Page images
PDF
EPUB

Note sur la part qu'ont eue les anciens élèves de l'Ecole Polytechnique au voyage d'Egypte, et à la composition de l'ouvrage qui se publie sur cette contrée.

L'Ecole Polytechnique a fourni à l'expédition d'Egypte, nonseulement quarante de ses anciens élèves, mais plusieurs de ses professeurs les plus distingués, et, dans le nombre, les deux plus illustres de ses fondateurs, MM. Monge et Berthollet. Aussi, l'influence des études et des méthodes admises dans cette Ecole, s'est fait sentir dans toutes les branches de l'expédition scienti. fique, et encore plus dans l'exécution de l'ouvrage qui est le fruit commun de tous les travaux réunis. L'habitude de la précision rigoureuse dans la recherche de la vérité a présidé à toutes les observations. On s'est attaché a recueillir les mesures les plus exactes des édifices.. Rien ne manque aux projections qu'on en a faites pour reconstruire ces monumens à une échelle quelconque, et en offrir une image fidèle. Par-tout où il en a été besoin, on a fait des fouilles profondes, afin d'avoir des données sûres et complètes sur le sol des édifices. L'on a fait des nivellemens nultipliés dont plusieurs embrassent une grande étendue de pays, Enfin ce voyage est certainement celui d'où l'on a rapporté le plus de mesures de tout genre.

L'esprit d'exactitude qui a guidé les ingénieurs et les architectes n'a pas été étranger aux dessinateurs. Ils avaient à retracer des formes nouvelles, extraordinaires, et les signes d'un langage perdu. Ces signes sont les hieroglyphes et les caractères alphabétiques remplissant, les uns, la surface des monumens, les autres, une multitude de manuscrits dont l'existence n'était pas même soupçonnée jusqu'à ce jour. Entièrement inconnus aux voyageurs qui les dessinaient, les hiéroglyphes exigeaient de leur part une patience à l'épreuve, et un amour de l'exactitude, capables de triompher de tous les obstacles. Mais ils sentaient que ces copies des tableaux égyptiens et des hiéroglyphes seraient absolument inutiles, si elles n'étaient pas des imitations rigoureuses, seul moyen de conduire à leur interprétation, soit par des rapprochemens multipliés, soit par la comparaison des autorités avec les monumens.

L'ordre qui règne dans la distribution des parties de l'ouvrage est le fruit du même esprit qui a présidé à la recherche des matériaux. On ne présente pas seulement les différens monumens suivant l'ordre des lieux; mais dans chacun d'eux, on suit constamment la même marche. Le plan général du lieu donne d'abord

une idée générale. Aux plans succèdent des vues pittoresques dout l'objet est le même; ensuite, viennent le plan géométrique de l'édifice, ses élévations, ses coupes mesurées et cotées, les détails principaux de l'architecture, les corniches, les colonnes et leurs chapitaux. Après ces détails, on donne les sculptures, les bas-reliefs, les peintures, les scènes hieroglyphiques avec les caractères qui les accompagnent, et cette série de figures est souvent terminée par une perspective géométrique où l'on restaure l'édifice pour en donner une idée complète. Mais cetle restauration n'est jamais faite que sur les motifs les plus évidens. Le tracé des ombres, celui des perspectives, ont fourni des 'occasions fréquentes d'appliquer les méthodes enseignées à l'Eccle. Quand au dessin de l'architecture et de la figure, l'expédition d'Egypte suffirait pour démontrer l'utilité de cette partie de l'enseignement.

Il aurait manqué un avantage essentiel à cette composition des planches, si tous les monumens n'eussent pas été assujétis à la même échelle. Rien de plus commun dans les voyages, que la manie de grandir tous les petits édifices, pour leur faire occuper sur le papier le même espace que les plus grands. Rien aussi ne donne des idées plus fausses; et delà vient que le plus souvent on retire peu de fruit de ces ouvrages à figures. On a, dans le voyage d'Egypte, adopté des échelles uniformes et invariables, tant pour les plans que pour les coupes et les détails. Une légère inspection suffit pour comparer les édifices les plus différens. L'idée première de cette uniformité des échelles appartient à un recueil qui a servi aux études de l'Ecole Polytechnique, et qui est l'ouvrage de l'un de ses professeurs (M. Ďurand).

