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CHAPITRE II.

CRIMES ET DÉLITS POLITIQUES.

Une classification, qui présente un grand intérêt, en matière d'extradition, consiste à distinguer les infractions politiques de toutes les autres.

Il est de principe, que les crimes et les délits politiques ne donnent pas lieu à extradition.

Sous la qualification de crimes et délits politiques, se rangent tous les actes qui ont pour but de porter atteinte, par des moyens contraires à la loi, à l'ordre politique ou à l'ordre social établi dans un pays.

Il n'est pas possible de présenter une énumération de ces infractions; le nombre en est infini, comme le nombre des combinaisons politiques et sociales qui régissent les sociétés organisées, comme le nombre des moyens qui peuvent être employés pour détruire ou modifier ces combinaisons. C'est donc là une première difficulté qui s'oppose à ce que de pareilles infractions trouvent place dans des traités, où la liste des actes passibles d'extradition est rigoureusement déterminée.

D'autre part, il est, comme on sait, un principe dont les négociateurs ne peuvent se départir l'extradition n'a lieu que pour des actes punissables d'après la législation des deux pays con⚫ractants. On ne comprendrait pas, en effet, qu'une nation consentit à livrer à la justice étrangère nn réfugié poursuivi pour un fait autorisé par les lois du pays de refuge. D'après ce principe, les crimes et délits politiques ne pourraient, pour la plupart, être compris dans un traité d'extradition. Tel acte, défendu par la loi d'un pays constitué en monarchie, est licite dans un État voisin, constitué en république. Les législations sont très-différentes à ce point de vue, et les divergences s'y accusent d'autant plus que les régimes politiques offrent moins d'analogie. Cependant, il est possible que certaines infractions politiques se trouvent prévues et punies à la fois par la législation de deux pays. Il faut donc chercher ailleurs le motif déterminant, qui fait exclure absolument des conventions d'extradition les crimes et délits politiques.

Le motif se trouve dans la nature même de ces actes.

Lorsqu'il s'agit d'un crime commun, tel que meurtre, vol, incendie..., etc., aucun doute ne peut s'élever sur la criminalité du fait; elle est absolue, incontestable, reconnue par toutes les législations; la discussion ne peut s'élever que sur le degré de culpabilité de l'agent, culpabilité variable avec les circonstances qui ont accompagné le crime.

Au contraire, lorsqu'il s'agit d'une atteinte à l'ordre politique ou à l'ordre social établi dans un pays, les meilleurs esprits peuvent être partagés sur la criminalité d'un tel acte et sur la pénalité qu'il convient d'y appliquer. Sans doute, les raisons ne font pas défaut pour motiver les mesures édictées en vue de prévenir ou de réprimer les faits de cette nature. Si l'ordre politique ou social est légitime dans son origine, conforme à la justice dans son organisation, la criminalité de l'infraction qui y porte atteinte s'établit aisément. Si même la légitimité de cet ordre politique ou social est contestable, que l'organisation en soit contraire à la justice et à la raison, il est possible encore de trouver dans l'utilité publique, dans l'adhésion de la majorité de la nation au système établi, dans la nature du moyen employé par le délinquant, des considérations puissantes pour démontrer la criminalité du délit. Mais, d'une autre part, les moyens de défense ne feront jamais défaut au prévenu. Il mettra en question la légitimité du pouvoir établi, la justice du système attaqué, l'intérêt de la société; il invoquera, pour justifier ses projets, la sincérité de ses convictions, l'ardeur de la passion politique, le désintéressement de ses vues. Enfin, il rencontrera souvent, dans l'esprit public, une indulgence toute particulière, et trouvera, dans la poursuite même dont il est l'objet, un titre à la considération d'une partie de la nation.

Doute sur la criminalité et sur la mesure de la criminalité des infractions politiques, difficulté d'en dresser une énumération précise, divergence des législations sur la matière: telles sont les bases scientifiques du principe d'après lequel l'extradition n'est pas admise en matière politique. Mais il faut, en outre, pour en expliquer l'application universelle, faire la part de l'intérêt qui s'attache au délinquant politique, en raison du mobile de sa conduite et de sa lutte inégale contre le pouvoir. Il est considéré, par le pays de refuge, comme un vaincu, non comme un coupable. C'est un hôte qui a demandé asile, et dont la confiance ne saurait être trahie.

Qui ne connaît les motifs généreux qui ont inspiré le décret du 26 février 1848, portant abolition de la peine de mort en matière politique? Il faut chercher, dans le même ordre de considérations, les raisons qui font exclure les crimes et délits politiques des traités d'extradition.

M. Beltjens, procureur général à la Cour d'appel de Liége, en a fait un exposé saisissant dans un discours sur l'extradition, prononcé, le 15 octobre 1872, à l'audience de rentrée, et dont la Cour a ordonné l'impression:

« L'exclusion des délits politiques, a-t-il dit, est une règle à laquelle les États ont rarement dérogé. La raison de cette exclusion se trouve dans la nature des infractions, dans les mœurs des peuples et dans les idées de liberté qui dominent en Europe. Les formes gouvernementales et les institutions politiques sont des choses de pure convention, variant de pays à pays. Celles qui sont admises dans une contrée déterminée ne répondent pas toujours aux besoins de la nation; les efforts pour les renverser ne froissent pas la conscience universelle; l'insuccès rend leurs auteurs criminels, le triomphe les transforme en héros. Souvent le but poursuivi est déjà atteint dans le pays où les inculpés se réfugient, et l'on comprend qu'il répugne à un gouvernement monarchique, par exemple, de livrer des hommes qui ont voulu introduire la monarchie dans un pays démocratique, et réciproquement. >>

