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Le droit conventionnel n'a pas formulé, sur la compétence, de règles bien précises.

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Les traités conclus par la France, de 1828 à 1845, contiennent des formules diverses, toutes incomplètes, qui témoignent de l'incertitude de la doctrine, et montrent que toutes les faces de la question n'étaient pas encore bien connues des négociateurs. Ainsi, le traité avec la Suisse (1828) s'appliquait aux individus « déclarés juridiquement coupables, dans leur pays respectif, ou poursuivis comme tels, en vertu de mandats d'arrêt décernés par l'autorité légale. La convention de 1834 avec la Belgique ne visait que les individus «< mis en accusation ou condamnés par les tribunaux le celui des deux pays où le crime aura été commis ». Il en est de même des traités conclus avec Lucques (1843), la Toscane (1844), le Luxembourg (1844) et les Deux-Siciles (1845). Le traité avec la Grande-Bretagne (1843) a une portée plus large, et s'applique aux individus coupables de crimes « commis dans la juridiction de la partie requérante ». On peut assigner le même sens aux conventions avec les États-Unis (1843), Bade (1844) et les PaysBas (1844).

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En 1845, une formule plus générale finit par prévaloir. Le traité négocié, cette année, avec la Prusse, s'applique à tous les individus poursuivis ou condamnés par les tribunaux compétents ». Cette formule est véritablement celle qui répond le mieux aux indications de la théorie, et qui permet de pourvoir à toutes les éventualités. Aussi figure-t-elle dans tous les traités conclus par la France depuis 1845 jusqu'à 1870. Il n'y a d'exceptions à faire que pour les conventions avec l'Espagne (1850), 'Autriche (1855), Parme (1856) et la Belgique (1869), conventions qui semblent n'avoir en vue que la compétence territoriale. Mais il n'y a pas lieu de penser que telle ait été l'intention des négociateurs. Nul doute que la jurisprudence ne trouve, à l'occasion, le moyen d'étendre la portée d'une rédaction évidemment incomplète !

CHAPITRE V.

examen de la demande d'exTRADITION par le pays requIS.

La demande d'extradition, nous l'avons dit, doit être transmise par la voie diplomatique.

Le ministre des affaires étrangères du pays requérant, saisi de l'affaire par son collègue, le ministre de la justice, envoie les pièces judiciaires à l'agent diplomatique accrédité près du pays de refuge, et l'invite à demander au gouvernement de ce pays l'extradition de l'individu poursuivi. Pour se conformer à ces instructions, l'agent diplomatique écrit au ministre des affaires étrangères du pays de refuge une lettre, dans laquelle il formule la demande d'extradition; il joint à cette communication les pièces judiciaires et tous les renseignements qui doivent être produits à l'appui de la requête, ou servir à la recherche du malfaiteur.

La procédure entre, à ce moment, dans une nouvelle phase. Le pays requérant a rempli ses obligations. C'est au pays requis, désormais saisi de la demande, à en examiner la valeur, à statuer sur la suite qu'elle comporte, à faire exécuter la décision prise.

Comment, par quel pouvoir et d'après quelles règles l'examen de la demande sera-t-il effectué? Telles sont les questions qui se posent tout d'abord.

Le gouvernement (ce mot désigne ici l'administration, par opposition au pouvoir judiciaire), peut retenir l'affaire, dont il a été directement saisi par l'agent diplomatique de l'État requérant. Il s'agit d'appliquer une convention diplomatique, et de savoir si toutes les conditions édictées par cet acte sont remplies. Le pouvoir qui a négocié ce traité est naturellement compétent pour en assurer l'application. D'après ce premier système, l'examen de la demande d'extradition appartient exclusivement à l'administration.

Remarquons, pourtant, qu'un pareil examen ne porte pas seulement sur une question d'interprétation du traité. Il faut, en outre, apprécier le statut personnel de l'individu réclamé, la com

pétence de la juridiction qui exerce les poursuites, la nature du fait incriminé, la régularité des pièces judiciaires produites..., etc. Ces questions, d'un ordre tout spécial, ne sauraient être mieux jugées que par les membres du pouvoir institué, précisément, pour connaître des difficultés de cette nature. Il paraît donc logique, d'associer le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif, pour l'examen des requêtes d'extradition. Au pouvoir exécutif sera laissé le droit de prendre la décision, puisqu'il s'agit, en définitive, de l'application d'une convention internationale et de l'exécution d'un acte de souveraineté; mais l'avis des tribunaux, compétents pour connaître des questions judiciaires engagées dans l'affaire, devra être obtenu préalablement. - Tels sont les caractères principaux d'un second système.

En allant plus loin dans le même ordre d'idées, on peut observer qu'un traité international, une fois ratifié et promulgué, a tous les caractères d'une loi, au moins en ce qui touche les obligations qui en résultent pour chacun des deux pays contractants. Or, l'application des lois appartient au pouvoir judiciaire. D'autre part, la demande d'extradition a pour objet de provoquer l'arrestation et la remise, à une autorité étrangère, d'un individu qui se trouve placé sous la protection des lois du pays de refuge: c'est encore le pouvoir judiciaire, seul, qui a compétence pour décider si l'individu réclamé doit, légalement, être arrêté et livré. D'après ce troisième système, l'examen de la requête d'extradition et la décision à intervenir dépendent des tribunaux, qui statuent définitivement; le pouvoir exécutif n'intervient que pour assurer l'exécution de la décision rendue par le pouvoir judiciaire.

