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rement dans le jury, surtout depuis les modifications apportées à sa composition et aux conditions de majorité, que se développe la plus grande énergie pour la répression: cela résulte notamment de l'augmentation considérable du nombre des condamnations capitales, qui ne peuvent être prononcées sans avoir été prévues par chaque juré. La progression est telle, pour la rigueur, qu'on se demande s'il faut attribuer ce résultat extraordinaire au sentiment, peut-être exagéré, du danger social, ou bien à d'autres causes d'influence, qu'il conviendrait alors de rechercher et au besoin de tempérer.

La tendance que nous signalons se manifeste aussi dans la jurisprudence proprement dite, dans l'ensemble des décisions motivées qui tranchent les questions de droit plus ou moins neuves et qui doivent fixer le sens des textes susceptibles d'interprétation. Nous ne déduisons pas cela du nombre si minime des pourvois de condamnés qui réussissent, comparé à la masse des pourvois rejetés et à celle des cassations obtenues par le ministère public; car on sait que les pourvois de condamnés, en matière criminelle notamment, ne sont pour la plupart que des moyens désespérés ou dilatoires, présentant rarement quelques difficultés sérieuses 17. Nous trouvons nos preuves dans les discussions auxquelles nous

la 1853, prouve que les tribunaux correctionnels ont senti, comme le jury, nécessité de se montrer de plus en plus sévères contre les délinquants. Cet affermissement de la répression coïncide d'ailleurs avec l'organisation des casiers judiciaires, qui, en révélant désormais exactement les antécédents judiciaires de tout individu poursuivi, permettent aux tribunaux de mieux apprécier la moralité des actes déférés à leur jugement.... Mais il a lieu y de reconnaître anssi que, si les tribunaux correctionnels ont prononcé moins d'acquittements en 1853 qu'en 1852 et en 1851, ils se sont montrés un peu plus indulgents dans l'application des peines encourues, et que l'art. 463 C. pén. a été appliqué à 572 sur 1000 des condamnés auxquels il était applicable, tandis qu'il ne l'avait été qu'à 536 sur 1000 en 1852, et à 544 en 1851..... Pendant l'année 1853, la France a demandé à quatre Etats étrangers l'extradition de 60 accusés renvoyés aux assises..... Le nombre avait été de 43 en 1851 et de 36 en 1852. >>

17. Le compte-rendu précité indique ainsi qu'il suit le nombre et les résultats des pourvois : « La chambre criminelle de la Cour de cassation, qui n'avait été saisie en 1852 que de 1259 pourvois, en a reçu 1456 en 4853. Ce dernier nombre est, à 69 près, le même qu'en 1851, où il y avait eu 1525 pourvois. Les pourvois de 1853 se classent de la manière suivante, par ordre de matières: 877 pourvois contre des arrèts criminels; 393 contre des jugements ou arrèts correctionnels 162 contre des jugements de simple police; 24 contre des décisions de conseils de discipline de la garde nationale.... Ils émanaient : 252 du ministère public, et 1204 des parties intéressées. Il a été statué, pendant l'année 1853, sur 1451 pourvois de toute nature. La chambre criminelle a rendu 234 arrêts de cassation, 908 arrêts de rejet et 300 arrets de non-lieu à statuer. Sur un nombre moyen de 1000 pourvois (supposé pour chaque matière ou catégorie), il y en a eu d'accueillis, par l'annulation des décisions attaquées : 60 en matière criminelle, 234 en matière correctionelle, 547 en matière de simple police, et 130 en matière de discipline de la garde nationale. >>

Du 1er sept. 1854 au 31 août 1855, d'après l'état déposé dans la dernière audience solennelle de rentrée, la chambre criminelle à rendu : 1195 arrèts définitifs, dont 74 arrêts de peine de mort (71 de rejet, 3 de cassation ), 1 arrêt de cassation sur demande en révision, 8 arrêts de cassation sur réquisitoires, et, de plus, 44 arrêts de règlement de juges; 153 arrêts de désistement, 117 arrets de déchéance, 22 arrêts de non-recevabilité, 3 arrêts de renvoi aux cham

assistons chaque jour, dans les solutions qui interviennent et dans les motifs donnés pour les justifier. Des questions de droit pénal, entre autres, présentent parfois de sérieux doutes, pour l'applicabilité de la loi pénale ou de telle peine, en ce que le fait poursuivi n'aurait pas été prévu lui-même ou ne serait pas certainement accompagné de toutes les circonstances exigées par la loi. L'interprétation permise est le plus souvent favorable à la répression, malgré l'embarras constaté par les décisions qui se contredisent ou le partage d'opinions nécessitant un nouveau débat. On peut en juger par certaines solutions, concernant notamment les crimes de faux, de banqueroute frauduleuse, d'incendie, de vol qualifié, de détournement par un employé des postes 18, les délits de presse, de colportage d'écrits, de pèche maritime, d'attentat aux mœurs, d'usure, d'abus de confiance, d'escroquerie, de vol, de falsification ou tromperie en matière de denrées 1, et les infractions à la police de la boulangerie, de la boucherie, des cabarets, des chemins de fer et du roulage 20.

