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fait de l'inculpation emporte peine afflictive ou infamante; ce serait une innovation très-périlleuse que celle qui effacerait pour quelques cas la distinction profondément établie par les lois criminelles entre les crimes et les simples délits correctionnels. D'autre part, si le décret du 26 mars 1848 a essayé de faciliter la mise en liberté provisoire des gens pauvres, en abrogeant la disposition du Code qui fixait à 500 fr. le minimum du cautionnement nécessaire, l'entrave subsiste pour les délits dont serait résulté un dommage appréciable en argent, puisqu'aux termes d'une autre disposition du même art. 119, le cautionnement doit être triple de la valeur du dommage, et de 500 fr. au moins. Le meilleur moyen devait être d'investir le juge d'instruction du pouvoir de retirer, après examen, le mandat de dépôt par lui décerné au début de la poursuite. C'était l'opinion des criminalistes, plusieurs fois exprimée dans de sérieuses discussions; c'était la proposition qui avait été le plus favorablement accueillie par les chambres législatives en 1836, 1838, 1842, 1845 et 1850. Ajournée parce que les projets où elle se trouvait devaient être revus sur d'autres points, cette modification avait aussi l'assentiment des cours et des écoles consultées, 22 des procureurs généraux avaient également émis un avis favorable. Telles ont été les causes et la pensée de la loi dont le gouvernement a obtenu l'adoption dans la dernière session législative".

Ainsi que l'a fait observer l'exposé de motifs présenté au Corps législatif, le nouveau pouvoir dévolu aux juges d'instruction est le complément logique et nécessaire de ses attributions. D'un autre côté, comme l'a fort bien dit M. Nogent-Saint-Laurent dans son rapport, « un mûr examen doit convaincre qu'il n'y a rien là qui puisse énerver la répression ni compromettre la sûreté publique. C'est souvent l'inconvénient des innovations en matière criminelle que de dépasser les limites d'une juste humanité, pour tomber dans les périls de la faiblesse. Mais ici, aucune crainte semblable ne peut être conçue. En effet, le mandat de dépôt a pour conséquence immédiate la détention préventive. La détention préventive est une mesure d'ordre public, une précaution prise

6. Présentation du projet de loi le 15 janv. 1855 (Monit. du 18); rapport au Corps législatif, par M. Nogent Saint-Laurent, le 2 mars (Monit. des 3 et 11); discussion et adoption à l'unanimité de 227 votants le 8 mars (Monit. du 10), Loi qui modifie l'art. 94 du C. d'instr. crim.

Article unique. L'art. 94 du Code d'instruction criminelle est remplacé par l'article suivant.

Art. 94. Après l'interrogatoire, le juge pourra décerner un mandat de dépôt. Dans le cours de l'instruction, il pourra, sur les conclusions conformes du procureur impérial, et quelle que soit la nature de l'inculpation, donner mainlevée de tout mandat de dépôt, à la charge, par l'inculpé, de se représenter à tous les actes de la procédure et pour l'exécution du jugement, aussitôt qu'il en sera requis. L'ordonnance de mainlevée ne pourra être attaquée par voie d'opposition. - Le juge d'instruction pourra aussi, après avoir entendu l'inculpé, et le procureur impérial ouï, décerner, lorsque le fait emportera peine afflictive ou infamante, ou emprisonnement correctionnel, un mandat d'arrêt dans la forme ci-après déterminée.

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Du 4-13 avril 1855.

contre la fuite possible de l'inculpé, ou contre l'influence qu'il pourrait exercer sur les témoins, s'il était laissé en état de liberté. Dans le premier cas, elle assure la répression; dans le second, elle commence pour assurer l'instruction. Mais souvent, il arrive qu'un homme mis sous le mandat de dépôt offre des garanties morales et matérielles qui rendent la présomption de fuite à peu près impossible, ou bien que les principaux témoins ayant été entendus, il n'y a plus lieu de craindre des attaques et des influences contre la vérité, ou bien enfin que les indices qui ont déterminé le mandat de dépôt ont diminué de telle sorte que la chance d'acquittement est très-supérieure à celle de la condamnation. Dans ces hypothèses, la détention préventive n'est plus nécessaire, et lorsqu'elle n'est pas indispensable, elle devient un malheur. A quoi bon, en effet, arracher sans nécessité un homme à sa famille, à ses affaires, à son travail? A quoi bon garder en prison un malheureux qui sortira ruiné parce que pendant plusieurs mois, avant son acquittement, il aura été retenu sous un immuable mandat de dépôt ?.. »

