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L'intention des législateurs est clairement indiquée. Mais le but est-il atteint par la loi de 1856? Nous ne le croyons pas. Le caractère politique des attentats dont il s'agit dépend des circonstances dans lesquelles ils se produisent. C'est donc une question de fait, dont l'appréciation devrait appartenir au juge ordinaire des questions de cette nature. Le législateur aurait dù se borner à poser le principe en vertu duquel les infractions politiques ne donnent pas lieu à extradition. Déterminer, d'avance, le caractère de certains actes, c'est disposer un cadre qui devra, dans certains cas, se trouver trop large ou trop étroit.

Quoi qu'il en soit, la nouvelle théorie, consacrée par le parlement belge, fut reçue comme un progrès par plusieurs Puissances européennes.

Le gouvernement français, qui avait inspiré et, peut-être, provoqué la loi belge, se hâta de conclure, le 22 septembre 1856, avec le cabinet de Bruxelles, une convention additionnelle, dont voici la clause principale:

« Ne sera pas réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne d'un souverain étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constituera le fait, soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. »

Cette convention additionnelle devait avoir la même durée que la convention originaire du 22 novembre 1834, à laquelle elle se référait.

La même clause a été reproduite dans la convention conclue entre la France et la Belgique, le 29 avril 1869, pour remplacer le traité de 1834.

Elle a été, en outre, insérée dans tous les traités d'extradition conclus par la France depuis 1856, à l'exception de deux, qui sont : 1o le traité avec la Suisse du 12 janvier 1870; 2o le traité avec l'Italie du 12 mai 1870.

Parcourons les autres conventions où elle a trouvé place:

Bavière. La stipulation franco-belge a été insérée dans la convention du 29 novembre 1869, où elle forme le § 2 de l'article 3. Elle ne figurait pas dans la convention antérieure du 23 mars 1846.

Chili. Elle se trouve ainsi formulée dans le traité du 11 avril 1860: « Les tentatives d'assassinat, d'homicide ou d'empoisonnement contre le chef d'un gouvernement étranger ne seront pas

réputées crimes politiques pour l'effet de l'extradition. Ne seront pas non plus considérés comme crimes politiques ceux énumérés dans cet article, lorsqu'ils seront commis contre l'héritier immédiat de la couronne de France. » Il convient de remarquer que, jusqu'à présent, le Chili est le seul État constitué en république qui ait admis cette stipulation.

États pontificaux. - Dans le traité du 19 juillet 1859, la même clause se trouvait ainsi rédigée: «Il est expressément stipulé que le prévenu ou le condamné, dont l'extradition aura été accordée, ne pourra, dans aucun cas, être poursuivi ou puni pour un délit politique antérieur à l'extradition, ni pour un des crimes ou délits non prévus par la présente convention. Mais il est entendu que les crimes contre la personne du souverain ou des membres de sa famille, et, respectivement, des cardinaux de la Sainte Église, ne sont pas compris dans le § 1er de cet article. »

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Parme. La convention du 14 novembre 1856 reproduisait textuellement la clause belge.

Pays-Bas. La stipulation suivante a été insérée dans la convention additionnelle du 2 août 1860: « Quant à l'application de l'article 3 de la convention du 7 novembre 1844, il est bien entendu que ne sera pas réputé délit politique, et fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne d'un souverain étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constituera le fait soit d'assassinat, soit d'empoisonnement, soit de meurtre. »

Suède et Norvége. La rédaction de la clause belge a été modifiée sur un point, dans la convention du 4 juin 1869: « ... Ne sera pas réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne d'un souverain étranger, lorsque cet attentat constituera le fait soit d'assassinat, soit d'empoisonnement, ou la tentative de ces crimes, soit de meurtre. » Il y a lieu de remarquer que la convention du 4 juin 1869 n'autorise pas non plus l'extradition, pour tentative de meurtre, alors qu'il s'agit de crimes commis sur les particuliers.

Le traité conclu par la France avec les États de Suède et Norvége est le dernier dans lequel la stipulation relative à l'attentat contre le chef de l'État ait été insérée. Plus récemment, en 1870, la France a conclu des traités d'extradition avec la Suisse et l'Italie cette clause n'y figure pas. Rien ne pouvant faire sup

poser que le gouvernement français ait été conduit, dans l'intervalle, à changer de système, il est naturel de croire que cette stipulation n'a pas été acceptée par les négociateurs suisses et italiens.

CHAPITRE III.

NOMENCLATURES INSÉRÉES DANS LES CONVENTIONS.

L'examen des principales classifications adoptées par les criminalistes a fait reconnaître certains principes qui peuvent guider dans la détermination des délits passibles d'extradition. Mais cette étude a permis aussi de constater l'utilité de l'insertion dans un traité d'une liste détaillée de ces délits. En raison même de la différence des lois pénales des Puissances contractantes, les négociateurs ne croient pas devoir procéder par indications générales et collectives; ils passent en revue toutes les infractions, et dressent le tableau de celles qui pourront servir de base à une demande d'extradition. Tous les traités contiennent donc un article exclusivement consacré à l'énumération de ces infractions.

Quant à l'ordre qui préside à la confection de telles nomenclatures, il n'offre rien d'absolu. Il dépend de la volonté des négociateurs, et est inspiré, le plus souvent, par le système établi dans le code pénal de l'une des nations contractantes.