Au point de vue des formes ou de la procédure, la jurisprudence actuelle a un caractère distinctif, qui doit aussi être remarqué et apprécié. Sans doute, la cour régulatrice a toujours entendu se borner à fixer le sens des lois existantes, s'abstenir de créer elle-même la règle. Mais à certaines époques, lorsque des réformes expérimentées paraissaient trop radicales pour n'être point sans dangers, la jurisprudence, au lieu de leur faire produire entièrement les conséquences extrêmes qu'aurait demandées une logique rigoureuse, tendait plutôt à en limiter la portée et à opérer ou provoquer une réaction salutaire. Aujourd'hui, c'est tout autre chose. Nos codes n'ont depuis longtemps subi de modifications que sur quelques points spéciaux; à tous autres égards, ils conservent entières leurs dispositions primitives: et, néanmoins, s'inspirant des tendances nouvelles qui dominent dans les conseils de l'État, la jurisprudence manifeste elle-même un certain penchant pour les modifications qui ne sont encore que projetées.

bres réunies, 5 arrêts sur demande en renvoi pour suspicion légitime, 1 arrêt de partage, 12 arrêts d'avant faire droit, 5 arrets de non-lieu à statuer.

18. Arr. cass. 30 déc. 1854, 8 fév. et 20 sept. 1855 (J. cr., art. 5863, 5927 et 6055); rej., après partage, 9 fév. 1855 (J. cr., art. 5913): cass. 29 déc. 1854 (J. cr., art. 5880); cass. 27 avr., 1855 (J. cr., art. 5980); rej. 19 janv. 1855 (J. cr., art. 5920).

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19. Arr. 8 déc. 1854, 31 janv., 13 mars et 26 juill. 1855 (J. cr., art. 5857', 5895, 5930 et 6022); - arr. 27 sept. 1855 (J. cr., art. 6043); arr. 27 avr. et 12 mai 1855 (J. cr., art. 5978 et 5995); arr. 21 avr., 23 août et 24 nov. 1855 (J. cr., art. 5977, 6033 et 6061); · arr. 20 et 28 avr. 1855 (J. cr., art. 5961); -arr. 21 avr. 1855 (J. cr., art. 5955); arr. 24 mars, 10 et 23 fév., 19 juill. et 24 août 1855 (J. cr., art. 5952, 5992, 6048 et 6049); -arr. 31 mars 1855 (J. cr., art. 5973); arr. 2 et 17 mars, 14 avr., 11 mai, 8 juin, 9 et 30 nov. et 15 déc. 1855 (J. cr., art. 5915, 5916, 5937, 6016, 6059 et infrà).

20. Arr. 13 et 23 nov. 1854, J. cr., art. 5886); - arr. 18 et 25 mai 1855 (J. cr., art. 5998); -arr. 17 fév., 15 et 31 mars, 2 et 16 juin et 3 août 1855 (J. cr., art. 6008); -arr. 31 janv. et 3 fév. 1855 (J. cr., art. 5911 et 5923); arr. 28 avr. et 25 août 1854, 17 fév., 1er mars, 7 et 21 juin 1855 (J. cr., art. 5888, 5943 et 6001).