Justifiée par ces motifs, la loi nouvelle ne paraît pas pouvoir rencontrer ou faire naître dans l'application de sérieuses difficultés. Elle maintient les distinctions du Code entre le mandat de dépôt et le mandat d'arrêt, pour les formes dans lesquelles chacun d'eux doit être décerné et exécuté : toute l'innovation consiste à donner aux magistrats instructeurs le pouvoir de lever le mandat de dépôt lorsqu'il leur paraît que la détention préalable devient sans utilité. Si par là elle légitime la préférence souvent accordée au mandat de dépôt sur le mandat d'arrêt, si même elle peut avoir pour effet d'en rendre l'emploi d'autant plus fréquent qu'il y aura possibilité de le retirer après examen, des magistrats scrupuleux et éclairés ne profiteront pas de l'attribution nouvelle pour user à la légère d'un moyen de détention qui a toujours des conséquences très-graves; ils s'empresseront de rétracter leur mesure provisoire, dès qu'ils reconnaîtront que la précaution était ou est devenue inutile. Le mandat dont il s'agit n'ayant pas dû articuler et qualifier le fait qui le motivait, «< tout mandat de dépôt » peut être levé, « quelle que soit la nature de l'inculpation. » Ces expressions de la loi, employées après discussion avec le conseil d'État et adoption par lui d'un amendement qu'avait proposé la commission du Corps législatif, ont une portée qu'il faut préciser aussi exactement que possible. Des propositions anciennes, renouvelées avec modification, tendaient à donner au juge d'instruction la faculté de ne pas employer le mandat d'arrêt, même au cas de crime, ou bien de lever ce mandat comme aujourd'hui le mandat de dépôt. D'accord avec les observations de la Cour de cassation, qui démontraient que la loi avait été sage en garantissant le juge d'instruction contre les sollicitations des familles ou amis, et en le fortifiant contre sa propre faiblesse, le conseil d'État et le Corps législatif ont repoussé toutes ces propositions en considérant que l'inculpation de crime, une fois précisée, nécessite un mandat d'arrêt régulier, et que l'examen qui l'a précédé ne permet pas une rétractation par le même