On avait à craindre un écueil fâcheux pour la symétrie des planches, dans la multitude de sujets differens et de mains différentes, copiées parmi les tableaux égyptiens. C'est avec un soin particulier, mais toujours en s'attachant à l'exactitude scrupuleuse, qu'on est parvenu à éviter les disparates et à donner aux figures partielles tout l'ensemble et toute la symétrie convenables.

Le texte consacré à décrire les anciens édifices et à suppléer à l'insuffisance des dessins, a été assujéti au même plan, à la même marche. Les Descriptions des antiquités correspondent, une à une, avec les monumens, et forment un chapitre séparé, comme l'ensemble des planches forme, pour chaque lieu, un faisceau à part. Comme les séries de planches, la description renferme d'abord un coup d'œil général; elle marche ensuite par des développemens de plus en plus circonstanciés, jusqu'à rendre compte, des scènes particulières et de tous les objets de détail.

Les Mémoires d'antiquités forment une branche séparée de l'ouvrage et complettent tout ce qui regarde l'ancien état de l'Egypte. Ils sont consacrés à l'examen de questions particulières : ce sont des dissertations ou des recherches faites ex-proffesso; tandis que les descriptions ont pour objet spécial de faire connaître l'état des édifices; et qu'on n'y entre dans des discussions, que quand le sujet l'exige ou les amène naturellement.

Il convenait, dans la publication de recherches faites d'une manière authentique et devant tant de témoins, de ne rien épargner pour conserver l'exactitude des dessins originaux, et les exécuter d'une manière uniforme. C'est à quoi l'on s'est attaché en surveillant sans relâche la gravure, confiée à plus de cent artistes. L'atelier central établi près de la commission a été d'un grand secours pour arriver à ce but; et sur-tout l'invention précieuse d'une machine à graver, inventée par feu Conté, qui a rendu tant de services en Egypte, et qui fut le premier directeur des travaux de l'ouvrage. Le nom de Conté et ses travaux ingénieux se rattachent encore à l'Ecole Polytechnique, puisqu'il fut le chef d'une école d'application, celle de Meudon, dont quelque élèves sortaient de la première. Avec cette machine on gradue rigoureusement les teintes égales, ou décroissantes suivant différentes lois.

Les élèves de l'Ecole Polytechnique ont encore concouru à d'autres travaux qui avaient trait directement à leurs études, telles que les observations astronomiques, les mesures météorologiques, les recherches de physique et de chimie; enfin, et principalement le levé d'une carte géométrique et très-détaillée de toute l'Egypte, depuis les cataractes jusqu'à la méditerranée. C'est entre ces travaux et les dessins des monumens anciens et modernes que les ingénieurs ont partagé tout leur tems, pendant la durée de l'expédition. La carte d'Egypte est composée de cinquante feuilles grandes comme celles de Cassini et non moins détaillées qu'elles assujéties à trente six observations célestes. A cette carte sont jointes des plans topographiques en grand nombre, et des plans du Kaire et d'Alexandrie, levés et dessinés avec les mêmes détails que les plans qu'on possède des grandes villes de France.

Les édifices modernes, ouvrages des Arabes, et des Égyptiens devenus mahométans, offraient un moindre intérêt que les monumens antiques; cependant ils n'ont pas été négligés: on a dessiné les plus importans, toujours avec le même soin, mais avec moins de détails. Les élèves de l'Ecole n'ont pris qu'une part secondaire à cette seconde branche de l'ouvrage consacrée à l'état moderne de l'Egypte, à l'exception de la partie géographique.

Il en est de même de l'Histoire naturelle. Cette troisième partie

de la collection générale, est due à des naturalistes étrangers à l'Ecole, excepté M. Dupuis, minéralogiste. Cependant plusieurs des élèves se sont attachés, en Egypte, à recueillir des animaux, des minéraux et des plantes, et se sont empressés d'en rapporter des échantillons pour le cabinet de l'Ecole. M. Lancret s'est occupé d'entomologie; M. Jomard de botanique et de minéralogie; M. Dubois a aussi recueilli des plantes.

Toutes les descriptions d'antiquités sont l'ouvrage des élèves de l'Ecole. Les plus importantes sont de la main de MM. Chabrol, Devilliers, Jollois, Jomard et Lancret. MM. Dubois-Aymé et Saint-Genis en ont rédigé plusieurs.