Ainsi l'accélération des procédures, au grand criminel principalement, à une époque où tout se fait vite et où le temps est si précieux, paraît être favorable à la justice et à tous les intérêts légitimes; c'est le vœu du chef de l'État et des organes du gouvernement, qui l'ont manifesté dans des circonstances solennelles 21. En attendant la loi qui simplifiera les formes trop compliquées et abrégera les délais jugés trop Jongs, la jurisprudence a le pouvoir de faciliter cette réforme, en indiquant ce qui est substantiel et ce qui peut n'être pas réputé tel, lorsqu'elle est appelée à diriger des procédures et à statuer sur des nullités proposées. Or, d'une part, il y a maintenant plus de rapidité dans les instructions, dans les règlements de procédure et de compétence, dans les transmissions aux juridictions supérieures et notamment dans l'instruction et le jugement des recours suspensifs, qui prolongent des délais facilitant la fuite des prévenus ou condamnés en liberté ou bien retiennent des détenus dans un état mixte au détriment de la répression effective ou du trésor. D'autre part, l'interprétation des textes qui ont conservé ou créé certaines formes ou lenteurs d'une utilité contestable tend de plus en plus à la simplification et à l'abréviation reconnues nécessaires. Si elle continue à faire respecter et observer toute disposition prescrivant une forme ou un délai sous peine de nullité, elle restreint plutôt qu'elle n'étend le cercle des formes substantielles dont l'inobservation entraîne nullité sans qu'il faille un texte exprès. Et quant aux formalités ou délais d'un intérêt secondaire, la jurisprudence, qui jusqu'ici tendait à en maintenir l'observation alors même qu'elle ne voyait pas dans l'omission une cause de nullité, semble plutôt légitimer la marche expéditive qui néglige ces formes ou abrége ces délais. On le voit par l'ensemble des arrêts les plus récents sur certaines formes, en matière criminelle notamment, et par exemple en ce qui concerne les communications et les jonctions de procédures, les significations et les délivrances de copies aux accusés 22. Cela se remarque surtout dans les arrêts relatifs aux délais. Quand un délai a été fixé par la loi pour l'exercice d'un recours, il est toujours réputé limitatif. Que s'il s'agit de délai donné pour une forme d'instruction, par exemple pour l'interrogatoire primitif, pour le rapport à la chambre du conseil ou à la chambre d'accusation, pour la transmission des pièces ou pour l'interrogatoire dans la maison de justice, l'interprétation proclame que chacun de ces délais est fixé par mesure administrative dans l'intérêt de la justice, qu'on doit autant que possible s'abstenir de le dépasser et qu'on peut l'abréger sans atteinte au droit de défense. Aussi a-t-on trouvé légale une procédure dans laquelle il y avait eu, le même jour, interrogatoire de l'inculpé, rapport à la chambre

21. Dans son discours de rentrée en 1853, M. le procureur général Rouland a dit: «Le gouvernement, obéissant au plus ardent désir de l'Empereur, étudie, à l'heure mème, les réformes les plus convenables pour débarrasser les procédures criminelles de l'irréparable dommage des lenteurs inutiles >> (Journal le Droit, 4 nov. 1853, p. 1047).

22. Arr. 28 sept. 1854, 18 et 26 janv., 9 fév., 20 sept. et 4 oct. 1855 ( J. cr., art. 5890, 5907, 5913 et 6029).

du conseil et renvoi à la chambre d'accusation, rapport du procureur général et arrêt de renvoi aux assises, puis interrogatoire dans la maison de justice et signification de l'arrêt. Mème à l'égard des délais accordés à la défense, il est admis qu'ils peuvent être abrégés, si toutefois l'accusé a donné son consentement, par exemple s'il a volontairement comparu aux assises avant l'expiration du délai de cinq jours fixé par l'art. 296, s'il a produit un mémoire en cassation sans attendre le délai de dix jours donné par les articles 422 et 423 du Code d'instruction 23.

Remarquons aussi les tendances nouvelles, relativement aux effets des décisions émanées de la juridiction qu'on appelle la justice du pays. Celles-ci satisfont les opinions diverses, en tant qu'elles concourent à faciliter la réparation de toute erreur; mais il y a, d'un autre côté, de graves difficultés.

La justice humaine n'étant pas infaillible, le jury, malgré les améliorations apportées à sa composition, rend parfois encore des verdicts qui étonnent; ses déclarations ne comportent pas de recours proprement dit (C. inst. cr., art. 350): comment prévenir ou arrêter l'effet de l'erreur évidente qui ferait une victime? Après la déclaration de culpabilité, si la cour d'assises est convaincue que le jury s'est trompé au fond, elle peut d'office renvoyer l'affaire à la session suivante (C. inst. cr., 352; 1. 9 juin 1853): cette mesure extraordinaire est vue avec faveur, chaque fois qu'elle peut être employée. Les condamnés usent souvent du droit de pourvoi, sans indiquer aucun moyen et sans charger aucun avocat : les magistrats de la Cour de cassation, appelés à examiner le dossier, remplissent scrupuleusement le devoir de rechercher et signaler d'office toutes les causes possibles de nullité. Outre les nullités prononcées par des textes pour vice de formes ou fausse application de la loi pénale, ou bien résultant de l'omission de formes substantielles, il peut y avoir ambiguïté ou contradiction dans la déclaration du jury : la Cour suprême ne manque pas d'examiner avec soin si cela n'existerait pas et d'en faire un moyen de cassation 24. Plus tard, quoique tout ait paru régulier, y eût-il même exécution commencée, l'innocence du condamné peut se reconnaître par des révélations accidentelles, la révision

23. Arr. 9 fév., 12 mai, 5 et 27 juill. 1855 (J. cr., art. 5913 6006, 6007 et 6029). Dans l'affaire la Marianne, les pièces ayant été transmises avant l'expiration du délai de dix jours, le défenseur en a demandé communication par sommation au greffier; le premier président a refusé d'autoriser une sommation nouvelle, en déclarant que le défenseur n'avait pas qualité (Ordonn. sur requête, 13 déc. 1855).