juge en conséquence, ils ont maintenu absolument la disposition impérative de l'art. 94, de même que celle de l'art. 143 qui refuse la liberté provisoire sous caution à tout inculpé de crime. Au point de vue restreint du mandat de dépôt, on disait encore que certains crimes sont parfois moins graves que tels ou tels délits correctionnels, qu'ils peuvent n'entraîner que des peines modérées d'après l'art. 463 du Code pénal revisé, que l'ancien droit permettait l'élargissement même au cas d'inculpation de crime, et que la loi belge du 48 février 1852 autorise le juge d'instruction à ne décerner qu'un mandat de dépôt, à laisser même l'inculpé en liberté, lorsque la peine ne peut excéder celle de la réclusion ou des travaux forcés à temps. Si ces observations ont influé sur la rédaction de la loi nouvelle, c'est seulement en ce sens que le mandat de dépôt, dans lequel l'inculpation n'est point précisée et qualifiée, pourra par cela même être levé sans qu'on ait à se préoccuper de la qualification donnée au fait dans les autres actes de l'instruction; d'où il résultera, comme l'a dit le rapport, que « le juge sera le maître de lever son mandat de dépôt, quelle que soit la nature du fait poursuivi; » ce qui laisse subsister toutes les autres règles relatives au mandat d'arrêt et à l'élargissement provisoire par les chambres d'instruction. - Il y a d'ailleurs une condition essentielle à l'exercice du droit de retrait ou de mainlevée, c'est que le procureur impérial ait donné des conclusions conformes. Cette restriction a été combattue par plusieurs membres de la commission du Corps législatif, soutenant que le juge d'instruction, qui a décerné le mandat de dépôt sans réquisitions du ministère public, doit avoir le droit d'en donner mainlevée de sa 'propre autorité. Les motifs qui l'ont fait prévaloir sont, d'après le rapport, « que la responsabilité serait trop grande pour le juge d'instruction, qu'il serait exposé aux sollicitations des familles, et qu'il valait mieux placer deux responsabilités à côté d'une mesure aussi délicate et aussi importante; qu'il appartient au ministère public de surveiller la poursuite à tous les actes de l'instruction, et que ce serait aller contre sa prérogative que de le désarmer dans cette circonstance. >> Alors on a proposé, pour le cas de conclusions contraires, d'appeler la chambre du conseil à prononcer entre les deux magistrats dissidents, afin qu'il ne dépendît pas du ministère public de faire prévaloir la réquisition sur la décision, le parti de la rigueur sur celui de l'humanité. Cette opinion subsidiaire a été repoussée par la majorité, objectant qu'il s'agit d'actes de pure instruction, qu'on ne doit pas compliquer une procédure dont la rapidité est dans les vues dominant actuellement. — Lorsque l'inculpé a obtenu mainlevée du mandat de dépôt, que deviendra la liberté ainsi accordée dans le cas où la chambre du conseil saisirait la chambre d'accusation, suivant l'art. 133? Décernera-t-on une ordonnance de prise de corps conformément à l'art. 134, et ne faudrait-il pas modifier cette dernière disposition? La commission du Corps législatif avait considéré que la nécessité seule peut justifier une détention préventive, qu'il n'y en a plus dans le cas prévu de mainlevée du mandat

de dépôt, que cette mainlevée était autorisée alors même qu'il pourrait y avoir inculpation du crime, qu'il fallait pour être conséquent adopter la disposition suivante: « En cas de mainlevée, la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation pourront, en décernant l'ordonnance de prise de corps, en suspendre l'exécution jusqu'au huitième jour qui précédera l'ouverture des assises. » Cet amendement n'ayant pas été accepté par le conseil d'État, un député a renouvelé les objections dans la discussion et demandé si le gouvernement repoussait la modification d'une manière absolue, ou bien se réservait d'examiner la question. M. le conseiller d'État Lacaze a répondu qu'on ne pouvait actuellement modifier les art. 434 et 233; que, pour le faire, il faudrait toucher à ce qui est la clef de voûte de la législation criminelle en France; que la modification proposée serait contraire à la distinction fondamentale entre les crimes et les délits maintenue dans l'art. 113, même au point de vue restreint de la liberté provisoire; que le pouvoir conféré au juge d'instruction n'est pas contraire à cette distinction, et que ce magistrat pourra décerner à nouveau un mandat s'il découvre des indices de crime.

On le voit, tout en facilitant pour certains cas et selon l'appréciation des magistrats la cessation de la détention préalable, la loi nouvelle entend conserver dans toute leur force les pouvoirs qui garantissent toujours la vindicte publique.