Les trois systèmes, qui viennent d'être indiqués sommairement, ne sont pas seulement des conceptions suggérées par la théorie. Ils ont passé dans la pratique, et se partagent les nations civilisées. Le premier, qu'on peut appeler système français, est suivi par la France et par le plus grand nombre des États européens. La Belgique et les Pays-Bas ont adopté le second, que nous désignerons par le nom de système belge. Le troisième, ou système anglais, est observé par l'Angleterre et les États-Unis.

Pour se rendre un compte exact de ces systèmes, pour en saisir les avantages et les inconvénients, il convient d'en examiner de près le mécanisme. Voyons donc chacun d'eux fonctionner successivement.

Système français. Soit, d'abord, une demande d'extradition adressée au gouvernement français par un gouvernement étranger.

La dépêche, dans laquelle l'agent diplomatique étranger a formulé la requête, parvient au ministre des affaires étrangères, avec les pièces judiciaires, produites à l'appui.

La demande d'extradition est l'objet d'un premier contrôle dans les bureaux de ce ministère. L'examen, dont elle y est l'objet, porte, presque exclusivement, sur les conditions qu'elle doit réunir au point de vue du droit international ou conventionnel. On s'assure qu'elle émane de l'agent diplomatique régulièrement accrédité, et qu'elle satisfait aux prescriptions essentielles, du traité. Le ministre des affaires étrangères est seul compétent pour décider si la transmission en est régulière, puisqu'il est institué pour présider aux relations diplomatiques du pays avec les États étrangers. Sur la question de savoir si la requête satisfait aux prescriptions essentielles de la convention qu'il s'agit d'appliquer, on ne peut, au moins, lui refuser voix consultative: n'est-ce pas lui qui a suivi les négociations de ce traité, donné ou transmis les directions aux négociateurs? N'est-ce pas encore lui qui a présidé à la conclusion des arrangements intervenus, postérieurement à la signature du traité, pour en déterminer, d'accord avec l'autre partie contractante, l'application relativement aux questions secondaires que la rédaction originaire avait laissées douteuses? N'est-ce pas lui qui tient note de ces diverses ententes, et se trouve le mieux à même de faire connaître la jurisprudence internationale?

Si la transmission de la requête n'est pas régulière, ou si la requête elle-même ne remplit pas les conditions essentielles, déterminées par le traité, le ministre des affaires étrangères est fondé, sous sa responsabilité, à ne pas y donner suite. Dans ce cas, il fait connaître à l'agent diplomatique du pays requérant les motifs qui ne permettent pas d'accueillir la réclamation; il le met, avec les formes de courtoisie que la diplomatie a consacrées, en demeure de régulariser la demande, et de fournir, s'il y a lieu, des renseignements complémentaires.

Si la demande, au premier examen, est jugée régulière, elle est transmise au ministre de la justice, avec les observations qu'elle a pu suggérer.

Dans le cas où il y a intérêt à prendre immédiatement des me

sures pour empêcher la fuite du malfaiteur, le ministre des affaires étrangères peut, pour éviter toute perte de temps, communiquer la demande à son collègue, le ministre de l'intérieur, qui met en mouvement la police administrative. Mais ces rapports directs entre les ministères des affaires étrangères et de l'intérieur ne s'établissent que rarement, et ne sont justifiés que par des considérations d'urgence. Le plus ordinairement, avant toute mesure d'exécution, la demande d'extradition est soumise à un examen approfondi de la part du ministre de la justice, à qui elle est transmise par le ministre des affaires étrangères.

Le ministre de la justice est, en France, le juge principal de la suite à donner aux demandes de cette nature; il préside à l'application des traités d'extradition. Sans doute, il tiendra compte des observations du ministre des affaires étrangères, dans le règlement d'une requête où la question politique est appelée souvent à prendre une place importante. Mais, une fois saisi de l'affaire, il n'est pas lié par l'avis de son collègue, et il se décide en toute indépendance. Si un conflit s'élève entre les deux secrétaires d'État, la question est soumise au conseil des ministres, et résolue comme toute autre du même genre.

Le ministre de la justice procède donc à toutes les vérifications nécessaires pour décider s'il y a lieu d'autoriser l'extradition demandée.

Si les pièces produites ne lui paraissent pas suffisantes, ou si d'autres conditions du traité ne lui semblent pas remplies, il en réfère au ministre des affaires étrangères, qui se met en communication avec l'agent diplomatique du pays requérant, pour obtenir des informations complémentaires.

S'il est établi que la demande d'extradition ne satisfait pas aux conditions édictées par la convention, ou consacrées par les usages internationaux, le ministre de la justice fait connaître au ministre des affaires étrangères qu'il n'est pas possible d'y donner suite; celui-ci en informe l'agent diplomatique du pays requérant, en indiquant les motifs du refus.

Lorsque la demande est régulière, et conforme aux stipulations du traité, le ministre de la justice soumet à la signature du chef de l'État un décret autorisant l'extradition de l'individu réclamé.

C'est donc un acte du chef du pouvoir exécutif, exerçant les droits de souveraineté de la nation, qui peut seul ordonner l'ex

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