24. Voy. Rep. cr., vo Jury, nos 106 et suiv.; J. cr., art. 5500 et 5533.

La justice militaire vient de faire une application des plus larges du droit d'annulation pour contradictions, par la décision suivante: «Considérant que les faits qui ont donné lieu aux deux condamnations, quoique ayant été commis au même lieu, en même temps et dans des circonstances semblables, n'ont aucun des rapports légaux de connexité, et que par conséquent les nommés Carquin et Baconnet n'ont point été condamnés pour complicité; que cependant, le même jugement les condamne l'un et l'autre à rembourser solidairement, sur leurs meubles et immeubles, au profit du trésor public, le montant des frais

du procès est autorisée par la loi elle-même dans trois cas déterminés (C. inst. cr., 443-447); mais ce sont les seuls qui permettent cette voie extraordinaire, malgré les graves discussions qui ont eu lieu à cet égard dans les chambres législatives (Voy. Rép. cr., vo Révision). Deux fois, cette année, la justice a reconnu des erreurs déplorables à réparer, et elle l'a fait avec toute l'extension possible, sur la provocation de M. le garde des sceaux et de M. le procureur général à la Cour de cassation. Dans la première affaire, il y avait ce concours de circonstances: d'abord accusation de meurtre et d'incendie contre deux individus présumés coupables, acquittement de l'un, condamnation de l'autre aux travaux forcés à perpétuité; puis, après nouvelles investigations, accusation de subornation et de faux témoignage contre des témoins à charge, condamnation du suborneur et des faux témoins, enfin condamnation du vrai coupable pour le crime primitif avec circonstances atténuantes. La Cour suprême a considéré que la condamnation pour subornation et faux témoignage ouvrait la voie de révision d'après l'art. 445 C. instr. cr., mais en laissant subsister cette condamnation particulière, que de plus il y avait inconciliabilité entre les condamnations successivement prononcées contre deux individus pour un même fait qui paraissait être le crime d'un seul, ce qui devait entraîner l'annulation de l'une et l'autre d'après l'art. 443. Par suite de la cassation prononcée dans ces termes, le vrai coupable a été définitivement condamné, l'innocent jugé de nouveau pour la forme a été acquitté, puis a obtenu du Gouvernement un emploi à titre de réparation sociale 25. Dans l'autre affaire, il y avait eu aussi accusation de crime (coups et blessures graves), condamnation avec circonstances atténuantes (un an de prison), condamnation ultérieure contre des témoins pour faux témoignage à charge et condamnation contre le vrai coupable pour le crime primitif (7 ans de travaux forcés). L'arrêt de cassation a fait application, comme le précédent, des art. 445 et 443 C. inst. cr. 26. Il est à remarquer encore : quant au premier arrêt, qu'il a reconnu l'inconciliabilité, quoique le crime poursuivi successivement contre deux individus différents eût reçu dans la seconde poursuite une autre qualification que dans la première (coups volontaires ayant involontairement causé la mort); et quant au second arrêt de cassation, qu'il a reconnu la présomption d'erreur par suite de la condam

auxquels ont donné lieu les poursuites dirigées et le jugement rendu contre eux; attendu que cette condamnation à rembourser solidairement les frais de la procédure est une fausse application de l'art. 2 de la loi du 18 germ. an vii; que cette fausse application est une cause de nullité qui rentre dans les dispositions de l'art. 14, 5e §, de la loi du 18 vendém. an vi; casse et annule la procédure instruite contre les nommés Carquin et Baconnet, les renvoie devant le 1er conseil de guerre (conseil de révision de Paris, 30 nov. 1855).

25. Cass. 2 juin 1855 (J. cr., art. 5969); voy. aussi Moniteur, nov. 1855. 26. Cass. 9 nov. 1855 (J. cr., art. 6060). Par arrêt de 18 décembre, la cour d'assises de Lot et Garonne a condamné le vrai coupable et acquitté le premier condamné, auquel le président a fait une allocution déplorant l'erreur de la condamnation qu'il avait subie et mème exécutée. Une nouvelle erreur, après condamnation capitale, vient de se révéler (Voy, Gaz, des Trib., 29 déc. 1855).

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