet état, que la résultante « des actions des couches électriques qui les recouvrent, sur un << point pris quelque part que ce soit dans l'intérieur de l'un de « ces corps, soit égale à zéro. »

Si, en effet, cette force n'était pas nulle, elle agirait sur le fluide naturel que contiennent ces différens corps; une nouvelle quantité de ce fluide serait décomposée, et leur état électrique se trouverait changé. D'ailleurs, quand cette force est nulle, on fait voir aisément que la couche électrique qui recouvre chaque corps, est en équilibre à sa surface; de sorte que notre principe renferme la seule condition à laquelle il soit nécessaire d'avoir égard.

(*) Voyez l'extrait du premier Mémoire sur le même sujet, tome II de la Correspondance, page 468. Le second Mémoire a été lu à l'Institut, le 6 septembre 1813.

On en déduit, dans chaque cas particulier, autant d'équations que l'on considère de corps conducteurs, et que le problême présente d'inconnues. Les équations, pour le cas de deux sphères, sont à différences variables et à deux variables indépendantes; si l'on en considérait trois ou un plus grand nombre, dont les centres ne fussent pas rangés en ligne droite, on serait conduit à des équations du même genre, contenant trois variables indépendantes; et l'on peut remarquer que cette espèce d'équations se présente ici, pour la première fois, dans les applications de l'analyse.

J'ai formé, dans mon premier Mémoire, les équations relatives au cas de deux sphères placées à une distance quelconque l'une de l'autre; et après avoir montré comment on peut les réduire à des équations ordinaires à différences variables et à une seule variable indépendante, je me suis borné à les résoudre complètement dans deux hypothèses particulières : lorsque les deux sphères se touchent, et quand, au contraire, la distance qui sépare leurs surfaces est très-grande par rapport à l'un des deux rayons. Maintenant je reprends la question où je l'avais laissée, et je donne les intégrales générales des deux équations du problême, d'abord sous forme de séries, et ensuite sous forme finie au moyen des intégrales définies. Par la nature de ces équations, leurs intégrales contiennent une fonction arbitraire périodique; ce qui semblerait indiquer que le probleme est indéterminé, ou que la distribution du fluide électrique, dont la loi dépend de ces intégrales, peut avoir lieu d'une infinité de manières différentes; mais on démontre rigoureusement que cette fonction est étrangère à la question, et qu'il faut supprimer le terme qui la contient faisant donc abstraction de ce terme, on obtient des séries qui ne renferment plus que des quantités déterminées, dans chaque cas, par les données de la question, et qui représentent l'épaisseur de la couche électrique, ou, ce qui est la même chose, l'intensité de l'électricité, en tel point qu'on veut sur l'une ou l'autre surface. Excepté le cas où les deux sphères sont très-rapprochées l'une de l'autre, ces séries sont très-convergentes, et comme, d'après l'expression de leur terme général, elles tendent rapidement vers des progressions géométriques, il est facile d'en obtenir des valeurs aussi approchées qu'on le juge convenable. Pour en montrer l'usage, j'ai pris un exemple particulier j'ai choisi le cas de deux sphères électrisées d'une manière quelconque, dont les rayons sont entre eux comme et 3, et dont le surfaces sont séparées par un intervalle égal au plus petit des deux rayons. On trouvera, dans mon Mémoire, des tableaux qui contiennent les épaisseurs de la couche élec

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trique, calculées, à moins d'un dix millième près, en 9 points différens, sur chacune de ces deux sphères, savoir: aux points extrêmes qui tombent sur la ligne des deux centres, et en d'autres points répartis uniformément entre ces extrêmes. L'inspection des tableaux suffira pour montrer si l'électricité croît ou décroît sur l'une des deux sphères, depuis le point le plus rapproché de l'autre, jusqu'au point le plus éloigné; on verra également si l'électricité est par-tout de même nature, ou si elle change de signe sur une même surface; et, dans ce dernier cas, on saura vers quel point tombe la ligne de séparation des deux fluides.

Ces diverses circonstances dépendront des quantités totales de fluide électrique de l'une ou de l'autre espèce, dont les deux sphères sont chargées; on pourra donner à ces quantités telles grandeurs et tels signes que l'on voudra; et si, par exemple, on en fait une égale à zéro, on aura le cas où l'une des deux sphères est électrisée par la seule influence de l'autre, et l'on connaîtra en même tems l'effet de la réaction de la sphère influencée sur la sphère primitivement électrisée. Lorsque c'est la plus petite des deux sphères prises pour exemple, qui est électrisée par influence, la grande présente une circonstance digne d'être remarquée : Pélectricité diminue sur sa surface, depuis le point le plus voisin de la petite sphère, jusqu'à environ 75° centigrades de ce point; puis son intensité augmente jusqu'au point diametralement opposé; de manière que l'épaisseur de la couche électrique, sans changer de sigue sur cette surface, atteint son minimum vers le 75. degré. Au reste, en égalant entre elles les épaisseurs qui répondent à deux points différens sur une même sphere, et de terminant par cette équation le rapport des quantités d'électricité dont les deux sphères sont chargées, on pourra produire à volonté un semblable minimum, lequel tombera quelque part entre les deux épaisseurs rendues égales. Je donne, dans mon Mé-moire, un second exemple de ce minimum que je produis en rendant égales les épaisseurs extrêmes sur la petite sphère. Ce cas particulier est encore remarquable en ce que l'épaisseur de la couche électrique est presque constante, et ne varie pas d'un vingt-cinquième au-dessus ou au-dessous de la moyenne, dans toute l'étendue de la petite sphère; de sorte qu'elle se maintient en présence de la grande sphère électrisée, à-peu-près comme si elle n'en éprouvait aucune influence; circonstance due, non pas à la faiblesse de l'électricité sur la grande sphère, mais à une sorte d'équilibre entre son action sur la petite et la réaction de celle-ci sur elle-même. On verra aussi que, dans ce cas, l'électricité répandue sur la grande surface, passe du positif au négatif, et éprouve des variations d'intensité très-considérables.

