Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE XIX.

Menou succède à Kiéber dans le commandement de l'armée d'Orient. — Origine des partis coloniste et anti-coloniste. Administration de Menou.

[ocr errors]

Le premier Consul fait partir de Brest une flotte commandée par Ganteaume, pour porter des secours en Égypte. Une armée anglaise, commandée par Abercromby, y débarque. - Revers des Français. Bataille de Nicopolis. Menou resserré dans Alexan

drie.

Les Anglais et les Turcs marchent sur le Kaire. Tentatives infructueuses de l'amiral Ganteaume

l'Égypte. Mort de Mourad-Bey.

[merged small][merged small][ocr errors]

pour atteindre

Convention du Kaire.

Les Français évacuent totaLes Mamlouks renoncent à sa pos

Après la mort de Kléber, Menou, le plus ancien général divisionnaire, prit, conformément aux lois militaires, le titre de général en chef de l'armée d'Orient. Jusqu'ici nous n'avons eu que des triomphes à décrire; de cette époque datent de fatales dissensions et les revers qui finirent par accabler la plus vaillante armée des temps modernes.

Le chef que lui donnait la loi n'était point légitimé par la victoire, et, pour succéder à Bonaparte et à Kléber, il devait compter plus de batailles que d'années de service. Il ne suffisait pas d'avoir une réputation de brave militaire et d'administrateur

éclairé. Aux talens qui préparent les succès et inspirent la confiance, il fallait joindre le don du commandement qui impose aux officiers et entraîne les soldats; il fallait enfin cette auréole de gloire et ce prestige de la fortune qui persuadent aux masses que leur chef est invincible.

Parmi les généraux de l'armée d'Orient, il n'en était aucun qui possédât cette réunion de qualités; nul d'entre eux ne pouvait rivaliser avec le conquérant de l'Italie et de l'Égypte, et le géant du MontThabor et d'Héliopolis. Mais le moins digne d'occuper leur place était, sans contredit, Menou; et les circonstances où il se trouva placé dès le jour où il prit le commandement furent telles, qu'avec plus de capacité, il est même douteux qu'il eût réussi à sauver l'Égypte et l'armée.

On lui a imputé d'avoir donné naissance aux partis coloniste et anti-coloniste; c'est une injustice. Ils existèrent avant son commandement, et dès le jour où l'armée d'Orient mit le pied sur le sol de l'Égypte. Le parti anti-coloniste fit explosion dès que les Français se mirent en marche d'Alexandrie sur le Kaire. C'était le parti qui, comparant l'Égypte à la France, était consumé de justes regrets, et brûlait du désir de revoir la patrie. Bonaparte le contint et finit, pour ainsi dire, par l'éteindre; mais, après son départ, les anti-colonistes éclatèrent avec d'autant plus de force, qu'ils eurent dès-lors à leur tête Kléber, le chef même de l'armée.

Ce fut le parti anti-coloniste qui porta ce général

1

à négocier et à conclure la convention d'El-Arych. Des soldats, avides de revoir leur belle patrie, pouvaient-ils songer aux inconvéniens qu'aurait pour elle, dans les calculs de la politique, l'évacuation de l'Égypte? Le parti coloniste se réduisit donc dès-lor à un petit nombre d'hommes qui se passionnaien pour la possession de l'Égypte, à cause du coup mortel qu'elle leur semblait devoir porter à la puis sance des Anglais, et des résultats immenses que dans leur pensée, elle devait avoir pour la France Ainsi, les anti-colonistes favorisaient sans le vouloi les vues de l'Angleterre, et le parti coloniste était évidemment plus français. La nouvelle de l'élévation de Bonaparte à la première magistrature de la Ré publique, la violation de la convention d'El-Arych, et la victoire éclatante d'Héliopolis par laquelle cet outrage fut vengé, imposèrent silence aux anti-colonistes, et relevèrent le parti contraire; Kléber Inimême y entra par nécessité; mais les généraux, les chefs militaires et civils qui avaient délibéré l'éva cuation de l'Égypte, pouvaient-ils abdiquer franchement une opinion qu'ils avaient alors si hautement manifestée? Après la mort du chef qui, par son ascendant et la force de son caractère, les fai sait marcher dans la voie qu'il avait lui-même for cément embrassée, ils durent, sous un général faible et qui n'avait pas leur estime, rentrer dans un système pour lequel ils s'étaient d'abord chaudement prononcés. Ils se donnèrent pour chef le général Reynier: comme eux, dans le conseil tenu à Salhie,

il avait voté pour l'évacuation de l'Égypte; il leur paraissait avec raison, ainsi qu'à toute l'armée, doué d'une plus grande capacité que le vieux soldat porté au commandement par le hasard peu méritoire de l'ancienneté. Reynier lui-même, quelle que pût être sa modestie, pénétré du sentiment de sa supériorité, ne ferma point l'oreille au jugement, aux vœux et aux regrets de ses camarades. Il porta ombrage à Menou; dès-lors l'armée, loin d'avoir pour son nouveau chef le dévoûment sans lequel il ne pouvait se soutenir et la sauver, ne lui obéit plus qu'avec répugnance. Tel fut le concours de circonstances fatales qui jetèrent la division parmi les chefs de l'armée d'Orient, telle fut la source des désastres qui l'accablèrent.

Menou n'était point, ainsi qu'on l'a prétendu, ignorant dans l'art militaire; mais il n'avait ni l'habitude ni l'instinct de la guerre et du commandement. Il était d'une insouciance extrême, d'un caractère irrésolu et sans énergie. L'expédition d'Égypte aurait mis à la voile sans lui, si ses amis ne l'avaient pas enlevé de Paris pour l'envoyer à Toulon. Il avait guerroyé dans la Vendée, et y avait montré de la bravoure. Il n'en manqua point à la prise d'Alexandrie et au siége du fort d'Abouqyr. Il n'eut pas l'occasion d'en montrer plus souvent, parce que Bonaparte, le croyant plus propre à un rôle sédentaire qu'à un service actif, ne la lui fournit pas. Il avait des connaissances générales et le goût de l'administration; mais il n'avait pas, dans les

ennemis de la France'. Ces deux ouvrages sont les premières sources où plusieurs écrivains, estimables du reste, ont aveuglément puisé, pour transmettre au public des assertions démenties par des faits patens et par les monumens publics de l'époque.

Après avoir proclamé qu'il défendrait l'Égypte jus qu'à la mort, Menou la perdit et ne mourut pas. Dèslors tout lui fut imputé à crime; des accusations de tous les genres s'accumulèrent sur sa tête; il devint le bouc émissaire sur lequel chacun, acteur ou victime dans la catastrophe, rejeta l'évacuation de l'Égypte.

Après la mort de Kléber, les Anglais et les Turcs essayèrent des négociations avec le nouveau général en chef de l'armée d'Orient. Sidney Smith lui proposa d'évacuer l'Égypte conformément aux clauses stipulées dans la convention d'El-Arych. Menou lui répondit que les plénipotentiaires de l'Angleterre n'ayant pu exécuter la convention sans la ratification de leur gouvernement, il croyait aussi devoir s'en référer à la ratification des Consuls de la République, et que c'était à eux que le ministère britannique devait s'adresser, s'il voulait traiter désormais de l'évacuation de l'Égypte. Il fit la même réponse au grand-visir.

Le capitan-pacha s'était rendu à Jaffa avec Sidney Smith, au commencement de messidor an vili,

1 Histoire de l'expédition française en Égypte, par l'ingénieur P. Martin, deux volumes in-8°, Paris, 1815.

« PreviousContinue »