Avant de donner un aperçu des énumérations insérées dans les traités actuellement en vigueur, il est bon d'examiner certaines questions générales que soulève fréquemment l'application de ces nomenclatures.

1° L'énumération insérée dans un traité est-elle limitative? Autrement dit: le pays requis doit-il absolument repousser une demande d'extradition formée pour une infraction non prévue par le traité conclu avec le pays requérant? L'extradition est un acte de souveraineté de la part du gouvernement qui livre l'individu réclamé; ce gouvernement n'est donc pas lié, à ce point de vue, par l'énu

mération du traité, et peut, pour d'autres actes que ceux prévus dans l'énumération, ordonner l'arrestation et la remise d'un malfaiteur à la justice étrangère. Sans doute, le contrat bilatéral qu'il a souscrit, a enchaîné sa souveraineté pour les actes déterminés dans l'énumération, et il n'est plus libre de refuser l'extradition demandée pour un de ces actes; mais les effets du contrat ne s'étendent pas aux infractions qui n'y sont pas prévues. Le gouvernement requis reprend alors la plénitude de sa souveraineté, et peut statuer, comme il l'entend, sur la demande. En principe, l'énumération contenue dans un traité n'est donc pas limitative, mais simplement énonciative.

Cependant, par un effet du droit constitutionnel, il arrive le plus souvent, dans la pratique, que l'énumération prend un caractère absolument limitatif. D'après la plupart des constitutions modernes, les traités conclus par le pouvoir, exécutif doivent, avant d'entrer en vigueur, recevoir l'approbation du pouvoir législatif. Cette approbation leur donne le caractère rigoureux d'une loi, et il n'est plus permis au pouvoir judiciaire ni aux agents de l'administration chargés d'en assurer l'exécution, d'en étendre la portée par un simple accord avec l'autre pays contractant. L'énumération devient donc forcément limitative, et il faut, pour l'étendre, un nouvel arrangement, soumis, comme le traité originaire, à l'approbation du pouvoir législatif.

La même difficulté n'existe pas dans les rapports de deux États placés sous un régime constitutionnel, qui donne au pouvoir exécutif le droit absolu de conclure des traités d'extradition avec les Puissances étrangères. Telle était, en France, la situation du chef de l'État, de 1852 à 1870. Dans ce cas, l'énumération n'a rien de rigoureux, et peut être étendue, selon les cas, au gré des parties contractantes. Lorsqu'il y a lieu à une pareille extension, l'accord s'établit d'ordinaire par un simple échange de notes diplomatiques, par lesquelles les deux gouvernements s'engagent à une complète réciprocité.

2o D'après quelle législation faut-il apprécier le fait incriminé? Des difficultés peuvent s'élever, entre le pays requis et le pays requérant, sur le point de savoir si l'acte incriminé constitue l'une des infractions prévues au traité.

Un exemple rendra le fait sensible. Supposons deux nations liées par un traité qui n'autorise l'extradition que pour des crimes.

Une demande d'extradition est formée contre un malfaiteur, poursuivi pour un acte qui constitue un vol qualifié, c'est-à-dire, un crime, d'après la loi pénale du pays requérant, et un vol simple, c'est-à-dire, un délit, d'après la loi du pays requis. A quelle législation faut-il se référer pour déterminer la suite à donner à la requête?

A notre avis, c'est la législation du pays requérant qui, seule, doit être consultée.

Le pays requis n'est pas juge du fond du procès. Sa loi pénale n'est, à aucun titre, applicable à l'infraction ni à l'agent de l'infraction. Il doit se borner à vérifier, d'après les pièces produites, si le malfaiteur réclamé est poursuivi par un tribunal compétent, pour un fait prévu au traité. Les pièces produites font foi pour le pays requis, et doivent suffire pour l'examen de la requête d'après une clause insérée dans la plupart des traités, ces pièces doivent indiquer « la pénalité applicable au fait incri«miné », c'est-à-dire, évidemment, la disposition de la loi pénale du pays requérant applicable à ce fait. C'est donc au point de vue de cette dernière législation qu'il faut se placer, pour vérifier si l'acte incriminé rentre dans les prévisions du traité.

Cette question doit se poser rarement dans les rapports de la France avec les autres pays; car elle a été prévue dans la plupart des conventions françaises actuellement en vigueur, et tranchée, nous devons le dire, dans un sens contraire à celui qui vient d'être indiqué. L'étude de ces conventions permet de constater que le gouvernement français a cherché et souvent réussi à s'attribuer le droit d'apprécier, d'après sa propre législation, le caractère de l'acte incriminé. Tantôt le traité porte que certains actes, caractérisés différemment par la législation des deux pays, devront être appréciés d'après la loi française; tantôt il y est stipulé seulement que ces actes seront appréciés d'après la loi du pays requis. En cas de silence du traité, il est donc naturel de croire que le gouvernement français, suivant le système qu'il a fait prévaloir toutes les fois que la difficulté a été l'objet d'une clause formelle, a dû se placer au point de vue de la législation du pays requis, pour décider si l'acte incriminé donnerait lieu à extradition.

Toutefois, l'examen des dernières conventions, conclues en 1869 et en 1870, prouve qu'un revirement s'est effectué dans la doctrine française. On lit dans ces traités (Belgique, Bavière, Suisse, Italie,) la clause suivante qui clôt la liste des actes passibles d'ex

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