Le nivellement des deux iners, travail capital, est encore pour la plus grande partie, l'ouvrage des élèves de l'Ecole Polytechnique. M. Lepère, ancien adjoint à l'inspecteur des études, a été le rédacteur de ce travail.

En résumant cette note, il est aisé de voir que le voyage d'Egypte, et la composition de l'ouvrage destiné a décrire ce pays ont fourni l'application la plus complette de toutes les études de l'Ecole Polytechnique, soit sous le rapport des sciences physique et géométriques, soit du côté des arts graphiques.

S. IV. PERSONNEL.

J.

Lagrange (Joseph-Louis), auteur de la Mécanique analytique, né le 25 novembre 1736, a terminé sa carrière honorable le 10 avril 1813. Les deux ouvrages de ce célèbre géomètre, la Théorie des fonctions analytiques, et le Calcul des fonctions, ont été le sujet des leçons qu'il a données à l'Ecole Polytechnique, en 1795, 1796 et 1799. Il fut nommé professeur dans cet établisseraent, à l'époque de sa fondation (1794). Depuis l'année 1799, il n'a plus professé; mais désigné par l'Institut pour l'un des membres du conseil de perfectionnement, il en a suivi exactement les séances, et il a toujours considéré l'Ecole Polytechnique comme une institution très-utile aux progrès des sciences.

La classe des sciences physique et mathématiques a nommé. pour remplacer M. Lagrange, dans la section de géométrie, M. Poinsot, professeur adjoint à l'Ecole Polytechnique (séance du 31 mai 1813), et dans le conseil de perfectionnement de cette Ecole, M. Carnot.

Extrait d'une lettre concernant M. Lagrange, insérée dans le Moniteur du 26 février 1814.

[ocr errors]

Comme on peut être curieux de connaître la série de ses premiers travaux, je vais, d'après lui, la rapporter dès-à-présent. Il étudia d'abord l'arihmétique, les élémens d'Euclide, et l'algèbre de Clairaut; puis, en moins de deux ans, il lut dans l'ordre où je les énonce : les Institutions de Mlle. Agnesi, l'Introductio d'Euler, les Leçons de Jean Bernouilli, la Mécanique d'Euler, et les deux premiers livres des Principes de Newton, la Dynamique de d'Alembert, le Calcul intégral de Bougainville, enfin le Calcul différentiel et le Methodus inveniendi d'Euler. Ce fut, comme on le sait, l'étude de ce dernier ouvrage qui le conduisit à découvrir le calcul des variations.

[ocr errors]

En parlant du bonheur de Newton qui avait trouvé un systéme du Monde à expliquer (bonheur, remarquait-il d'un air sérieux et presque chagrin, qu'on ne rencontre pas tous les jours), il se plaisait à citer ce qu'il appelait aussi le bonheur d'un de ses confrères, dont le génie inventif et original l'avait fortement frappé. Nous allons même nous hasarder à citede lui un propos à ce sujet qui peint fidèlement sa manière naïve de s'exprimer, quand il était vivement pénétré : « Voyez, dit-il un jour, ce dia... de *** « avec son Application de l'analyse à la génération des surfaces, << sera immortel, il sera immortel!.... >>

il

Sa candeur était égale à sa pénétration, et le contraste habituel de ces deux grandes qualités de son esprit et de son caractère, donnait à son commerce un haut degré d'intérêt et de piquant. Comme il n'avait que des idées parfaitement nettes, il voulait toujours que leur expression fût une peinture fidèle de ses conceptions. Delà, quand il avait commencé quelque phrase qu'il désespérait d'achever assez clairement, ces interruptions originales, suivies pour l'ordinaire de son mot favori, je ne sais pas, je ne sais pas.... Sans chercher à la retourner autrement, il la Jaisait là brusquement. Souvent aussi ces silences imprévus étaient causés par une idée nouvelle qui venait à la traverse, et qui absorbait rapidement son intelligence rechercheuse. (Expression bien vraie de Hérault de Séchelles, en parlant de Lagrange.) Qui ne l'a pas vu s'interrompre ainsi tout-à-coup aux leçons qu'il donnait à l'Ecole Polytechnique, paraître quelquefois embarrassé comme un commençant, quitter le tableau et venir s'asseoir en face de l'auditoire, tandis que maîtres et élèves, confondus sur les bans, attendaient dans un respectueux silence qu'il eût ramené sa pensée des espaces qu'elle était allée parcourir !

Signé, L. B. M. D. G.

« PreviousContinue »