Il serait desirable que l'on pût comparer ces résultats' du calcul à des expériences précises, ainsi que je l'ai fait dans mon premier Mémoire, à l'égard des expériences de Coulomb, sur le contact. des sphères électrisées; mais je n'ai trouvé, ni ailleurs, ni dans les Mémoires de cet illustre physicien, la suite d'observations nécessaires à cette comparaison. Ces Mémoires ne contiennent qu'un seul fait qui se rapporte à l'influence mutuelle de deux sphères séparées; c'est le phénomène dont j'ai déja parlé dans mon premier Mémoire, et qui consiste en ce que, si l'on a deux sphères inégales, qui soient d'abord en contact et électrisées en commun, par exemple, positivement; que l'on vienne ensuite à les séparer, et que l'on observe la nature du fluide électrique qui afflue sur l'une et sur l'autre, au point par lequel elles se touchaient, on trouve que ce point, dont l'électricité était nulle pendant le contact, donne, à l'instant de la séparation, des signes d'électricité, contraires sur les deux sphères, savoir, d'électricité positive sur la plus grande, et d'électricité négative sur la plus petite. Celle-ci subsiste jusqu'à ce que les deux surfaces soient à une certaine distance l'une de l'autre ; à cette distance, l'électricité du point de la petite sphère le plus voisin de la grande, redevient nulle, comme à l'instant du contact, et au-delà elle passe au positif. La distance dont nous parlons dépend du rapport des deux rayons; Coulomb l'a déterminée par l'expérience pour des sphères de différentes dimensions: je l'ai aussi calculée dans mon premier Mémoire, mais pour le cas seulement où l'un des deux rayons est très-petit par rapport à l'autre ; et l'on a vu qu'alors le résultat du calcul est conforme à celui de l'observation. Il paraît difficile de déterminer cette distance à priori, lorsque les rayons des deux sphères que l'on sépare ont entre eux un rapport donné; mais quand on l'aura trouvé par l'expérience, il sera toujours facile de vérifier, au moyen de nos formules, si, à cette distance, l'électricité de la petite sphère, au point le plus voisin de la grande, est effectivement égale à zéro. On trouvera, dans la suite de ce Mémoire, un exemple de cette vérification, faite sur une expérience de Coulomb, et remarquable par l'accord qu'elle montre entre l'observation et la théorie.

Les séries qui représentent les épaisseurs de la couche électrique, cessent de converger, lorsque les deux sphères sont trèsrapprochés l'une de l'autre; pour les appliquer à ce cas, il a donc fallu leur donner une autre forme; et en effet, par le moyen de leur expression en intégrales définies, je suis parvenu à les transformer en d'autres séries d'autant plus convergentes que la distance des deux sphères est plus petite. De cette ma➡; mière, j'ai pu déterminer ce qui arrive dans le rapprochement

de ces deux corps, soit avant qu'ils se soient touchés, soit quand on les a d'abord mis en contact, et qu'on vient ensuite à les séparer.

Dans le premier cas, l'épaisseur de la couche électrique aux points les plus voisins sur les deux surfaces, devient plus grande et croît indéfiniment à mesure que leur distance diminue; il en est de même de la pression que le fluide exerce contre l'air intercepté entre les deux corps, puisque cette pression, ainsi qu'on l'a vu dans mon premier Mémoire, est toujours proportionnelle au carré de l'épaisseur; elle doit donc finir par vaincre la résistance de l'air; et le fluide, en s'échappant sous forme d'étincelle ou autrement, doit passer, avant le contact, d'une surface sur l'autre. Ce fluide, ainsi accumulé avant l'étintelle, est de nature différente et à-peu-près d'égale intensité sur les deux sphères; si elles sont électrisées, l'une vitreusement et l'autre résineusement, il est vitreux sur la première et résineux sur la seconde ; mais quand elles sont toutes deux électrisées de la même manière, et, par exemple, positivement, la sphère qui contient moins de fluide qu'elle n'en doit avoir dans le contact, devient négative au point où se prépare l'étincelle, et, au contraire, celle qui en contient plus, qu'elle n'en doit conserver, reste positive dans toute son étendue.

Les phénomènes ne sont plus les mêmes dans le second cas, c'est-à-dire lorsque les deux sphères se sont touchées et qu'on les a ensuite un tant soit peu écartées l'une de l'autre. Le rapport qui existe entre les quantités totales d'électricité dont elles sont chargées, fait disparaître, dans l'expression de l'épaisseur, le terme qui devenait infiniment grand pour une distance infiniment petite: l'électricité des points les plus voisins sur les deux surfaces, est alors très-faible pour de très-petites distances; elle décroît avec ces distances, suivant une loi que j'ai déterminée; son intensité est à-peu-près la même sur les deux sphères; mais quand elles sont inégales, cette électricité est positive sur l'une et négative sur l'autre, et c'est toujours sur la plus petite qu'elle prend un signe contraire à celui de l'électricité totale; résultat entièrement conforme à l'expérience de Coulomb que j'ai citée plus haut, et qui fournit une confirmation importante de la théorie des deux fluides. Quand les deux sphères sont égales, l'électricité, pendant le contact et après la séparation, se distribue de la même manière sur l'une et sur l'autre; il est naturel de penser que, dans ce cas, le fluide est de même nature sur toute l'étendue de chaque surface, quelque petite que soit la distance qui sépare les deux sphères c'est, en effet, ce qu'on déduit de nos formules, en y supposant les deux rayons égaux.

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