Jusqu'ici, nous n'avons examiné que le cas où l'infraction politique se présente sous la forme d'un acte isolé. Mais le fait incriminé offre souvent un caractère complexe; il peut renfermer plusieurs délits, ou se rattacher, par un lien plus ou moins intime, à d'autres délits. Examinons successivement ces deux hypothèses. Délits complexes. L'acte incriminé peut constituer, en même temps, une atteinte à l'ordre politique ou à l'ordre social, et une atteinte au droit privé. Tel est, pour citer un exemple entre mille, le cas où, dans une émeute, une bande d'insurgés force le magasin d'un armurier et y prend des armes : il y a, dans ce fait, d'une part, violation du droit privé de l'armurier, c'est-à-dire, délit commun, et, d'autre part, atteinte à l'ordre politique, c'est-àdire, délit politique. Quel traitement faut-il appliquer au réfugié dont l'extradition est demandée pour un délit de cette nature?

En droit pénal, la juridiction et la pénalité applicables à un pareil délit sont déterminées d'après l'importance relative des droits

lésés. Le délit est regardé comme politique, si le droit politique violé est plus considérable que le droit privé. Dans tous les le fait étant unique, donne lieu à une seule procédure, à une seule pénalité.

cas,

La solution de la question d'extradition, que soulève un délit de cette nature, se trouve dès lors indiquée. On commencera par qualifier le fait incriminé, en lui appliquant le caractère de la plus grave des infractions qu'il contient; puis, on y appliquera les principes généraux, et l'on refusera l'extradition, si l'infraction est politique.

L'application de cette règle, indiquée par la théorie, soulèverait, en matière d'extradition, de nombreuses difficultés. Pour déterminer le caractère principal du délit, il est nécessaire d'entrer dans l'examen du fond même du procès. Le soin de trancher cette question ne saurait, dès lors, être attribué au pays de refuge, qui n'a pas à connaître du fond de la cause. Il faut s'en rapporter à l'appréciation du pays qui réclame l'extradition. Mais n'est-ce pas demander beaucoup au pays de refuge? La passion politique n'a-telle pas été de quelque poids dans la décision du pays requérant, et n'aura-t-elle pas quelque influence sur le jugement de l'accusé? La justice absolue ne veut-elle pas que le délit accessoire intervienne, comme circonstance aggravante, dans l'appréciation de la culpabilité du délinquant et dans l'application de la pénalité? L'extradition pourrait, il est vrai, être autorisée, sous la réserve expresse qu'il ne sera pas tenu compte du délit politique. Mais les juges sauront-ils se soustraire aux préoccupations extérieures, à la pression de l'opinion publique? Dans l'appréciation d'un fait complexe, quoique unique, pourront-ils séparer les éléments divers que la science y reconnaît?... Ce sont là des questions, que l'esprit public, dans le pays de refuge, ne manquera pas de trancher en faveur de l'accusé.

Ces diverses considérations expliquent pourquoi la solution, indiquée par la théorie, n'a pas été adoptée dans les relations internationales. En règle, l'extradition n'est pas accordée pour une infraction, qui peut, à certain point de vue, présenter un caractère politique.

Il convient, toutefois, de signaler un cas exceptionnel où il est fait retour, dans la pratique des extraditions, à la règle indiquée par la théorie: cette exception se présente, lorsqu'il s'agit d'un attentat contre le chef d'un gouvernement. En pareille hypothèse,

certains pays se sont réservé la faculté d'apprécier, d'après les circonstances, si le crime politique doit être considéré comme accessoire, et si l'extradition peut être autorisée, en raison de la criminalité prédominante du crime commun, contenu dans l'attentat. D'autres pays ont été plus loin : décidant à priori que le droit politique lésé est moins important que le droit individuel, violé dans la personne du chef du gouvernement, ils ont stipulé que l'extradition sera toujours accordée pour un attentat de cette nature. Nous ne faisons que noter ici ces cas particuliers, nous réservant d'y revenir avec plus de détails, lorsque nous étudierons les dispositions du droit conventionnel sur la matière. Délits connexes. - L'infraction politique peut se trouver jointe à une infraction de droit commun, par ce lien qu'on désigne sous le nom de connexité. Il ne s'agit plus, dans ce cas, d'un acte unique, mais de deux ou plusieurs actes distincts, commis par un ou plusieurs agents, et joints par une relation plus ou moins intime. Y a-t-il lieu à extradition dans cette hypothèse?

Les délits connexes peuvent être engendrés l'un par l'autre, ou dériver d'une même cause, ou présenter certains éléments communs, tels que l'unité d'agents ou de moyens. C'est au criminaliste qu'il appartient de distinguer, par l'analyse, les divers cas de connexité, et de compléter l'énumération qu'en donne l'article 227 du Code d'instruction criminelle. Nous voulons seulement retenir une conséquence dégagée par cette analyse, et propre à nous guider dans la recherche de la solution qui nous préoccupe: la connexité des délits entraîne ordinairement la jonction des procédures. En effet les délits connexes, en raison même du lien qui les unit, s'éclairent et s'expliquent mutuellement, et il y a intérêt à les soumettre au même juge, malgré la différence de leur nature. Ce juge est généralement déterminé par le délit le plus grave, qui entraîne à sa suite les délits connexes de moindre criminalité.

Cependant cette règle n'est pas impérative; la jonction des procédures n'est pas toujours obligatoire, et, dans des cas exceptionnels, les délits connexes peuvent, sans inconvénient, être portés séparément devant des juridictions distinctes.

Ces données permettent d'établir, théoriquement, la solution que doit recevoir une demande d'extradition basée sur un délit commun connexe à un délit politique.

Les deux délits sont-ils unis par un lien si étroit, qu'il soit

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