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CHAPITRE XXVI.

Création de la Légion-d'Honneur; son organisation. - Fête du 14 juillet. Loi sur l'instruction publique. L'Institut est chargé de faire le tableau des sciences. - Encouragemens donnés au galvanisme. Monument à Dussault et Bichat. Travaux au Louvre pour la Bibliothèque nationale. Travaux publics; quai Desaix, canal de l'Ourcq, du Blavet, de SaintQuentin. Établissemens publics à Pontivi. Commerce de Monumens offerts au premier Consul.

l'Inde.

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Depuis la fameuse nuit du 4 août 1789, il n'y avait plus d'autres distinctions en France que les costumes et les signes affectés aux fonctions civiles et militaires. Pour les récompenses nationales, il n'y avait point de système fixe; des mesures spéciales y pourvoyaient suivant les circonstances. Le soldat, le magistrat, le citoyen se dévouaient par devoir, par honneur, par amour de la liberté et de la patrie. Malgré les taches que la fureur des partis avait imprimées aux dix années qui s'étaient écoulées depuis l'origine de la révolution jusqu'au 18 brumaire, elles avaient été fécondes en belles actions dans les cités, dans les camps. Général de l'armée d'Italie, Bonaparte avait fait l'essai des armes d'honneur; Consul, il en avait fait, par un simple arrêté, des récompenses militaires. Pen

dant la dernière campagne contre l'Autriche, l'armée nationale n'avait pas dérogé à la gloire que lui avaient acquise huit années de combats. Les fonctionnaires civils servaient avec autant de zèle qu'à aucune autre époque; cependant le premier Consul projeta l'établissement de la Légion-d'Honneur. D'abord conçue pour les militaires et, par réflexion, étendue au civil, elle fut destinée à exciter l'émulation, à récompenser les services, à relever la valeur de l'homme à ses propres yeux, aux yeux de ses semblables. «Cela impose: il faut de ces choseslà pour le peuple », avait dit le premier Consul en voyant paraître l'ambassadeur de Prusse chamarré de décorations.

A la séance du conseil d'état du 14 floréal, Roederer lut le projet de loi. Voici en résumé les motifs qu'en donna le premier Consul: « Le système actuel des récompenses militaires n'est point régularisé. L'article 87 de la constitution assure des récom. penses nationales aux militaires; mais il n'y a rien d'organisé. Un arrêté a bien établi une distribution d'armes d'honneur; cela emporte double paie et occasione une dépense considérable. Il y a des armes d'honneur avec augmentation de paie; d'autres sans rétribution. C'est une confusion; on ne sait ce que c'est. D'ailleurs il faut donner une direction à l'esprit de l'armée, et surtout le soutenir. Ce qui le soutient actuellement, c'est cette idée dans laquelle sont les militaires, qu'ils occupent la place des ci-devant nobles. Le projet donne plus de consistance au sys

tème de récompenses; il forme un ensemble; c'est un commencement d'organisation de la nation. >>

Dumas lut un mémoire en faveur de l'institution. Il combattit le projet en ce qu'il admettait les citoyens dans la Légion-d'Honneur. Il voulait qu'elle fût toute militaire, pour soutenir cet esprit dans la nation et dans l'armée. « L'honneur et la gloire militaires ont toujours été en déclinant depuis la destruction du système féodal, qui avait assuré la prééminence aux militaires », dit-il ; et après avoir développé cette idée, il demanda qu'aucun citoyen ne pût du moins être admis dans la Légion-d'Honneur, sans justifier qu'il eût satisfait aux lois sur la conscription. « Ces idées, dit le premier Consul, pouvaient être bonnes au temps du régime féodal et de la chevaleric, ou lorsque les Gaulois furent conquis par les Francs. La nation était esclave; les vainqueurs seuls étaient libres; ils étaient tout; ils l'étaient comme militaires. Alors la première qualité d'un général, ou d'un chef, était la force corporelle. Ainsi Clovis, Charlemagne, étaient les hommes les plus forts, les plus adroits de leurs armées ; ils valaient à eux seuls plusieurs soldats, un bataillon; c'est ce qui leur conciliait l'obéissance et le respect. C'était conforme au système militaire du temps; les chevaliers se battaient corps à corps; la

force et l'adresse décidaient de la victoire. Mais quand le système militaire changea, quand on substitua les corps organisés, les phalanges macédoniennes, les masses au système militaire des che

valiers, il en fut tout autrement. Ce ne fut plus la force individuelle qui décida du sort des batailles, mais le coup-d'oeil, la science. On peut en voir la preuve dans ce qui se passa aux batailles d'Azincourt, de Crécy, de Poitiers. Le roi Jean et ses chevaliers succombèrent devant les phalanges gasconnes, comme les troupes de Darius devant les phalanges macédoniennes. Voilà pourquoi nulle puissance ne put arrêter la marche victorieuse des légions romaines.

« Le changement de système militaire, et non l'abolition du régime féodal, dut donc modifier les qualités nécessaires au général. D'ailleurs le régime féodal fut aboli par les rois eux-mêmes pour se soustraire au joug d'une noblesse boudeuse et turbulente. Ils affranchirent les communes, et eurent des bataillons formés de la nation. L'esprit militaire, lieu d'être resserré dans quelques milliers de Francs, s'étendit à tous les Gaulois. Il ne s'affaiblit point par là; au contraire, il acquit de plus grandes forces. Il ne fut plus exclusif, fondé seulement sur la force individuelle et la violence, mais sur des qualités civiles. La découverte de la poudre à canon eut aussi une influence prodigieuse sur le changement du système militaire et sur toutes les conséquences qu'il entraîna. Depuis cette révolution, qu'est-ce qui a fait la force d'un général? ses qualités civiles, le coup-d'œil, le calcul, l'esprit, les connaissances administratives, l'éloquence, non pas celle du jurisconsulte, mais celle qui convient à la tête des armées, et enfin la connaissance des hommes : tout

cela est civil. Ce n'est pas maintenant un homme de cinq pieds dix pouces qui fera de grandes choses. S'il suffisait, pour être général, d'avoir de la force et de la bravoure, chaque soldat pourrait prétendre au commandement. Le général qui fait de grandes choses est celui qui réunit les qualités civiles. C'est parce qu'il passe pour avoir le plus d'esprit que le soldat lui obéit et le respecte. Il faut l'entendre raisonner au bivouac; il estime plus le général qui sait calculer, que celui qui a le plus de bravoure; ce n'est pas que le soldat n'estime la bravoure, car il mépriserait le général qui n'en aurait pas. Mourad-Bey était l'homme le plus fort et le plus adroit parmi les Mamlouks; sans cela, il n'aurait pas été bey. Quand il me vit, il ne concevait pas comment je pouvais commander à mes troupes; il ne le comprit que lorsqu'il connut notre système de guerre. Les Mamlouks se battaient comme les chevaliers, corps à corps et sans ordre; c'est ce qui nous les a fait vaincre. Si l'on eût détruit les Mamlouks, affranchi l'Égypte, et formé des bataillons dans la nation, l'esprit militaire n'eût point été anéanti; șa force, au contraire, eût été plus considérable. Dans tous les pays, la force cède aux qualités civiles. Les baïonnettes se baissent devant le prêtre qui parle au nom du ciel, et devant l'homme qui impose par sa science. J'ai prédit à des militaires qui avaient quelques scrupules, que jamais le gouvernement militaire ne prendrait en France, à moins que la nation ne fût abrutie par cinquante ans d'ignorance. Toutes les

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