L'autre modification apportée au Code d'instruction criminelle concerne la désignation des juges assesseurs, dans les départements autres que ceux où siége la cour impériale. Le code de 4808, art. 253, appelait les présidents et les juges plus anciens du tribunal de 4re instance du lieu de la tenue des assises : cet ordre était gênant pour les divers services judiciaires et pour la distribution de la justice elle-même. La loi du 4 mars 1834, réduisant de 4 à 2 le nombre des assesseurs, ne reproduisit point textuellement la règle prescrivant de suivre l'ordre d'ancienneté ; comment devait avoir lieu dès lors la désignation? Elle n'appartenait, ni au garde des sceaux, qui n'avait jamais eu ce pouvoir, ni au premier président, ne pouvant avoir plus de droits que le ministre, ni à la cour d'appel, qui n'avait reçu d'attribution qu'à l'égard des conseillers, ni enfin au tribunal, ainsi que cela résultait du rejet d'un amendement qui tendait à lui conférer ce pouvoir. La règle de l'ancienneté subsistait donc avec les présomptions d'empêchement et de nécessité du remplacement. opéré, comme l'avait proclamé la Cour de cassation en 1845 notamment. Mais le silence du texte et l'insuccès des efforts de la chancellerie pour une interprétation uniforme partout avaient laissé s'introduire des modes différents dans plusieurs tribunaux : ici, les assesseurs étaient désignés par le président du tribunal; là, ils l'étaient par le tribunal en assemblée générale; ailleurs, la règle de l'ancienneté s'observait autant que possible, et l'on supposait des empêchements pour que les juges siégeants parussent les plus anciens. Cette situation ne pouvait durer : l'uniformité désirable a été rétablie par la loi du 24 mars 1855, attribuant au pre

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mier président de la cour impériale la désignation première, et au président de la cour d'assises le remplacement des assesseurs régulièrement empêchés, ainsi que la désignation des assesseurs supplémentaires dont l'adjonction aurait été ordonnée par la cour d'assises 7. « Ce droit nouveau conféré au premier président, a dit l'organe de la commission du corps législatif, lui a paru offrir toutes les conditions exigées pour qu'il soit fait choix de magistrats éclairés, intègres, énergiques, probes, en un mot, de magistrats comme le sont les magistrats français, animés du seul désir de rendre justice. En effet, le premier président d'une cour impériale connaît trop bien le personnel de son ressort et la nécessité de tous les services judiciaires qui en dépendent, pour ne pas toujours désigner des assesseurs réunissant les conditions qui viennent d'être énumérées. Il est aussi trop haut placé, comme magistrat, pour jamais être exposé à subir des influences qui pourraient préférer un juge à un autre. D'ailleurs, son choix ne s'arrêtera qu'après avoir pris préalablement l'avis du procureur général, et il pourra en outre recueillir les renseignements qu'il jugera nécessaires. Au surplus, ce droit nouveau n'est-il pas le corollaire de celui qu'il tient, d'après l'art. 46 de la loi du 20 avril 1840, de nommer les conseillers assesseurs des cours d'assises qui se tiennent au siége de la cour impériale?.... Le droit que la loi accorde au président de la cour d'assises n'est qu'un droit exceptionnel. On comprend que, si, pendant le cours des assises, l'un des assesseurs vient à tomber malade ou ne peut siéger dans une affaire, il importe néanmoins que la justice ne soit point arrêtée, car de graves intérêts sont toujours engagés devant la cour criminelle. Alors, il y a nécessité de remplacer de suite les magistrats empêchés. Mais le président de la cour ne pourra pourvoir à ce remplacement que lorsque les assesseurs seront régulièrement empêchés ; ce qui signifie qu'il faudra des motifs graves, dont la chancellerie devra se faire rendre compte. »

Telle est la règle nouvelle, laissant d'ailleurs subsister toutes les dispositions du code et des règlements étrangères à l'art. 253.

L'innovation en matière pénale, qui vient d'avoir lieu et que nous de vons expliquer aussi, remplace les art. 318 et 475 C. pén. par la loi du 27 mars 1854, pour les boissons. L'art de la fraude, qui pénètre dans toutes les industries, s'était attaqué surtout aux boissons comportant des mélanges. Les falsifications habiles déjouaient les recherches de la science et de la justice, tous les efforts faits pour les constater et punir. Il y avait péril pour la santé publique et pour la bourse des consommateurs, pour les intérêts des producteurs honnêtes et pour certains impôts nécessaires. De toutes parts, on demandait une loi de répression plus efficace que les dispositions imparfaites ou incomplètes de notre code pénal sur les boissons falsifiées. La chambre des Députés fut saisie, en 1843, d'une proposition concernant spécialement la fabrication des

7. Voy. 1. 21-26 mars 1855; Cass. 21 et 30 juin 1855; Rẹj. 6 juill. 1853 (J. art. 5986 et C029).

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